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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 7¼ pages (19962 caractères)
Pays ou culture du conte : France.

Recueil : Contes de Saint-Santin

12 - Pomme d'Api

Charles-Philippe de Chennevières-Pointel (1820-1899)

Il y avait une fois, au château de l’Angenardière, – je parle de l’ancien temps, quand les comtes et les barons étaient des grands seigneurs, - il y avait une fois un comte et une comtesse très-riches, très-puissants ; toute la contrée leur appartenait, à eux et à Sainte-Gauburge, depuis Saint-Cyr jusqu’à Préaux, et, pour hériter de tout cela, rien qu’un enfant ; encore avaient-ils eu bien de la peine à l’avoir. C’étaient pourtant des seigneurs tout à fait dignes de la grâce du bon Dieu, car les grosses tours du château étaient déjà bâties, et on n’a point souvenir qu’ils y aient jamais mis un chat en prison.

La veille du jour où leur garçon vint au monde, le vieux seigneur s’en alla, sous prétexte de chasser, vers le bois du Sablon. Il n’a jamais eu bonne réputation, le bois du Sablon, et quand on songe que sur la grosse énorme pierre qui est là couchée dans le taillis on égorgeait des pauvres hommes, il y a deux ou trois mille ans, il faut en vérité bien aimer la chasse pour se promener le soir dans la sapinière. Toujours est-il que le vieux comte s’en alla à travers les herbes, les buissons et la bruyère, droit à la pierre sans s’égarer d’une semelle, car il connaissait les sentiers du bois comme nous connaissons les rues de Bellesme ; il tapa trois coups avec la crosse de son fusil. Une voix dessous la pierre lui répondit :

– Qui est là ?
– C’est moi, dit-il ; c’est moi, le seigneur de l’Angenardière.
– Attendez, lui répondit-on, que je mette ma coiffe et que je prenne mon loquet.

Et presque aussitôt la grosse pierre, qui, vous l’avez vu, est posée sur deux pointes de rochers, se souleva comme une trappe qu’on ouvre, et il en sortit une fée. C’était la fée du Sablon, dont on parlait beaucoup à droite et à gauche, mais qu’on ne connaissait guère, parce qu’on ne se souciait pas, la sachant capricieuse, de la déranger dans sa maison ; il n’y avait plus qu’elle de fée depuis bien longtemps dans tout le pays, et elle faisait l’ennuyée et la mijaurée.

– Ma voisine, lui dit sans façon le vieux seigneur, les gens de ma famille ont toujours vécu en bonne intelligence avec vous, et je viens vous demander un service.
– Lequel ? lui dit la fée.
– Il doit me naître demain un garçon ; vous seriez bien aimable de venir le douer, comme on dit, – lui faire un petit don.
– Deux, si vous voulez, lui dit la fée, qui n’était pas fâchée qu’on lui demandât quelque chose, depuis si longtemps qu’on ne s’était adressé à elle.

En effet, le lendemain, elle prit sa baguette et arriva à l’Angenardière juste comme l’enfant venait de sortir du chou. Le seigneur avait prévenu tous les valets et toutes les servantes ; la fée fut bien reçue par tout le monde ; on ne lui fit point de grimace ni sur sa devantière de toile, ni sur sa coiffe de travers, ni sur sa brèche-dent ; la mère lui adressa de son lit un beau compliment ; si bel et si bien qu’ayant pris l’enfant des mains de la nourrice, elle le toucha de sa baguette et lui dit :

– Je te fais don des deux plus précieux biens de la terre : la beauté et la gaieté.

Et puis, sans plus de cérémonie, elle le rendit à la nourrice et s’en retourna, comme elle s’en était venue, dans son trou du Sablon.

Quinze ans, seize ans, dix-sept ans se passèrent ; on n’entendait plus parler de la fée. Tous les ans, à la Noël, le vieux seigneur s’en allait à la pierre du Sablon ; il tapait trois coups avec son bâton.

– Eh bien ! lui disait-on, es-tu content ? Est-il beau ? est-il bien fait ? est-il gai ?
– Il est plus beau et plus gai, et plus leste, répondait le seigneur, que le plus bel oiseau des bois.

Et le fait est qu’il était si beau et ses joues si fraîches et si vermillonnées, qu’on l’avait, dans tout le pays, surnommé Pomme-d’Api.

