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Toute la Cour du Royaume Imaginaire était réunie dans la salle des fêtes du palais, où devait avoir lieu, ce matin-là, le baptême du petit prince Frisselis, héritier présomptif de la couronne. Chambellans, dignitaires, ministres, grands seigneurs et belles dames étaient venus de dix lieues à la ronde pour assister à l'auguste cérémonie, et ils attendaient avec une impatience facile à comprendre le moment solennel où les portes s'ouvriraient à larges battants et livreraient passage au cortège royal.
L'attente ne fut pas longue, car bientôt, deux magnifiques huissiers à chaînes annoncèrent gravement : « Le Roi !... La Reine !... » Et le couple royal, dans ses plus somptueux habits de gala, pénétra dans la salle pendant que les grandes dames, grands seigneurs, ministres, dignitaires et chambellans, pour bien marquer leur respect, se penchaient vers le parquet, en faisant les génuflexions les plus plates. Quatre servantes, magnifiquement parées, apparurent ensuite, portant un palanquin sur lequel se trouvait placée une longue corbeille ; c'était le berceau qu'elles déposèrent au pied du trône. « Seigneurs et dames de la cour, dit aussitôt le roi, je vous présente Frisselis, prince héritier de la couronne. C'est pour assister à son baptême, que je vous ai conviés aujourd'hui. Nous allons y procéder sur le champ. » Et ce disant, il prit le royal poupon, et l'élevant au-dessus de sa tête le montra à l'assistance. Inutile de dire que le murmure le plus flatteur s'ensuivit. Pendant quelques minutes, on n'entendit que ces mots prononcés à mi-voix, et qui volaient de bouche en bouche : « Oh ! le bel enfant !... Qu'il est joli !... Qu'il est mignon !... » Le prince Frisselis était en effet un fort beau bébé, frais, rose, avec deux petites joues toutes pareilles à des pommes d'api. Ses yeux étaient clairs, intelligents, et se portaient de l'un à l'autre avec la plus grande vivacité. Mais ce qu'il y avait de plus remarquable chez lui, c'était encore la bonne humeur empreinte sur son visage, où s'épanouissait, comme une fleur de printemps, le sourire le plus gracieux qu'il fût possible de voir. Depuis le moment où il était né, c'est-à-dire depuis huit jours, non seulement il n'avait pas pleuré une seule fois, mais encore sa jolie petite frimousse ne s'était même pas renfrognée une seconde. Le petit prince donna d'ailleurs, ce matin-là, la meilleure preuve de son excellent et radieux caractère. En effet, la cérémonie du baptême, à laquelle procédèrent trois grands prêtres en robes rouges, fut fort longue et fort compliquée. On eût pu croire que Frisselis en montrerait de l'énervement et de l'impatience ! Il fut au contraire aussi sage q'une image et, souriant de plus en plus à mesure que le baptême se prolongeait, c'est à peine s'il bougea dans les bras de sa marraine !... La cérémonie allait prendre fin quand, tout à coup, un grand massif de camélias blancs, qui tenait le milieu de la salle, s'entr'ouvrit... Et, vêtues de belles robes blanches, roses, bleues, aux éroffes chatoyantes et constellées de pierres précieuses, des fées, toutes les fées du royaume, apparurent... Car j'avais oublié de le dire : en ce temps-là, il y avait encore des fées !... Pourquoi venaient-elles toutes ainsi au baptême de Frisselis ?... Mais tout simplement parce que les fées assistent toujours au baptême des petits princes pour leur faire don, d'un coup de leurs baguettes magiques, des plus belles qualités du coeur et de l'esprit !... Et c'est ainsi que la fée Brise-d'Avril donna à Frisselis la grâce, la fée Folle-Avoine, la bonté, la fée Ciel-Léger le courage, et d'autres la douceur, l'énergie, la modestie, la franchise... Mais voilà que, tout à coup, du beau massif de camélias blancs, surgit une sorte de vieille sorcière, plus laide à voir que les sept péchés capitaux. Elle avait un vilain nez tout crochu, une horrible bouche toute édentée. Et il eût été difficile de dire lequel était le plus long, ou du nez, ou du menton !... De plus, elle était vêtue ridiculement d'une robe de soie jaune à grands ramages verts, qui formait crinoline autour de son petit corps ratatiné, et d'un incommensurable chapeau en feutre rouge, qu'agrémentait un grand oiseau bleu de ciel. Cette caricature n'était autre que la fée Totorote, l'une des fées les plus grincheuses qu'il y eût à cent lieues à la ronde !... Une explosion de rire salua l'entrée de cet épouvantail, qui eut certainement mis en fuite tous les moineaux du royaume !... Le petit prince lui-même, ouvrant comme un O majuscule sa jolie petite bouche, pouffa !... Et ce fût si drôle de voir ce poupon de huit jours éclater de rire au nez de la vieille fée que les trois grands prêtres eux-mêmes, malgré leur dignité habituelle, se mêlèrent à l'hilarité générale ! La fée Totorote, suffoquée par la colère, s'arrêta au milieu de la salle. Son visage était devenu apoplectique. On crut un instant qu'elle allait avoir une attaque. « Ah ! c'est ainsi ! murmura-t-elle rageuse. On me tourne en ridicule !... On se moque de moi !... Eh bien ! je vais me venger ! » Et levant sa baguette magique vers Frisselis : « Petit prince qui rit de la Totorote, continua-t-elle, tu viens de rire pour la dernière fois ! A partir d'aujourd'hui, tu ne riras plus... plus jamais... plus jamais !... » Et tandis qu'à la surprise de tous le rire se figeait sur les lèvres du bébé, et la vieille fée disparut. Totorote avait dit vrai !... Plus jamais, plus jamais, le prince Frisselis ne rit !.. Il grandit, sérieux