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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 6½ pages (16668 caractères)
Pays ou culture du conte : France.

Recueil : Contes du Pays Gallo

Le rouet enchanté

Adolphe Orain (1834-1918)

I

Il existait au temps jadis une pauvre femme, vieille et infirme, qui habitait une masure délabrée. Cette malheureuse avait la réputation d’être sorcière, et était, à cause de cela, abandonnée de tout le monde. Ceux qui croyaient qu’elle leur avait jeté des sorts ne passaient jamais devant sa porte sans lui dire des injures ou des méchancetés. Les autres la fuyaient.

Des histoires absurdes étaient débitées sur son compte :

Les uns l’avaient vue, le samedi soir, se rendre au sabbat, à cheval sur un balai.
D’autres l’avaient entendue, la nuit, battre son linge au bord du doué (1).
Le père Bouilleau s’était donné une entorse à la jambe, parce qu’il avait refusé d’occuper la sorcière pendant la moisson.
La mère Guenoche avait eu la fièvre parce que la sorcière avait marmotté des paroles incompréhensibles en passant devant sa maison.

L’infortunée bonne femme serait certainement morte de faim et de besoin, si une jeune ouvrière n’avait eu pitié d’elle. Marie n’était cependant pas riche, et n’avait pour vivre, que le produit de son travail de couturière ; mais elle avait bon cœur, et était indignée de la conduite de ses voisins envers la pauvre vieille.

Le propriétaire de la masure habitée par la chouette — comme l’appelaient encore les villageois — ennuyé de loger celle-ci gratis, la mit un jour à la porte.

La malheureuse, étendue comme Job sur son fumier, gémissait de sa misère et priait tous les saints du paradis de lui venir en aide.

Marie, informée de la triste situation de sa protégée, accourut à son secours. Elle la releva, l’aida à marcher, la conduisit dans sa propre demeure.

L’ouvrière offrit son lit à la sorcière, se réservant seulement une mauvaise paillasse qu’elle jeta dans un coin, disant qu’à son âge c’était suffisant et qu’on dormait bien partout.

Non seulement elle logea la vieille, mais elle l’entretint du mieux qu’elle put.

Des mois s’écoulèrent ainsi, et l’état de la bonne femme ne fit qu’empirer. Bientôt l’hiver vint, les dépenses augmentèrent car il fallait du feu, de la lumière, et les ressources de l’ouvrière allaient s’amoindrissant.

Les personnes qui lui donnaient du travail, contrariées de voir qu’elle avait recueilli la mendiante, se vengèrent en l’empêchant de gagner sa vie.

La pauvre enfant fut obligée de vendre, pour deux écus, une petite croix qui lui venait de sa mère et à laquelle elle tenait beaucoup. Cet argent lui servit à acheter des remèdes pour la malade.

Une autre fois elle vendit son linge et ses hardes, parce qu’il n’y avait plus de pain à la maison, et ne conserva qu’une simple petite robe d’indienne, bien insuffisante pour la préserver du froid.

La vieille la remerciait avec effusion et lui répétait sans cesse : « Courage, courage, fille vaillante, un jour viendra où tu auras jupon et corset, ainsi que de la laine pour te faire des chausses (2). »

Une nuit que Marie ne dormait pas, tourmentée par la crainte de ne plus pouvoir suffire aux besoins de son petit ménage, elle entendit la voix affaiblie de la malade l’appeler près d’elle. Elle courut au chevet de la vieille qui, rassemblant toutes ses forces, lui dit :

« Ma chère enfant, je sens que je vais mourir, mais avant de te quitter je veux te faire une confidence, et te récompenser de l’attachement que tu m’as toujours témoigné. Écoute-moi bien : j’aurais pu être riche si j’avais voulu ; mais j’ai préféré endurer la misère afin de racheter mes vieux péchés.
« Il n’en est pas de même pour toi, ta conscience est pure et tu n’as rien à te faire pardonner.
« Je sais aussi que tu aimes le fils du meunier ton voisin et que tu en es aimée. Seulement le père de ce jeune homme, riche et avare, ne consentira jamais à votre mariage parce que tu ne possèdes rien. Or, je veux te léguer un trésor qui te fera avant peu, sois-en certaine, la plus riche héritière de la contrée. »

Marie se mit à pleurer, croyant que la moribonde avait le délire et ne savait plus ce qu’elle disait.