Un jour pourtant, l’envie prit à la fée de venir voir de ses yeux le beau petit comte de l’Angenardière. Comme on était à l’heure du dîner, le vieux seigneur la fit asseoir à table à côté de Pomme-d’Api ; mais elle prenait tant de plaisir à regarder ce blanc-bec, qu’elle n’en but ni ne mangea, et tout ce que Pomme-d’Api disait lui paraissait si plaisant, qu’elle s’en tenait les côtes. Quand la nuit fut venue, elle reprit sa baguette et en toucha, comme par badinage, l’épaule de son favori, puis se retira accompagnée par le vieux seigneur.

Le père et la vieille n’avaient pas fait cent pas au clair de lune, qu’elle lui dit :

– Écoutez, mon voisin, il faut avouer que mes dons ont prospéré ; voilà certainement le plus beau jouvenceau qu’on ait jamais vu, et, ma foi, je ne me soucie pas d’avoir si bien travaillé pour que les autres en profitent ; il y a des centaines et des centaines d’années que je suis là vieille fille ; je m’ennuie dans mon palais du Sablon ; j’ai beau le balayer et l’épousseter, pour qui, je vous le demande ? Personne avec qui jaser et danser : ni frère, ni soeur, ni cousin, ni cousine. J’entends faire ni plus ni moins que Mélior et Mélusine, mes grand’mères ; mon parti est pris de ce soir : je veux un mari, et pour mari je veux Pomme-d’Api ; il est juste gai comme il me le faut pour me ragaillardir, et le trouvant tout à fait à point d’âge, de beauté et de gaieté, je dois vous prévenir que je l’ai touché tout à l’heure de ma baguette ; il ne changera plus à partir de ce jour.

– Voisine, lui répondit le vieux comte, si une personne moins considérable qu’une aussi grande fée me parlait de la sorte, je lui dirais qu’elle a perdu toute raison et toute sagesse. Nous ne sommes pas, songez-y bien, de la première jeunesse ; quelle apparence qu’un godelureau de dix-sept ans puisse faire bon ménage avec une femme de trois cent soixante-dix-neuf ans ?
– Laissez faire, laissez faire ; patience ! Ce fut là toute la réponse de la fée, et elle prit congé du bonhomme.

A dater de cette entrevue, elle ne manqua plus un seul jour à paraître au château ; mais quel changement ! Plus de coiffe de travers, plus de mante couleur de bruyère, plus de brèche-dent : coquette, coquette, coquette ! Tous les matins, une robe neuve, des dents neuves, une perruque neuve, des sourcils peints à neuf, et trois couches de carmin frais sur ses joues rasées à neuf ; des corsages bien rembourrés, des toques de velours cramoisi avec des grandes plumes, des bagues de diamants, des pendants d’oreilles, des croix, des colliers, des boucles de ceinture, des boucles de souliers : tout, tout en diamants. Quant aux perruques, elle en avait tant, tant, tant, des brunes, des blondes, des rouges, des jaunes, des noires, des châtaines, des carotte, que Pomme-d’Api finit par lui laisser le nom de fée Perruque ; et encore, dans les blondes, elle en avait de trois espèces : en chiendent pour tous les jours, en fine filasse pour les dimanches, en soie écrue pour les jours de fête. De temps en temps, elle regardait tendrement Pomme-d’Api et lui disait : Suis-je à votre goût aujourd’hui, mon mignon, et ne seriez-vous pas bien aise d’avoir une petite femme tournée de ma sorte ? A quoi le malin répondait : Je crois, chère fée Perruque, que vous seriez mieux en brune.

Et elle s’en allait, douce comme un chien qu’on renvoie à la niche, mettre sa perruque couleur de corbeau. Cela dura ainsi bien des mois et des années, car la fée ne se décourageait point, et je ne suis pas bien sûr qu’elle ne prît pas plaisir à essayer de sa beauté sous toutes les formes, et même il ne m’est pas prouvé qu’elle ne s’en fît pas accroire sur ses cheveux et sur ses épaules couvertes de farine, et sur ses verrues épilées, qu’elle prenait, j’imagine, pour des grains de beauté. Chacune se croit belle en ce monde, chacune a sa petite vanité, et les fées, étant plus puissantes, se croient aussi  plus belles que les autres, ce qui n’est pas toujours vrai, témoin la fée Carabosse.

