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Ah ! les histoires merveilleuses, surnaturelles, incroyables, je les adore ! Les récits de vrais revenants qui vous donnent la chair de poule à gros grain, c’est cela qui captive l’attention ! Les aventures mystérieuses, horribles, cauchemaresques, ne les aimez-vous pas comme moi ? Je vais vous narrer ce qui, à ma connaissance, a eu lieu dans les bois du Saint-Maurice, voilà un peu plus de trente ans. J’ai vu, je le répète – vu de mes yeux. Le lecteur va se dire : – Enfin ! je rencontre un conteur qui n’a rien emprunté à un autre conteur, car il a été témoin du fait – ce qui est bien le merle blanc à trouver lorsque l’on parle d’histoire de loup-garou. Soyons tout oreilles. C’est très aimable de votre part, ami lecteur, très aimable, aussi vais-je faire de mon mieux, pour mériter votre confiance. Entrons en matière, c’est un de mes amis qui parle : J’étais en tournée dans les chantiers du haut de la rivière aux Rats, dit-il, et je venais de me débotter devant la cambuse de Pierre Miron, contremaître de chantier, lorsque le cuisinier, me tirant à part, me confia une grande nouvelle. Le diable rôdait dans les environs en personne naturelle ! Tout ce qu’il peut y avoir de plus diable et de plus vivant ! – Bah ! tu badines, lui dis-je. Comme le cuisinier achevait ces mots et que je me récriais contre la décision qu’il venait de m’annoncer, Pierre Miron, suivi de tous ses hommes, entra dans la « campe ». – Qu’est-ce que cela veut donc dire, Pierre ? vous parlez de départ ! En plein mois de janvier, vous n’ignorez pas la perte que cela devra occasionner. Le souper fut servi au crépuscule, ce qui était nouveau au chantier, où le travail dans la forêt durait d’ordinaire « jusqu’aux étoiles ». Personne ne voulait plus rester hors du campement à l’heure où la nuit succède au jour, comme disent les gens qui s’expriment en belles paroles mesurées par cadence, avec des rimes au bout des lignes. Quand ce fut sur les huit heures, je proposai d’accompagner celui qui voudrait se rendre à la fontaine, puiser de l’eau. Je promettais de « couper » l’eau avec le contenu d’un flacon de genièvre, vulgo « gin ». Personne ne répondit à l’invitation. Je ne voulais cependant pas en démordre. Je me levai tranquillement, coiffai mon casque avec un soin que je désirais que l’on remarquât, et prenant en main une chaudière, je me dirigeai vers la porte en disant : – J’irai bien tout seul ! Rendu dehors, tous les hommes étaient sur mes talons, protestant de leur bonne volonté, mais soutenant aussi que le diable allait encore nous jouer quelque nouveau tour. – Bah ! leur dis-je en plaisantant, pour voir à quel point le sentiment de cette terreur extraordinaire les dominait, – j’ai déjà « délivré » un loup-garou ; il ne me sera pas difficile d’en rencontrer un second. Nous allâmes à la fontaine. C’était une claire fontaine comme toutes celles que vous connaissez. Le cuisinier rapporta la chaudière pleine d’eau. Nous l’escortions en masse serrée ; – rien d’étrange ne signala notre marche, soit en allant soit en revenant. Le genièvre coula jusqu’à la dernière goutte du flacon. À la ronde finale, les plus nerveux parlaient de sortir et de provoquer en combat singulier le manitou du Saint-Maurice. En homme rusé, je soutenais que personnne n’oserait accomplir cette prouesse. Au plus fort de la contestation, la porte s’ouvrit brusquement et Olivier Lachance entra. – Bonsoir la compagnie, dit-il. Je suis venu plus tôt que vous ne m’attendiez, parce qu’au chantier voisin j’ai entendu raconter des histoires qui ne me vont pas du tout. Pierre Miron l’invita à s’asseoir. Je lui dis que l’affaire en question me paraissait prendre une tournure alarmante. Bref, nous lui contâmes tout ce qui pouvait l’éclairer sur la situation. Olivier est un homme tout d’une pièce, physiquement et moralement. Il eut bientôt pris un parti. – Pierriche, dit-il, en s’adressant au petit garçon qui dans les chantiers sert de marmiton et d’aide au cuisinier, tu vas aller tout seul, puiser de l’eau à la fontaine, et moi je vais te suivre de l’œil, mais de l’œil seulement. Ne crains rien. Et vous autres, reprit-il, en se tournant vers les hommes, restez tranquilles – je défends que l’on cherche même à savoir ce que je vais faire. Le petit garçon ne paraissait pas du tout rassuré. – Voyons, lui dit fermement Olivier, tu n’as que faire de t’épeurer, je