La malade ne vit pas les larmes de la jeune fille et continua :

« Lorsque je ne serai plus, tu t’en iras dans la grotte du rocher d’Uzel. Là se trouve l’objet qui doit faire ton bonheur.
« Il faudra t’armer de courage, car il y a loin d’ici cette grotte, et l’entrée en est difficile. Tu auras bien des obstacles à vaincre ; mais avec de la persévérance tu parviendras à surmonter toutes les difficultés. »

La voix de la mourante allait s’affaiblissant. Bientôt il ne lui fut plus possible de parler. Sa main chercha celle de Marie pour la porter à ses lèvres. De grosses larmes roulèrent le long de ses joues creuses. Ses yeux déjà ternes et morts s’élevèrent une dernière fois vers le ciel. Elle sembla marmotter une prière, puis son âme s’envola dans un soupir.

La pauvre vieille avait cessé de vivre.

L’ouvrière pleura la bonne femme comme elle avait pleuré sa mère morte depuis longtemps. Elle lui rendit les derniers devoirs, lui ferma les yeux et l’ensevelit elle-même.

II

Au printemps suivant, Marie se souvint des dernières paroles de la morte. Souvent elle y songea, et enfin résolut de se rendre à la grotte d’Uzel, non pour y chercher la fortune qui ne la tentait guère, mais pour se conformer au désir de sa vieille amie.

Ce ne fut pas sans une certaine appréhension qu’elle se décida à entreprendre ce voyage à aller seule vers cet endroit désert qui était un lieu d’effroi, à plus de sept lieues à la ronde.

On racontait sur cette grotte des récits effrayants. Les paysans ne passaient jamais devant sans se signer et, quand ils le pouvaient, faisaient de long détours pour l’éviter.

Enfin, s’armant de courage, un matin, Marie se mit en route. Il n’y avait point de sentier tracé, elle s’égara plusieurs fois et n’arriva que dans l’après-midi près du rocher d’Uzel.

Son courage fut bien près de l’abandonner en voyant une campagne aride et sauvage, où croissaient des ronces et des épines qui l’empêchaient d’avancer. Les ronces recouvraient la grotte entière qui semblait ainsi vouloir se dérober à tous les regards.

La jeune fille, presque effrayée, alla s’asseoir au pied d’un arbre où, sous les rayons d’un premier soleil d’avril, elle ne tarda pas s’endormir.

Elle vit, en rêve, le vieille femme sur son lit de mort qui lui dit encore :

« Je te lègue un trésor qui m’appartient et qui te fera la plus riche héritière du village. Tu épouseras Louis, ton beau voisin qui t’aime. » Puis la dormeuse se trouva au milieu d’un atelier rempli d’ouvrières. Elle se vit, elle-même, vêtue d’une toilette simple mais presque élégante, distribuant la besogne, indiquant comment s’y prendre pour aller plus vite et mieux faire, recevant les clients, rédigeant les notes, comptant l’argent, etc. L’image de Louis lui apparut également. Il la conduisait à l’église et tous les habitants du hameau les complimentaient et les admiraient.

Au bout de quelques heures elle se réveilla. Se rappelant alors son rêve, elle murmura : « C’est la bonne vieille qui, du haut du ciel, veille sur moi et m’invite à accomplir ses dernières volontés. »

Surmontant ses terreurs, elle se dirigea vers la grotte et, une branche d’arbre à la main, frappa de toutes ses forces, les ronces et les orties pour se frayer un passage.

Elle entra résolument dans une espèce de souterrain. Peu à peu, ses yeux s’habituant à l’obscurité, elle aperçut une autre ouverture conduisant à une seconde pièce éclairée par quelques rayons de soleil qui filtraient à travers les fissures du rocher.

Marie hésitait à entrer, lorsqu’elle s’arrêta, surprise, en entendant un chant, d’une douceur ineffable, qui la rassura complètement et lui donna le courage d’avancer.

D’abord elle ne vit rien. Puis ayant fait le tour de la grotte, elle constata qu’elle était vide. Un vieux rouet seul, oublié dans un coin, paraissait avoir été abandonné à cause, sans doute, de son mauvais état.

L’ouvrière s’en approcha et remarqua qu’il était tout mirodé (3), et qu’il avait dû être, autrefois, un objet de valeur. À sa forme ancienne, elle supposa qu’il avait plus de cent ans d’existence.

Elle fureta dans tous les coins afin de découvrir le chanteur qui l’avait charmée : mais ses recherches furent vaines, et cependant il était impossible de fuir, puisqu’il n’y avait pas d’autre issue.