Mais le pauvre Pomme-d’Api, lui qui était si beau, il n’en était pas plus heureux avec toute sa beauté, et c’est de lui qu’on aurait pu dire : la gaieté ne fait pas le bonheur ! Plus il voyait les coquetteries de la fée Perruque, moins il se sentait de penchant pour elle ; en revanche, la fée Perruque lui faisait cruellement payer ses mépris : il avait toujours ses dix-sept ans, le pauvre garçon, la prime-fleur de la jeunesse, le malheureux ! Et il avait dix-sept ans depuis déjà cinquante ans ! Et il n’aurait pas demandé mieux que d’épouser toutes les jeunes filles de son âge qu’il voyait dans le pays. Mais son père, le vieux seigneur, à mesure qu’il vieillissait et se décrépissait, appréciait davantage le bonheur qu’avait son fils d’avoir toujours dix-sept ans, et il lui avait dit en mourant : – Je ne veux pas, mon cher garçon, te forcer à épouser la fée Perruque si le coeur ne t’en dit rien, quoique ce soit un bon parti, et tu t’apercevras plus tard, quand tu auras de l’expérience, qu’il ne faut pas s’arrêter à si peu, et qu’il y a des femmes bien agréables qui n’en ont pas moins des faux cheveux ; mais ce que j’exige, c’est que tu ne te maries jamais sans son consentement.

En sorte que le pauvre Pomme-d’Api courait risque de rester mille ans garçon, car la fée, vous le pensez bien, se serait plutôt pendue que de donner jamais ce consentement-là, pour qu’il en épousât une autre qu’elle et qui n’aurait pas eu de perruque. D’ailleurs, celles que Pomme-d’Api trouvait le plus à son goût et qui le charmaient, soit par leur belle taille, soit par leur teint frais, soit par la grâce et la finesse de leurs traits, il avait la douleur de les voir, – et presque à vue d’oeil, – par l’effet seul du temps qui marchait, se flétrir et se faner, et se rider, et grisonner ; et tout d’un coup elles n’étaient plus du même âge que lui, elles ne se souciaient plus ni de courir, ni de monter à cheval, ni de jouer aux petits jeux, ni de rire, ni de danser, et leurs idées n’étaient plus les mêmes ; ils ne s’entendaient plus. Avouez qu’il fallait un grand fonds de gaieté à Pomme-d’Api pour résister à cela.

Il faisait là comme nous tous quand nous avons quinze ans : il enviait les gens de la trentaine. Il en voulait à la fée de le retenir frais et imberbe dans cet âge inférieur. – Quand donc vieillirai-je ? s’écriait-il. Et si la fée était venue lui dire que ce fameux âge mûr n’était que la jeunesse dépouillée de fleurs et d’ardeurs, il l’aurait, oui-da, bien reçue ! Joli Pomme-d’Api, vous n’êtes pas heureux, et je comprends bien que vous n’aimiez pas fée Perruque.

Cependant, de temps en temps, elle l’attirait dans son palais. La première fois qu’il était descendu sous la pierre du Sablon, il avait été ébloui : les lustres des galeries étaient en sucre candi, et les colonnes en sucre de pomme de Rouen ; les tables, les armoires et les commodes des chambres étaient en marqueterie de diamants d’Alençon. Mais un certain jour, en passant auprès d’un cabinet qu’il avait toujours vu fermé, et dont la porte se trouvait par malheur entr’ouverte, il aperçut, – vous devinez quoi ? – cent cinquante perruques alignées comme les femmes de Barbe-Bleue, et sur les consoles, tout autour, deux à trois mille pots de pommade, de parfums, d’eaux de senteur, d’onguents, de poudres, le tout exhalant une odeur à renverser un perruquier.

Pomme-d’Api ne dit mot sur le moment et fit semblant de n’avoir rien vu ; mais le lendemain, quand il repassa avec la fée devant la porte du cabinet :

– Qu’y a-t-il donc là ? lui demanda-t-il ; vous ne m’avez jamais montré cette chambre.
– Rien, rien, rien, répondit la fée Perruque en rougissant : c’est un cabinet, c’est un cabinet où je fais... un cabinet où je dépose... un cabinet où je mets mes balais et mes plumeaux.
– Hum ! hum ! dit le malin en mettant l’oeil et le nez à la serrure, comme ils sentent bon, vos balais, chère fée ! Ils sentent la pommade, ils sentent la pommade !

