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Laure Melval, âgée de dix ans, réunissait tout ce qui peut faire remarquer dans le monde : une éducation soignée, un heureux caractère, une humeur enjouée, une sensibilité vraie, et surtout un attachement sans bornes pour sa mère. Jamais la moindre humeur ne venait altérer ses qualités aimables ; et, si quelquefois un mouvement de contrariété paraissait sur sa figure, il en disparaissait aussitôt, comme un nuage léger qui se glisse passagèrement sous un ciel pur et serein. Cependant, à travers tous ces avantages dont la nature avait pris plaisir à doter Laure, on apercevait une faiblesse d’esprit qu’elle portait jusqu’au ridicule : c’était une frayeur pusillanime, une peur insurmontable que lui causaient les animaux les plus petits, les insectes mêmes qui, par leur nature autant que par leur petitesse, ne peuvent faire le moindre mal. Apercevait-elle un papillon de nuit dans le salon, voltigeant autour de la lampe allumée, elle poussait des cris affreux, et s’imaginait que ce timide insecte, seulement trompé par l’éclat de la lumière, allait la dévorer. Mais c’était bien pis quand par hasard une chauve-souris s’introduisait dans son appartement : quoique le pauvre animal, d’une forme hideuse, il est vrai, ne cherchait qu’une issue par laquelle il pût se sauver, la jeune peureuse était convaincue qu’il n’était parvenu jusqu’à elle que pour la saisir dans ses serres rousses et velues, et l’emporter dans les airs. C’est en vain que madame de Melval faisait observer à sa fille que cette chauve-souris, grosse à peine comme la moitié de sa main, ne pouvait soulever un poids deux mille fois plus pesant qu’elle. Laure, pâle et tremblante, soutenait que ce monstre affreux était venu pour lui arracher les yeux, ou tout au moins les oreilles ; et, se couvrant alors le visage de ses mains, elle se réfugiait dans le sein de sa mère, et ne relevait sa tête en hésitant que lorsque celle-ci lui avait donné l’assurance que la chauve-souris avait disparu, en s’envolant par la croisée. Il ne se passait pas de jour que la jeune insensée ne fît quelque scène nouvelle qui donnait aux traits de son visage un mouvement convulsif, à son regard un vague hébété, à son maintien une attitude gauche et forcée, et qui, nuisant au développement de son intelligence et au progrès de son éducation, causait à madame de Melval un chagrin profond, une douloureuse inquiétude. Un jour, entre autres, c’était un beau soir de l’été, au moment où Laure allait se mettre au lit, elle relève l’oreiller sur lequel elle devait poser sa tête, et tout à coup elle en voit sortir une souris qui grimpe sur son épaule, passe sur son cou, descend sur ses bras et s’enfuit avec une frayeur qui n’était rien en comparaison de celle qu’éprouvait Laure. Elle fait entendre des cris déchirants, et prononce ces mots d’une voix entrecoupée : « Au secours !... au meurtre !... je suis perdue... je suis dévisagée... je suis morte !... » À ces cris, accourent tous les gens, et bientôt la mère de la jeune peureuse, qu’elle trouve appuyée sur le pied de son lit, la figure enveloppée dans ses draps et son couvre pieds, suffoquant et respirant à peine. « Eh ! quel est donc l’horrible assassin qui en veut à tes jours ? » lui demande madame de Melval en regardant de tous côtés. « Ah ! maman... ne m’interrogez pas... cet affreux animal... ce monstre épouvantable... – Eh bien ! c’est ? – Une souris, maman... oui, une souris, dont les yeux étaient flamboyants... sa queue avait... une aune de long... elle a effleuré mon cou, mes oreilles, mes bras... ah ! c’est fait de moi ! » Madame de Melval ne put s’empêcher de pousser un grand éclat de rire qui fit relever un peu la tête de Laure. D’abord elle se tâte les oreilles, pour s’assurer que la souris ne lui en a pas emporté au moins une ; puis elle porte en tremblant la main à son cou, qu’elle s’imaginait être ulcéré par la trace qu’y avait