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Il y avait une fois une grande forêt. Elle se dressait à la lisière des champs et des pâturages, haute et sombre comme une citadelle, si vaste qu’elle barrait tout un pan de l’horizon. À l’ombre de la forêt s’étendaient des plaines fertiles, et ces plaines étaient habitées par un peuple dont l’histoire n’a pas conservé le nom. Ces gens cultivaient leurs terres, élevaient des troupeaux, obéissaient aux usages, aimaient et mouraient selon la loi commune. Au Nord la forêt, au Sud de hautes montagnes les séparaient presque entièrement du reste du monde. Ils ne connaissaient des contrées voisines que ce que leur révélaient les visites rares de voyageurs égarés ou de hardis marchands, et ne désiraient pas en connaître davantage, leur sol étant fécond et suffisant à leurs besoins. La forêt leur donnait du bois en abondance pour les foyers et les édifices ; les bêtes sauvages qui s’en échappaient venaient se faire prendre dans leurs pièges et les fournissaient de venaison. Elle assurait ainsi à la fois leur repos et leur richesse ; pourtant ils évitaient de jamais pénétrer plus loin que sa lisière, où les troncs espacés leur permettaient d’apercevoir encore derrière eux leurs champs et leurs maisons, et ses profondeurs mystérieuses leur étaient une source de terreur. Il advint que leur roi mourut, alors que son unique héritier n’était encore qu’un très jeune garçon. Le petit prince grandit en paix, entouré de tuteurs et de régents ; mais son plus intime ami et son meilleur conseiller fut un étranger, venu longtemps auparavant des contrées du Sud, qui s’étendent le long de la mer. Il décrivait sa patrie comme une presqu’île desséchée et presque aride, semée pourtant d’oliviers ; mais bien qu’elle fût – il l’avouait lui-même – moins riante et moins fertile que le pays à l’ombre de la forêt, il en parlait avec tant d’amour, que le jeune prince demeurait sous le charme en l’écoutant. Il dépeignait de longues processions, cavaliers, adolescents et jeunes filles, qui gravissaient en chantant les collines sacrées ; des temples couronnaient ces collines, des sanctuaires grandioses et délicats où s’abritaient les statues des dieux et des déesses, si belles qu’on les devinait non point de vulgaires images, mais bien la preuve visible de la divinité. Il décrivait aussi les longues arènes entourées de gradins où s’exerçaient les jeunes hommes, le labeur patient par lequel ceux-ci se préparaient aux jeux, et les soins incessants qui, après de longues années, leur méritaient les odes des poètes, les acclamations de la foule et les honneurs des cités. Le jeune prince ne se lassait pas de redemander ces récits, et l’étranger ne pouvait se lasser de les répéter, évoquant à ses yeux les corps frottés d’huile, tordus dans l’horreur de la lutte ou se ramassant pour la détente, la foule ondulant au soleil, les pieds nus volant sur le sable. Il avait naturellement conçu le désir de répéter ces prouesses et, dès qu’il eut seize ans, il commença de s’exercer. Il savait déjà qu’il faut éviter les aliments grossiers, les lourdes venaisons et les boissons fermentées ; il connaissait aussi l’influence bienfaisante des bains fréquents, qui gardent la peau saine et reposent des fatigues. Il apprit à courir, à lutter, à sauter, à lancer au loin de lourdes pierres, à franchir les murs, à frapper des deux mains, à dresser de jeunes chevaux, à franchir à la nage les rivières. Il sut comment poursuivre dans les prés les poulains à demi sauvages, comment les approcher en secret, les surprendre d’un saut et les maintenir par force, les dompter par la fatigue. Il alla parmi les bûcherons qui vivaient à la lisière de la forêt, et mania la lourde cognée. Au milieu des chasseurs, il débrouilla des pistes et suivit tout le long du jour les bêtes égarées ou blessées. Mais il comprit surtout que chacun de ces exercices n’était qu’un jeu sans importance, un des moyens qui donnent l’équilibre parfait, et cet état de force harmonieuse qui rend semblable aux dieux. À vingt ans, le prince était d’une beauté splendide. Quand il parcourait à cheval les plaines de son royaume, vêtu seulement de grègues1 en cuir et d’un manteau de laine qui flottait au vent, les femmes et les jeunes filles le regardaient passer en retenant leur souffle. Également noble de visage et de corps, dans l’action comme au repos, plein de grâce et de puissance mesurée, il gardait au milieu de l’effort le souci inconscient des pures attitudes, et les moindres de ses gestes paraissaient des bienfaits. Quand