Et toutes les fois qu’il repassait devant le cabinet :

– Ça sent la pommade ! disait-il en se pinçant le nez, ça sent la pommade !

La malheureuse fée tombait dans le désespoir, car elle aimait toujours Pomme-d’Api, et elle voyait bien que tout ce qu’elle avait fait jusque-là pour lui plaire avait tourné contre elle ; et pourtant quelles séductions n’avait-elle pas essayées ! Elle l’avait doué d’éternelle jeunesse ; elle avait étalé sous ses yeux tout ce que les modistes, les couturières, les parfumeurs, les joailliers ont jamais imaginé pour réparer une femme défraîchie ; tout ce que les architectes, les ébénistes, les doreurs, les tapissiers, les orfèvres ont jamais bâti et décoré pour faire d’un palais enchanté la plus brillante, la plus riante, la plus moelleuse des habitations. Elle avait voulu le charmer par l’appât de la puissance en le faisant plus d’une fois monter sur le plus haut de la côte, là où fut, dans l’ancien temps, la fameuse tour du Sablon, et, lui découvrant le pays immense qui s’étend jusqu’à six lieues de là, elle lui disait :

– Vois-tu, Pomme-d’Api, la ferme des Hauts-Royaux et le clocher de Sainte-Gauburge, et le bourg de Saint-Cyr, et là-bas, là-bas, le donjon blanc du grand château de Nogent ? Tout cela, avec Bellesme, sera soumis à l’Angenardière si tu veux devenir le mari de la fée du Sablon, qui t’obéira comme une servante.

Pomme-d’Api branlait la tête : il n’aimait point ; rien n’y faisait. Fée Perruque se desséchait; elle eût donné son pouvoir et sa baguette pour un grain de mil.

La pauvre fée s’en allait le long des chemins, tout ahurie par sa douleur ; elle n’avait que son Pomme-d’Api en tête. Elle ne voyait plus rien de bon à faire en ce bas monde ; elle se disait : Si j’en avais fait la moitié autant pour les pauvres gens qui souffrent dans ces fermes, ils m’auraient aimée tendrement et je jouirais de leur bonheur. Comme elle en était là de ses pensées, elle rencontra dans le chemin creux qui monte à l’Angenardière un vieux mendiant aveugle qui tirait de sa besace un morceau de pain d’orge pour le partager avec son chien ; elle toucha de sa baguette la miche toute noire, qui se changea en délicieux bourdin, et, dès que l’homme en eut goûté, il se mit à dire :

– Ah ! les bons bourgeois de Bellesme, qui font du bien sans s’en vanter ; le bon Dieu le leur rendra ; ils seront aimés de tout le monde !

Fée Perruque fut émue de ces paroles ; elle continua son chemin jusqu’à Saint-Cyr-la-Rosière et alla dans l’église toucher de sa baguette le tronc des pauvres, où tous les liards furent changés en gros sous. Le bruit s’en répandit dans tout le pays et jusqu’au château de l’Angenardière, et l’on se demanda qui avait fait ce beau tour-là. Le jeune seigneur avait mis ses gardes en campagne, et de divers côtés ils revinrent lui dire ceci et cela, et qu’un jour on avait vu une bonne femme, qu’on pensait bien être la fée du Sablon, éteindre à elle toute seule l’incendie d’une grange, et la même bonne vieille guérir ailleurs la clavelée d’un troupeau, et même qu’une nuit, comme un carrier et sa femme étaient malades tous deux, elle les avait veillés et fournis de linge et de bonnes drogues.

Pomme-d’Api devint songeur en écoutant ces récits, et on le vit rôder des jours entiers autour de la pierre du Sablon ; mais la fée ne se montrait plus à lui ni au Sablon ni à l’Angenardière. Un soir que, sur son cheval, il revenait du bourg, il aperçut une vieille femme qui portait un bissac rempli des croûtes sèches dont les riches de Bellesme font aumône aux mendiants ; le bissac était si lourd, qu’elle en était toute pliée en deux, et elle ne pouvait pas retirer ses sabots de la boue des ornières. Elle était si flétrie et si cassée, et sa mante de laine grise si rapetassée et si dépenaillée, que Pomme-d’Api ne la reconnut point.