laissée la souris ; enfin elle attache ses regards avides sur ses bras, et ne peut y découvrir la moindre rougeur, la moindre altération. Elle reconnut alors son erreur, et ne put s’empêcher de sourire elle-même de sa pusillanimité. À son étonnement succéda la confusion, et bientôt elle conçut le dessein de dompter ces frayeurs enfantines et cette faiblesse d’esprit, qui l’eussent rendue l’objet des railleries les plus amères, tout en altérant les aimables qualités qu’elle avait reçues de la nature. Madame de Melval s’occupa, de son côté, à corriger sa fille de ses frayeurs ridicules, à lui donner cette réflexion si utile sur tout ce qui nous frappe, cette force de caractère sans laquelle nous nous aveuglons sur ce qui peut en effet nous être nuisible, et qui nous met au-dessus de ces craintes puériles. Un jour que Laure vint, selon son usage, offrir à sa mère le bonjour du matin, elle aperçut une souris qui courait çà et là dans l’appartement. Un cri de frayeur lui échappe ; mais quelle fut sa surprise de voir cette souris grimper sur les genoux de madame de Melval, de là monter sur ses épaules, sur sa tête, et redescendre avec la vivacité de l’éclair, et se cacher sous sa collerette ! Elle avait remarqué que cette souris était blanche, qu’elle avait des yeux roses, et portait au cou un petit collier d’argent sur lequel était gravée une inscription. Ce qui surtout confondit la jeune peureuse, ce fut d’entendre sa mère appeler : « Zizi !... Zizi !... » et aussitôt la charmante petite bête, sortant de l’endroit où elle s’était réfugiée, venait se poser sur la main de sa maîtresse, dans l’attitude la plus familière et en même temps la plus gracieuse, faisait mille gambades pour gagner un petit morceau de sucre que celle-ci lui présentait au bout de ses doigts, et que Zizi prenait avec une précaution tout à fait remarquable. Ce ne fut pas seulement à tout cela que la souris blanche borna son manège accoutumé ; Laure, stupéfaite, attentive, la vit tour à tour, au commandement de sa mère, faire la morte, se réveiller tout à coup, et, se redressant sur ses deux pattes de derrière, saisir avec celles de devant un joli petit balai, avec lequel elle nettoyait, de la manière la plus adroite et en même temps la plus comique, la poussière qui se trouvait sur les vêtements de sa maîtresse. De là elle remontait sur la tête de celle-ci, passait et repassait comme un léger zéphyr dans les boucles de cheveux formées sur son front ; elle caressait ensuite avec sa queue le dessous du menton de madame de Melval, souriant à cet étrange manège, et venait se poser sur une de ces épaules, où elle semblait attendre ses ordres. « Quoi ! s’écria Laure involontairement, ces petits animaux que je trouvais si vilains, et dont j’avais tant de frayeur, seraient susceptibles d’être aussi bien apprivoisés ?... » À ces mots, elle avançait, en tremblant encore, la main vers Zizi, et la retirait aussitôt avec crainte. Oh ! si elle n’eût pas été retenue par sa peur insurmontable, avec quel plaisir elle eût offert elle-même un morceau de sucre à la souris blanche, et eût vu cette charmante petite bête se poser sur sa main, sur ses bras, sur sa tête, obéir à ses ordres ! Ce qui surtout piquait sa curiosité, c’était de savoir quelle pouvait être l’inscription gravée sur son collier d’argent ; mais les lettres en étaient si petites, et les mouvements de Zizi si prompts et si fréquents, qu’il était impossible de distinguer la moindre chose. Enfin, après avoir hésité longtemps à s’approcher de la souris blanche, Laure s’habitua par degrés à ses bonds fréquents, à ses gambades, aux différents exercices qu’on lui avait appris : peu à peu elle la vit sans effroi rôder autour d’elle ; et, un soir que, ravie de voir la souris faire la morte, elle laissa malgré elle échapper ces mots : « Zizi !... Zizi ! » elle la sentit tout à coup monter sur ses genoux, sur sa tête, redescendre sur son épaule, s’y poser, s’y