Il y avait, une fois, un homme et une femme. L'homme, un bossu, était jaloux comme un bossu.

Commu il était cordonnier brocanteur, il partait tous les jours avec un voyage de chaussures dans sa charrette, pour aller les vendre dans les paroisses. Bien des fois, il n'était que trois où quatre heures en voyage, quand, pris de jalousie, il s'en revenait à la fine course.

Un bon matin, il dit à sa femme: «Je pars et je te réponds que je ne reviendrai pas avant demain soir.» Sa femme dit: «Tu feras bien comme de coutume; quand ta jalousie te reprendra, tu reviendras bien.»

— Ne crains pas, ma femme ! je te réponds que je ne reviendrai pas avant demain soir.

Pendant qu'il est parti, monsieur, qui est ce qui arrive à la maison, chez sa femme? Trois hommes, bossus devant, bossus derrière, bossus au mitan, bossus dans le dos, bossus cornus; enfin ça n'était qu'une bosse — comme son mari. La femme dit: «Mes pauvres enfants, c'est terrible comme vous êtes bossus, comme mon bossu de mari !» Les bossus lui demandent à déjeuner. Elle répond: «Oui, je vas vous donner à déjeuner.»

Quand ils sont à table, à déjeuner, elle voit son mari qui revient au galop de cheval. Elle dit: «Vous êtes morts, mes amis! voilà mon mari, le pire des jaloux; c'est certain qu'il va tous vous tuer.» Elle pousse les trois bossus dans son grand coffre du temps passé, de six pieds de long et de ça de haut. Mais trois bossus, avec toutes leurs bosses, ça prend de place. Pour fermer le coffre et tourner la clef elle est obligée de monter dessus à deux pieds.

Son mari arrive à la maison. Ce n'est pas un homme, c'est un diable. Il renverse les chaises, culbute le coffre cinq ou six fois, il viraille tout. Mais c'est inutile, il ne trouve rien. Il finit par dire: «Je vois que c'est la jalousie qui m’a fait faire ça. Je repars et, cette fois, je te réponds que je ne reviendrai pas.» Mon gars revire de bord avec sa voiture.

Tout ça avait distrait la femme. Ce n'est qu'au bout d'une couple d'heures qu'elle repense aux bossus dans le coffre. «Mon Dieu ! elle dit, ils sont bien morts.» Elle ouvre le coffre. Ils sont morts comme trois clous, comme on dit. «Comment faire pour me débarrasser de ces bossus-là?»

Elle va à la ville engager un charretier pour qu'il aille jeter un bossu mort à la rivière; deux piastres, c'est ce qu'elle promet au Charretier pour la besogne. «Bien, elle dit, monsieur, je vas toujours bien vous appareiller. Attendez-moi ici.» Les bossus étaient raides comme des barres. Elle en prend un, le mate après le poteau de la porte. Le charretier entre en disant: «Madame, où est votre bossu?»

— Monsieur, le voici.

Prend le bossu, le jette dans sa charrette. Arrivé au bord de la rivière, attrape le bossu, et, une main sur la fausse du cou et l'autre dans le fond de ses culottes, il le lance dans la rivière. Revire de lord.

Du moment que le charretier est parti avec son voyage, la femme prend un autre bossu, et le mate contre la porte, à la même place.

Le charretier arrive. «Bien, il dit, madame, payez-moi!»

— Monsieur, comment, vous payer? Faites votre ouvrage et je vous paierai.
— Faire mon ouvrage?

Elle lui montre: «Voilà votre bossu, là.» Vous comprenez bien, le charretier est en sorcier. Il se demande comment le bossu est revenu. Rattrape le maudit bossu, et le jette dans sa charrette, pas de bonne humeur, vous n'en doutez pas. Arrivé au bord de la rivière, il vous l'attrape et le tire au milieu de la rivière, en disant: «Tu ne reviendras pas, cette fois-là.»

Retourne à la maison: «Bien, madame, payez-moi. Deux voyages pour un, sûrement que j'ai gagné mon argent !» Mais pendant son voyage, la femme avait sorti le troisième bossu et l'avait mis le long de la porte. «Comment, elle dit, vous payer? Mais faites votre ouvrage, et je vous paierai.»

— Mon ouvrage? Mon ouvrage? Mais j'ai déjà fait deux voyages.
— Tiens ! elle dit, voilà votre bossu, là.

Il en crevait  de colère, le charretier.  Il attrape le bossu et je vous garantis  qu'il ne le ment pas poliment. Arrivant sur le bord de la rivière, il vous le lance presque l'autre bord. «Cette fois-ci, je ne te reverrai plus.»

Revenons au bossu en vie, le cordonnier. La jalousie l'avait repris; il s'en revenait à la course. Le charretier, en retournant sa voiture, s’adonne bien à le voir venir au bout du pont. «Ah ! il dit, mon maudit bossu, je t'ai tiré par ici, et tu reviens par là? Bien, je te dis que tu ne passeras pas, cette fois.»

 Pendant que la jalousie surmonte le bossu, le charretier se plante dans son chemin, vous l'attrape et le lance à la rivière. Ça lui faisait quatre bossus en tout. Il méritait bien les deux piastres de la femme aux bossus. Il a peut-être eu la veuve par-dessus le marché.

Moi, j'ai pilé sur la queue de la petite souris, qui a fait: «Quit-quit!» Mon conte est fini.

Conté par M. Tremblay, surnommé «Poisson,» à Saint-Joseph (Éboulements. Charlevoix), en juillet 1916.