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- La première fois que j’y descendis… Je la regardai, ne comprenant pas. Elle, sur le trottoir, cette belle créature de Dieu, morceau de prince ou de multi-millionnaire, qui n’avait qu’à dégrafer, comme Phryné, sa chemise pour que les plus grands artistes tombassent à ses pieds et dont l’hôtel, avenue du Bois, semblait un palais d’ambassade, elle avait fait sur l’asphalte, d’un réverbère à l’autre, les cent pas de la basse prostitution… - Alimentaire, oui, mon petit. Et tu sais, ce n’est pas drôle. Et, ce disant, elle se laissa tomber sur la peau d’ours du divan et, la tête basse, les mains enfoncées dans le buisson d’or de ses cheveux de walkure, elle s’hallucina d’abord, les yeux fixes, sur des choses du passé… qui passaient. - Il roule, le trottoir roulant, ah ! comme il roule… Mais, que veux-tu, il faut bien débuter ! Et elle se redressa, et s’assit, souriante. Son mot de fataliste à la blague l’égayait elle-même : « Débuter ! » Dans quel art !... - Ce qu’il y a d’épatant, reprit-elle, c’est que je me les rappelle tous, tous, tous, et les vieux et les jeunes. Je les reconnaîtrais. Et les mains campées aux hanches, le regard haut et droit, elle me lança ce : « qu’il mourût » en plein visage. - Saperlipopette fis-je. « Et voilà qu’un jour je le devins, ou plutôt je crus l’être devenue. Un sale rhume, soigné par le mépris. Pleurésie, hôpital, lâchage du monsieur en titre et des intérimaires, toute la dégoulinade, et pas un sou à la caisse d’épargne. A ma sortie de la maison Dieu, j’étais rentrée dans la mienne. Vite un coup d’oeil au miroir. Plus rien, ni ici, ni là, une figure de déterrée, un corps à tenir dans un fourreau de parapluie. Fichue, la Geraldine ! Tu vaux cent sous, me dis-je. Allons-y. - Pauvre fille ! Elle disparut dans sa chambre et en revint avec un médaillon d’or bruni, en forme de reliquaire, qu’elle me tendit : - Regarde. Et j’y vis, en effet, une vieille pièce de dix sous, qui, sous le verre, me parut usée à n’en plus avoir d’effigie. - J’ai toujours eu l’appétit que tu me connais, et quand je soupe, je soupe… d’abord. J’avais si faim, ce soir-là, que j’en étais verte et que j’en tremblais sous les portiques. Il y a bien un remède, mais il ne se vend pas chez les pharmaciens, il est chinois, c’est le : « fout’-à-l’eau,» et on vous repêche. C’est pour te dire si j’étais amorçante. Aussi tous ceux que j’abordais, comme une chatte, s’escampativaient-ils à la file, les uns brusques, les autres railleurs, tous en palefreniers de la décadence. Ah ! nous y étions bien à cent ans après Cambronne. Et je miaulais dans la rue Saint-Marc. « Tout à coup, de celle du Cardinal, un prêtre déboucha. C’était un homme de soixante années environ, à longues boucles grises, qui tâtait le trottoir avec son parapluie, comme font les aveugles, et à qui il manquait certainement un chien pour le conduire. Il regardait à droite et à gauche et paraissait comme perdu dans le quartier. C’était visiblement un curé de campagne. On peut ne plus aller à la messe et respecter ceux qui la disent. J’ai fait ma première communion, je la ferais encore !... Qu’est-ce que tu as à rire ? - Ne te fâche pas, ce n’est que de la situation. « Je ne pus me retenir. Il m’avait appelée madame, mon enfant, mademoiselle ; j’en avais jusque dans l’âme. Je lui courus après irrésistiblement. « Monsieur le curé ! la rue Saint-Honoré, c’est la mienne… Vous avez de mauvais yeux. Permettez-moi de vous y conduire». « Il se mit à rire : « Et pourquoi pas ? Je suis ministre de Jésus-Christ. Allons, Madeleine, mais c’est moi qui vous mettrai chez vous !... » « Et nous marchâmes côte à côte, comme un père et sa fille. Je ne pouvais dire un mot, émettre un son ; je n’avais plus de salive, et ma faim même était passée. Arrivés devant la maison où je logeais, en effet, je l’arrêtai. « Est-ce ici ? demanda-t-il avec douceur ? Je suis heureux d’avoir pu vous escorter sans encombre… Mais vous devez avoir des pauvres ? Qui n’en a ? Je suis à Paris pour les miens. Obligez-moi d’accepter ceci pour les vôtres, où je croirai que je ne suis pas un bon cavalier et que je ne sais plus protéger les dames. » Et il me ferma la main sur les dix sous, les mêmes que tu tiens là, dans ce reliquaire. » |
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- FIN -
Biographie et autres contes de Émile Bergerat. Pays : France | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : alimentaire | crapulosophie | curé | trottoir | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
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