nettoyer le museau avec ses pattes de devant, puis venir sur sa main y prendre le petit morceau de sucre accoutumé. Ce fut alors que la peureuse, plus d’à moitié guérie, put lire l’inscription gravée sur le collier de la souris, et qui portait ces mots : « J’appartiens à Laure. » – Oui, s’écria celle-ci avec une joie involontaire, je sens déjà que tu me plairas autant que d’abord tu m’avais fait de frayeur. Comment ai-je pu me montrer assez sotte pour trembler, pâlir et frissonner de tout mon corps à l’aspect de petits animaux si timides d’eux-mêmes, et qui pourtant, malgré leur petitesse, ne craignent pas de nous approcher, de se fier à nous ?... Ô ma chère Zizi ! ajouta-t-elle en la caressant pour la première fois, tu m’as guérie à jamais de la fausse idée que je m’étais faite des animaux de ton espèce, et d’autres bien plus petits encore dont j’avais la faiblesse de m’effrayer. Je vois que notre imagination nous aveugle souvent, et nous fait voir des dangers là où il ne s’en trouve aucun ; je vois que les insectes les plus hideux, et même les animaux dont l’atteinte est venimeuse, ne nous feraient jamais le moindre mal si nous ne les excitions pas, soit par nos cris, soit par nos menaces, à exercer sur nous une légitime vengeance. Madame de Melval, enchantée d’avoir détruit dans sa fille un ridicule qu’elle eût conservé toute sa vie, et qui, sans aucun doute, eût nui à son repos et à son bonheur, lui confia qu’elle s’était adressée à l’un de ces habiles oiseleurs de Paris, connus pour avoir le secret, ou plutôt la patience d’habituer à l’exercice le plus familier ces souris blanches, dont l’espèce est rare, et qui semble être douée d’une intelligence remarquable. Elle lui apprit qu’on instruit ces jolis petits animaux au point de les faire obéir au commandement ; qu’il en est qui dansent sur la corde tendue ; que d’autres jouent du tambour de basque ; que celles-ci font une partie des évolutions militaires, que celles-là mettent le feu à un petit canon, dont l’explosion ne leur cause aucune frayeur... « Tu le vois, chère enfant, dit à Laure madame de Melval, il n’est rien que ne surmontent l’habitude et l’éducation, même chez les animaux les plus délicats ; et tu m’avoueras que lorsqu’une petite souris a l’adresse de faire la morte, de danser sur la corde, et surtout a le courage d’entendre, sans broncher, la détonation de la poudre à canon, nous sommes véritablement indignes de cette suprématie que le Créateur nous a donnée sur tous les animaux, et tout à fait dénués de cette suprême intelligence dont nous sommes si fiers, lorsque, par une faiblesse ridicule, par une frayeur pusillanime, nous nous plaçons au-dessous de ces mêmes animaux sur lesquels nous devrions régner. » Laure, convaincue de ces vérités frappantes, s’arma de courage et de résignation. On ne la vit plus frissonner et changer de couleur en apercevant une araignée traverser sa chambre, et même grimper sur sa robe. Les papillons de nuit qui venaient le soir voltiger autour de la lampe, et les souris qu’elle rencontrait, bien qu’elles n’eussent ni la blancheur ni l’éducation de Zizi, ne lui firent plus pousser des cris effrayants, appeler à son secours. En un mot, elle s’habitua à voir de sang-froid les insectes les plus hideux ; et, sans s’exposer imprudemment aux atteintes des animaux malfaisants, elle supporta leur vue, leur approche, et ne tarda pas à se convaincre que presque toujours la peur qu’on ressent nous fait seule beaucoup plus de mal que n’en pourrait faire l’objet même qui la cause. |
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Biographie et autres contes de Jean-Nicolas Bouilly. Pays : France | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : chauve-souris | frayeur | souris | sucre | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Thèmes : Souris | Retirer ou Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
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