Marie, découragée, s’apprêtait à retourner sur ses pas, quand elle s’entendit appeler par son nom.

Les paroles semblaient sortir du rouet.

La jeune fille regarda de son mieux et découvrit, juché sur le poignée du rouet, un petit nain si petit, si petit qu’il était à peine visible. Il fit tout à coup tourner la roue de l’instrument avec une adresse étonnante, et se mit à filer de la laine qui, passant par ses doigts agiles, devint plus fine que les fils de la Vierge que l’on voit sur les landes, après les premières gelées d’octobre.

Le nain, tout en travaillant, recommença sa chanson. Voici ce qu’il disait :

« Viens voir mon travail, Marie, et dis-moi si tu es contente.
« Si tu crois qu’on peut mieux faire, je tâcherai de te satisfaire, car je suis ton ouvrier.
« Le rouet et moi nous t’appartenons. Nous travaillerons jour et nuit, jusqu’à ce que tu sois riche, mariée et heureuse. J’en ai pris l’engagement envers la pauvre vieille qui a rendu son âme à Dieu et les lutins ne trahissent jamais leurs promesses. »

La jeune fille émerveillée du travail du nain et de la rapidité avec laquelle les fuseaux se succédaient, lui demanda ce qu’elle devait faire.

— Rien, répondit-il ; me permettre seulement de t’accompagner et d’envoyer le rouet chez toi.
— Je veux bien que tu m’accompagnes, joli chanteur et ouvrier sans égal : mais ce n’est pas toi qui est capable d’emporter le rouet, il est trop lourd pour ta petite taille.
— Rassure-toi ; je peux devenir aussi grand qu’un chêne et aussi fort qu’un lion, quand cela est nécessaire. Je puis encore, — et cela est un de mes plus beaux dons — me rendre invisible aux yeux des gens.

Et sans plus tarder, le nain devenant grand comme un homme, chargea le rouet sur ses épaules et invita la jeune fille à le suivre.

Il la conduisit, par un chemin de lui seul connu, à travers des prairies remplies de fleurs, le long de petits ruisselets gazouillant sur les galets. Les sentiers qu’ils parcouraient étaient tapissés de mousse que Marie foulait de ses pieds, sans se fatiguer et sans s’apercevoir de la longueur du chemin. D’ailleurs, le lutin, qui marchait le premier pour indiquer la route, chantait la chanson suivante que la fillette écoutait avec intérêt :

Mon père a fait faire
Un p’tit bois taillis, (bis)
Tous’ les oiseaux du monde,
Y vont faire leurs nids.
Donn’ ton cœur mignonne,
Ton, ton, ton, petit ton,
Donn’ ton cœur mignonne,
Ton petit cœur joli.

Tous les oiseaux du monde
Y vont faire leurs nids, (bis)
La caill’ la tourterelle,
La jolie perderix.
Donn’ ton cœur, etc.

La caill’, la tourterelle,
La jolie perderix, (bis)
Et le rossignolet,
Qui chante jour et nuit,
Donn’ ton cœur, etc.

Et le rossignolet,
Qui chante jour et nuit, (bis)
Il chante pour les gars
Qui n’ont point d’bonn’z’amies.
Donn’ ton cœur, etc.

Il chante pour les gars
Qui n’ont point d’bonn’z’amies ; (bis)
Il ne chant’ point pour moi,
Car j’en ai un’ jolie !
Donn’ ton cœur, etc.

Il ne chant’ point pour moi
Car j’en ai une jolie ! (bis)
Elle est dans la Hollande,
Les Hollandais l’ont pris’.
Donn’ ton cœur, etc.

Elle est dans la Hollande,
Les Hollandais l’ont pris’ (bis)
Que donnerais-tu gars,
À qui irait la cri (4) ?
Donn’ ton cœur, etc.

Que donnerais-tu gars,
À qui irait la cri ? (bis)

Je donn’rais ben tout Rennes
Paris et Saint-Denis.
Donn’ ton cœur, etc.

Je donn’rais ben tout Rennes,
Paris et Saint-Denis ; (bis)
Et la claire fontaine,
Qui coule jour et nuit.
Donn’ ton cœur, etc.

Et la claire fontaine,
Qui coule jour et nuit, (bis)
Par la force qu’elle a,
Fait moudre trois moulins.
Donn’ ton cœur, etc.

Par la force qu’elle a,
Fait moudre trois moulins, (bis)
Y’en a un qui moud l’orge,
Et l’autr’ le poivre fin,
Donn’ ton cœur, etc.