– Vous êtes donc bien fatiguée, ma bonne vieille ? lui dit-il ; voulez-vous que j’attache votre bissac sur la croupe de mon cheval ?
– Non, monsieur Pomme-d’Api, répondit la vieille d’une voix toute tremblante ; vous voilà arrivé chez vous, et moi, il faut que je porte ma charge un bon bout de chemin encore : c’est le pain des pauvres de l’abbaye.
– Eh bien ! la vieille, reprit Pomme-d’Api, montez en croupe avec votre bissac.

Elle ne voulait point ; mais Pomme-d’Api sauta à bas de son cheval et hissa la vieille bon gré, mal gré. A peine s’était-il mis en selle, qu’il se retourna vers elle, et, quoique ses rides fussent devenues très-profondes, il la reconnut, et le coeur du jeune homme se prit à battre bien fort. Il se rappela combien il avait été dur pour la pauvre vieille, et, posant sa main sur la main dont elle se retenait à la selle, il lui dit de sa voix la  plus douce :

– Bonne fée, me pardonnez-vous ?

Toute fée qu’on soit, le coeur parfois vous éclate ; Pomme-d’Api, regardant sous la coiffe de la vieille, vit qu’il en tombait des larmes.

– Me pardonnez-vous, bonne fée ? reprit-il. Vous m’avez laissé trop jeune ; c’est un peu votre faute. A cette heure, je suis jaloux du bien que vous faites ; j’y voudrais être pour quelque chose. Venez à l’Angenardière, et vous y serez la maîtresse ; vous vouliez être la servante, c’est moi qui serai votre serviteur ; nous vivrons là en faisant le bien aux pauvres gens.

La vieille fée ne répondait pas ; au bout d’un moment, elle lui dit d’une voix craintive :

– Vous m’avez bien des fois reproché, Pomme-d’Api, votre jeunesse et mes vieux ans. A cette jeunesse-là renonceriez-vous de bon coeur pour épouser une gentille petite femme de votre âge, qui, comme vous, aimerait la charité ?
– Vous me le demandez ? répondit Pomme-d’Api en sautant sur sa selle.
– Eh bien ! laissez-moi là, à la porte de l’abbaye, et attendez huit jours.

Au bout de huit jours, on vint annoncer à Pomme-d’Api qu’une toute jeune demoiselle, la plus jolie qu’on pût voir, et qui disait s’appeler mademoiselle du Sablon, demandait à lui parler. Il ne fit qu’un bond de sa chambre au jardin, où elle se promenait dans le parterre des fleurs. Elle était si belle et si radieuse, si gracieuse, si jeunette, que Pomme-d’Api n’osait s’approcher d’elle.

– C’est moi, lui dit-elle en souriant ; est-ce que je suis laide à vous faire peur ? est-ce que je vous semble aussi désagréable qu’autrefois, et ne voulez-vous donc plus de moi pour votre femme ?
– Ah ! madame, s’écria Pomme-d’Api, je suis indigne de tant de beauté et de tant d’amour !
– La beauté, n’en parlons plus, reprit-elle avec une petite moue ; ma beauté est comme la vôtre, elle ne durera plus qu’une quinzaine d’années ; mais notre amour, si vous vous plaisez dans le bien, il en durera cent, et même par delà. J’en vendu ma baguette et ma part de féerie à une mienne cousine qui demeure fort loin d’ici, et c’est pour cela que je vous ai demandé huit jours, puisqu’il n’y a plus de fées dans le Perche ni dans le Maine, et qu’il m’a fallu aller jusqu’au fin fond de la Bretagne. Ma baguette et mon pouvoir de fée pour des joues fraîches de quinze ans, ai-je fait un bon marché ? C’est votre affaire.
– Cent ans, cent mille ans, je vous adorerai, ma chère petite femme, lui répondit Pomme-d’Api, pourvu que vous ne mettiez plus ni perruque ni pommade ; mais vous m’êtes témoin que je n’avais pas attendu votre nouvelle jeunesse pour m’éprendre de ce que j’estimais en vous supérieur à l’éclat et à la puissance. La bonté est le plus grand des charmes.

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- FIN -

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