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Un jour en rentrant chez nous sur la table de cuisine il y avait un livre, un petit livre usé, abouti là, je ne sais pas trop comment. Colibri c’était son titre, Colibri c’était aussi le nom du héros. Son histoire m’avait poignée direct au cœur. Neuf ans et capable de quitter ses parents pour s’en choisir d’autres. Ses parents, ses vrais parents le battaient, l’affamaient, le méprisaient, lui faisait honte. Il est parti. Il s’est trouvé d’autres parents. Je n’en revenais pas. J’en étais virée boute pour boute. Il avait mon âge, neuf ans et il était capable de faire ça. Avec ses nouveaux parents il apprenait à danser et à chanter. Il se promenait en roulotte toute la journée. Ma mère n’aimait déjà pas trop, trop que je sorte de la cour. Gitans, gypsies, tsiganes, romanichels, voleurs de poules, fils du vent, manouches, bohémiens, des mots que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais entendus avant de rencontrer mon ami Colibri. Ses nouveaux parents étaient des gitans. Ces gens-là me fascinaient. Ils voyageaient tout le temps. On les appelait aussi gens de la route, gens du voyage. Ils vivaient dans des roulottes. Je voulais vivre comme eux. J’en rêvais jour et nuit et nuit et jour. Avant de connaître Colibri j’aimais déjà la géographie. Je ramassais toutes les images qui me tombaient sous la main, des images de pays, de villes, des photos d’endroits touristiques de partout dans le monde. Avec mon ami je suis devenue sélective. Je ne collectionnais plus que les images des villes mentionnées dans le livre. Je les regardais dans le détail, je les apprenais quasiment par cœur. Je m’inventais des anecdotes avec mon ami dans les vrais décors. Mais je finissais toujours par entendre crier : « Encore dans tes niaiseries, bonyeu, grouille, va jouer dehors. » Pas le choix, je sortais. Mais une fois dehors je me cachais dans le fond de la cours et je m’apprenais toute seule à danser les claquettes. J’avais vu à la télévision des danseurs et des danseuses de claquettes. Je trouvais ça beau ! Je ne me souviens pas du tout pourquoi les claquettes me passionnaient autant, mais je me souviens que je steppais souvent par exemple. Là aussi ça finissait toujours par un cri : Hé qu’t’es énervante ! Va dans ta chambre. Est-ce qu’il y a quelqu’un au monde, une personne qui n’aie jamais souhaité au moins une fois dans sa vie d’être adopté ? Un enfant qui n’aie jamais rêvé de changer de parents même pour un petit, petit, petit, petit, bout de temps. Moi en tout cas j’en rêvais. Pas que mes parents n’étaient pas corrects. Ils étaient tout à fait normaux. Ils n’étaient pas des gens de la route. Comme j’étais certaine que des gitans il n’y en avait pas par chez nous. Je ne faisais rien pour en rencontrer, et quand maman me disait d’aller me coucher. J’y allais. Si j’avais su, que des gens du voyage, il y en avait par chez nous. J’aurais été capable de traîner tard dans la rue, toute la nuit même, en espérant me faire voler par des gitans. Des Gitans, il y en a au Québec. Il y en avait dans ce temps là aussi. Je ne le savais pas. Un jour de magasinage j’étais fatiguée. J’avais faim. Je me suis arrêtée dans un restaurant sur la rue Ste Catherine à Montréal. Et je suis tombée sur une copine perdue de vue depuis la petite école. Si j’étais contente, en fait c’est elle qui m’a vue la première, elle était aussi contente que moi. Elle m’a invitée à m’asseoir avec elle. Elle était avec sa grand-mère. Je l’aimais cette fille-là à l’école, on se tenait toujours ensemble. Les autres ne l’aimaient pas. Elle portait des chandails bizarres et des affaires qu’on ne voyait pas par chez nous. Elle était vraiment différente. C’est avec un réel plaisir que je me suis assise à leur table. Et voilà qu’au beau milieu de la conversation sa grand-mère me regarde… disons avec une insistance franchement désagréable. Puis elle se met à me parler dans une langue étrangère. Voyons grand-maman, arrête ça ! Nicole n’est pas rom. Quoi es-tu en train de me dire que t’es une gitane. Que tout le temps de mes voyages imaginaires avec mon ami Colibri, j’allais à l’école avec une vraie fille de la route. Mon amie à l’école était une vraie romni de Hongrie. La grand-mère n’arrêtait toujours pas de parler ni de me regarder avec son drôle d’air. Pour finir la copine a traduit : Lâche, c’est Lâche ce que tu fais là. Tu n’as pas le droit de renier ta race. Tu n’es même pas menacée. Et c’est inutile ma petite fille, un destin ça ne se change pas. Abasourdie j’ai d’abord répliqué que oui un destin ça se changeait. Que je le sentais du plus profond de mon âme. J’ai essayé de lui expliquer que j’étais québécoise, une pure laine, comme disait mon père, que je n’avais jamais voyagé, que le plus loin que j’étais allée c’était de mon village à Montréal. Mais la grand-mère n’arrêtait toujours pas de parler. Alors je suis partie. Plus tard, la copine à qui j’avais laissé un moyen de me rejoindre, m’a expliquée les complications, les vexations, les humiliations sans fin que subissaient les roms de par le monde. Elle m’a racontée ce que sa grand-mère avait subi avant son arrivée au Québec. Aye, elle a perdu un mari et un frère dans la grande tourmente des S. S. Elle a du se sauver avec huit enfants dont deux seulement étaient à elle et durant quatre ans, elle s’est cachée pour les élever. Faut le faire ! La copine a ajouté en riant que sa grand-mère refusait toujours de croire que j’étais une québécoise de souche. Pour elle j’étais d’ascendance rom. Je ne peux pas dire à quel point j’étais impressionnée. Je me demandais si mes rêves d’enfant ne m’avaient pas laissé des marques, visibles j’entends, parce qu’invisibles, j’en avais et je le savais. Sans Colibri ma vie n’aurait jamais été la même. Colibri, un pauvre petit livre pour enfants. Un pauvre petit livre toute magané à l’origine de bien des passions dans ma vie et de colères dans celle de mon père : Toé pis tes saudites folleries vas-tu finir par retomber sur la terre. Voyons donc ! Retomber sur la terre. Qu’est-ce que ça veut dire hein papa ! Arrêter ? renoncer ? s’enligner ? s’enliser ? Et si moi je pense qu’il faut être un peu fou, être un peu folle pour se vivre. Qu’il faut foncer et croire oui, juste croire. Écrit en 2001. |
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