Y’en a un qui moud l’orge,
Et l’autr’ le poivre fin. (bis)
Le troisième la cannelle;
Pour un vieux médecin,
Donn’ ton cœur, etc.

Le troisième la cannelle;

Pour un vieux médecin, (bis)
Qui la donne à ces filles
Qui n’ont pas le cœur sain.
Donn’ ton cœur mignonne,
Ton, ton, ton, petit ton,
Donn’ ton cœur mignonne,
Je garderai le mien.

III

Lorsque le rouet fut monté et placé dans la chambre de Marie, le lutin lui dit :

« Chère enfant, ce rouet est le trésor promis par ta vieille amie. Tu n’auras qu’à changer la quenouille de laine, et aussitôt elle sera convertie en écheveaux dont tu trouveras facilement le placement.
« Quant à moi, ajouta-t-il, je vais redevenir invisible, néanmoins, je ne te quitterai pas, et je veillerai sans cesse à ton bonheur. »

L’ouvrière eut un véritable chagrin de voir disparaître le bon petit nain ; mais elle comprit qu’il avait sans doute ses raisons pour agir de la sorte et, ne voulant pas être indiscrète, elle se contenta de le remercierde tout ce qu’il voulait bien faire pour elle.

Le rouet ne s’arrêta ni jour ni nuit. La laine n’était pas plus tôt sur la quenouille qu’elle était immédiatement changée en écheveaux que les acheteurs se disputaient. Chaque jour ils en offraient un prix plus élevé.

L’aisance revint promptement dans le ménage de la fillette. Elle racheta la croix de sa mère, du linge, des hardes, des meubles et refit son nid plus chaud qu’il n’était avant l’arrivée de la sorcière.

Ses voisins s’étonnèrent du bien-être de Marie et en cherchèrent la cause.

Les plus curieux imaginèrent un prétexte pour s’introduire chez la jeune fille, et l’un d’eux, plus malin que les autres, découvrit qu’elle avait un rouet qui tournait tout seul.

Le bruit s’en répandit promptement. On crut à un sortilège, et la pauvre enfant fut en butte, à son tour, à la jalousie et à la méchanceté des gens du village.

Les plus osés l’insultèrent, mais furent terriblement punis : ils furent paralysés, les uns de la langue pour avoir dit des injures, les autres du bras pour avoir menacé. Malgré tout ce que put faire Marie près du lutin pour leur rendre la santé, car son bon cœur leur avait pardonné, ils restèrent ainsi un an et un jour.

Cette leçon leur profita. À partir de ce moment, les plus exaspérés se calmèrent et personne n’osa plus rien dire.

Comme l’ouvrière était bonne avec tout le monde, compatissante avec les affligés, généreuse avec les pauvres, on supposa bien qu’elle n’avait pas vendu son âme au diable, et l’on finit, sinon par l’aimer, du moins par l’accueillir convenablement partout.

D’ailleurs avec les années elle était devenue riche et son rêve s’était réalisé. Elle avait créé un atelier important, de nombreuses ouvrières travaillaient autour d’elle. La maison qu’elle occupait lui appartenait, ainsi que plusieurs pièces de terre autour du hameau.

Tous les pères de famille l’enviaient pour leurs fils, et le père du beau meunier lui-même y songeait depuis longtemps.

Or un matin, le vieillard s’en alla demander la main de Marie pour son gars. Il fit valoir sa fortune, les qualités de son fils Louis, et n’eut pas trop de peine à décider la jeune fille à devenir sa bru. Louis était, d’ailleurs, un honnête garçon que Marie aimait de toute son âme.

Les fiançailles eurent lieu et la noce les suivit de près.

Le matin de cet heureux jour, de nombreux invités se réunirent chez la mariée. Les violons partirent en tête et tous les couples défilèrent le uns après les autres. Les filles avaient de tabliers rouges qui faisaient aboyer les chiens sur les portes. Les oies et les canards eux-mêmes cessaient de barboter pour regarder passer la noce.

Les jeunes époux furent très heureux. Ils eurent de nombreux enfants que le petit nain continua d’enrichir, car il ne cessa de tourner son rouet qu’à la mort de Marie qui vécut jusqu’à quatre-vingt-quinze ans.

(Conté par le père Marmel, facteur rural de Bain à Pléchâtel.)

1. Sorte de mare servant de lavoir dans les villages.
2. Bas, chaussettes.
3. Sculpté.
4. Chercher.

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- FIN -

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