le moment fut venu de lui choisir une épouse, l’Étranger parcourut le royaume en tous sens, car il avait fait entendre au jeune roi qu’il se devait d’écarter toute distinction de rang ou de caste, et de n’épouser qu’une jeune fille qui fût son égale en beauté. Ils fonderaient ainsi une race de mortels qui feraient renaître sur la terre la grâce des dieux exilés. Pourtant ni parmi les nobles, ni parmi les marchands, ni parmi les laboureurs il ne se put trouver de vierge assez irréprochable. Plein de tristesse, le prince songeait avec douleur à sa beauté perdue. Une nuit enfin, quelque dieu lui permit un rêve. Il se vit pénétrant jusqu’au cœur de la grande forêt, et découvrant une femme qui dormait parmi les branches, couchée sur un lit de mousse. Toutes les grâces la paraient. Le lendemain il questionna les bûcherons : ceux-ci lui apprirent que, d’après une très ancienne légende, une Enchanteresse était endormie au centre de la forêt mystérieuse, attendant d’être réveillée. Aussitôt le prince manda près de lui les meilleurs et les plus endurants parmi les chasseurs et les paysans, parmi les vagabonds et ceux qui les poursuivent, parmi les soldats exercés aux longues marches et les messagers endurcis aux fatigues. Tous étaient semblables, maigres et forts, avec des flancs creux et des poitrines profondes, trempés par la vie simple et les durs labeurs, infatigables, pleins de ruse et de courage. Le prince leur dit qu’il les chargeait de ramener l’Enchanteresse ; il leur promit de l’argent et des honneurs, les munit de provisions et les envoya dans la forêt. Au bout d’un an et un jour, sept d’entre eux revinrent, hâves et nus, les mains vides. « Prince, dirent-ils, la forêt est trop sauvage et trop grande : aucun homme ne pourrait pénétrer jusqu’à son cœur. » Or, cette nuit-là, le prince rêva de nouveau qu’il voyait l’Enchanteresse, plus belle encore que la première fois. Alors il réunit en son palais les bûcherons, les forgerons et les tailleurs de pierre, ceux qui portent de lourds fardeaux, ceux qui manient des outils pesants, ceux qui travaillent dans les carrières ou dressent debout les colonnes des édifices, tous ceux enfin qui luttent avec les choses inanimées. Certains d’entre ceux-là s’élevaient hauts et droits comme des chênes ; d’autres au contraire se ramassaient courts, trapus et noueux comme des saules ; mais tous avaient de larges torses et des épaules pesantes, des reins et des muscles épais, avec des poignets semblables à des faisceaux de câbles. Et ils étaient plus de mille. Il les assembla donc, leur fit donner des cognées, et leur ordonna de tailler dans la forêt une route qui la traverserait d’outre en outre. Ils attaquèrent la forêt tous ensemble, travaillant jour et nuit et frappant avec tant de force que le heurt de leurs cognées sur les troncs emplissait les plaines comme un grondement incessant de tonnerre. Mais les arbres abattus croissaient de nouveau derrière eux, et les herbes et les broussailles repoussaient aussitôt que détruites, plus nombreuses et plus touffues, noyant la route commencée. Au bout d’un an et un jour celle-ci n’avait point avancé de cent pas. Découragé, le prince ordonna de cesser le travail. Puis, ayant rêvé pour la troisième fois qu’il voyait l’Enchanteresse, dont aucunes paroles humaines, cette nuit-là, n’eussent pu dépeindre le charme et le rayonnement, il s’en fut en secret le lendemain, sans consulter personne, et s’alla perdre, tout seul, dans la forêt. Il marcha pendant un an et un jour, se nourrissant de fruits et de racines. Les épines déchirèrent ses pieds ; des rameaux pointus le blessèrent au visage ; il souffrit tour à tour de l’écrasant soleil et de la bise glacée, pensa mourir de faim, de soif et de fatigue. Une fois, s’étant penché sur une source, il se vit décharné, haché par les cicatrices, les lèvres gercées, tout misérable enfin. Le désespoir l’abattit alors au pied d’un arbre et il pleura longuement, car il se sentait à bout de forces. Mais au soir de ce jour-là, ayant accompli l’ordre des dieux, souffert et peiné lui-même pour obtenir celle qu’il aimait, la vierge unique avec laquelle il devait fonder une race divine – au soir de ce jour-là, il découvrit l’Enchanteresse. 1. Hauts-de-chausses |
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Biographie et autres contes de Louis Hémon. Pays : France | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : enchanteresse | étranger | forêt | rêve | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
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