et mélancolique, et plusieurs années s'écoulèrent sans qu'un seul sourire vînt jamais effleurer le coin de sa bouche !... Ses petits camarades avaient beau rire autour de lui, parmi les larges pelouses vertes où ils nouaient leurs rondes joyeuses, jamais Frisselis ne riait !... Il jouait bien comme les autres, mais enconservant l'étrange immobilité de visage dont il ne s'était plus départi, depuis le jour de son baptême... Le roi et la reine étaient désespérés !... Que faire pour guérir le petit prince ? Pendant plusieurs années les deux souverains firent fouiller tous les coins et recoins de leur royaume, dans l'espoir de retrouver la fée Totorote à laquelle ils comptaient offrir une fortune si elle consentait à lever le mauvais sort qu'elle avait jeté sur leur fils !... Mais toutes les recherches furent infructueuses !... La vieille fée resta introuvable !... Alors le roi et la reine firent venir du fond du pays et des pays environnants, tous le médecins qui avaient quelque réputation. Ils firent même appel aux charlatans et aux rebouteux de village !... Un grand congrès, où se réunirent tous ces hommes de science, eut lieu ; et l'on agita les moyens les plus divers et les plus insensés, pour rendre la gaieté au petit prince. L'un proposa de le faire voyager, un autre de lui souffler du gaz hilarant dans les oreilles, un troisième de lui chatouiller la plante des pieds avec une paille. Quelque invraisemblables et extravagants qu'ils fussent, tous ces traitements furent essayés, et bien d'autres encore qu'il serait trop long d'énumérer !... Mais rien ne réussit, hélas ! Ces expériences n'avaient même fait qu'aggraver l'état du petit prince qui, s'étant aperçu de son infirmité, en éprouvait la plus grande tristesse. Le roi et la reine, qui avaient compris que le mal dont souffrait leur fils ne ferait qu'augmenter s'il voyait les ravages produits sur son visage, avaient proscrit l'usage des miroirs. Cela n'avait du reste amené aucune amélioration, et les années passèrent les unes après les autres, sans que le moindre changement se produisit. Le père et la mère de Frisselis étaient devenus presque fous de douleur, et, comme eux aussi depuis bien longtemps ne riaient plus, la pensée seule que d'autres personnes pouvaient rire leur devint insupportable. Ils prirent donc un grand parti et, un matin, donnèrent l'ordre de réunir toute la cour. Puis, lorsque chambellans, dignitaires, ministres, grands seigneurs et belles dames se trouvèrent assemblés, comme le jour du baptême : « Seigneurs et dames de la cour, prononça gravement le roi, le prince Frisselis, ici présent, n'ayant jamais connu la joie de rire, il est, de par ma volonté, à partir d'aujourd'hui et jusqu'à nouvel ordre, interdit à tous mes sujets de rire, sous peine de voir leurs biens confisqués et leur tête tranchée ! » Un frisson courut dans l'assistance ! Belles dames, grands seigneurs, ministres, dignitaires et chambellans se regardaient atterrés, se sachant si le roi devenait subitement insensé ou se moquait d'eux !... Mais au même instant, un aigre et bruyant éclat de rire s'éleva au milieu de la salle, et tous les assistants se tournèrent avec stupeur vers l'endroit d'où il partait... Et dans le beau massif de camélias blancs, ils virent qui ? la fée Totorote, l'affreuse et vieille Totorote, plus ridicule que jamais dans sa robe de soie jaune, à grands ramages verts, et avec son incommensurable chapeau rouge au grand oiseau bleu de ciel !... Et elle était si comique, et le rire qui la secouait avait des notes si inattendues, qu'il ne se trouvait certainement pas à ce moment là une seule personne dans l'assistance, sauf le prince Frisselis, bien entendu, qui n'eût envie d'éclater de rire ! Mais chacun se rappelait l'ordre royal, et personne n'osa !... « Sire, dit alors la vieille fée, vous avez été chercher bien loin les moyens de guérir votre fils, et vous avez supprimé le seul qui fût vraiment efficace !... Le roi regarda Totorote avec stupéfaction, et tout le monde crut qu'elle se moquait de lui. Elle continua : « Ce sont les miroirs et les glaces, où le prince aurait pu voir, en se regardant, combien il est... ridicule. Or rien ne vaut, croyez-moi, l'observation de soi-même, quand on veut se corriger de quelque défaut !... » Tout en parlant, la fée avait sorti un miroir de sa poche. Elle plaça alors devant les yeux du prince qui, ne s'étant jamais vu, se trouva comiquement lugubre qu'il éclata de rire. « Que vous disais-je, sire ?... dit Totorote. Voilà votre fils guéri, et guéri malgré moi, car je n'avais pas encore levé mon mauvais sort ! » Puis se tournant vers Frisselis : « Prince, lui dit la vieille femme, te voilà guéri et pardonné !... Mais que cette leçon te serve, et à vous aussi, qui vous étiez moqué de moi !... N'oubliez pas en effet qu'on ne doit jamais, quand on est jeune, se rire des vieux et des vieilles, aussi ridicules qu'ils puissent être !... » Et sur ces mots, la fée Totorote disparut comme elle était venue, tandis que le prince Frisselis, heureux de rattraper le temps perdu, était pris d'une inextinguible crise de fou-rire, en se rappelant la tête qu'il avait quelques minutes plus tôt. |
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Biographie et autres contes de Henry de Gorsse. Pays : France | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : baguette magique | baptême | bébé | berceau | fée | médecin | miroir | rire | sorcière | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
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