sais ce que c’est, et je te promets qu’il ne te sera pas fait de mal. À présent, prends la chaudière et surtout mets le plus gros casque du campement, c’est le point principal. Vous, M. Charles, veuillez rester ici à surveiller les hommes ; je ne veux pas qu’ils me voient agir. Viens, mon garçon, termina-t-il en emmenant Pierriche. Et la porte se referma sur eux. Ils étaient dehors. Pendant dix minutes personne ne souffla mot autour de moi. Un malaise indéfinissable accablait tous les esprits. Ce silence fut rompu par des cris de détresse poussés par Pierriche et le gros rire de Lachance qui rentra presque sur le coup en tenant l’enfant par la main. Le mystère était expliqué. Olivier avait vu le manitou ! Nous n’avions pas assez de paroles pour formuler toutes nos questions. Peine inutile, Olivier prétendait garder son secret jusqu’au lendemain. Quant à l’enfant, interrogé, il répondit qu’il n’avait rien vu. – En sortant, dit-il, M. Lachance se cacha, et moi je marchai vers la fontaine ; je savais qu’il ne me perdait pas de vue ; la nuit n’était pas très noire. Tout à coup, je l’entendis qui me disait : « Vite, vite,Pierriche, reviens ! » C’est alors que je criai, car, en l’entendant m’appeler ainsi, j’eus peur qu’il y eût du danger ; mais lui, il riait. C’était tout. Impossible d’en savoir plus long. Je ne tentai même pas de faire parler Lachance sur ce sujet, car sa première parole en réponse aux interpellations des hommes du chantier avait été : « Vous saurez cela demain, soyez tranquilles. » * * * Le lendemain arriva. Dès sept heures du matin l’ouvrage recommençait dans la forêt pour se continuer jusqu’au soir. Lachance, Pierriche et moi, nous restions au chantier. Vers huit heures, Lachance avait chaussé ses raquettes, et une hachette à la main il allait d’un arbre à l’autre, choisissant les plus gros autour de notre logis, et frappant sur le tronc avec le dos ou la tête de son arme. Après chaque coup il levait les yeux vers le faîte de l’arbre et attendait un instant. Au cinquième arbre, il poussa un cri de triomphe : – Nous le tenons ! Nous regardons. Effectivement, dans une grosse fourche du dernier arbre frappé par Lachance, il y avait un être vivant, dont les gros yeux et la mine renfrognée manifestaient une mauvaise humeur mal contenue. C’était un très gros hibou gris. Lachance eut bientôt saisit sa carabine de chasse et abattu le gibier, qui à l’examen se trouva être prodigieusement fort, un roi de l’espèce. – Hier soir, nous dit Lachance, quand je l’aperçus tout à coup qui planait au-dessus de la tête de Pierriche, j’eus peur pour cet enfant. Vrai, je le trouvais si puissamment découplé que je le croyais capable d’enlever le petit marmiton tout grandi. Mais au son de ma voix, il tarda de s’abattre et Pierriche eut le temps de revenir à moi. Du reste, en écoutant les récits des gens du chantier, j’avais déjà acquis la certitude qu’il devait y avoir du hibou là-dedans. Ces animaux-là sont plus effrontés qu’on ne le pense, et les plus gros comme celui-ci, ont une force surprenante. Regardez ces ailes, ces pattes, ces serres. C’est ça qui vous décoiffe un homme ! Sans compter qu’en s’abattant sur sa victime le hibou frappe, comme l’aigle, un double coup de ses ailes qui peut étourdir l’homme le plus solide. C’est ce qui est arrivé à nos gens. – Vous pensez donc qu’ils retrouveront leurs coiffures ? * * * Le soir arriva. Chacun au retour de l’ouvrage de la journée s’informait du résultat des recherches de Lachance. – Soupez, dit celui-ci ; après cela je vous le ferai voir. L’art avec lequel notre contremaître en chef conduisait jusqu’au bout cette mystification défie toute tentative de description. L’apparente tranquillité d’esprit que sa figure revêt d’ordinaire était plus marquée que jamais au milieu des angoisses de ceux qui l’entouraient et que sa position et son air d’autorité tenaient en respect. Il mettait son plaisir à ne pas paraître s’occuper de cette terrible affarie, et feignait de la traiter avec le dernier mépris. Le souper fini, il appela quelques-uns des bûcherons, leur fit prendre des haches, et accompagné de tout le monde, il marcha droit à l’arbre du hibou. – Abattez-moi ça, commanda-t-il. Sans hésiter, les bûcherons se mirent à l’œuvre. Ils se perdaient en conjectures sur le but de ce singulier travail. Enfin l’arbre tomba. – C’est bon, dit Lachance, en regardant les hommes, rentrons au chantier maintenant. Ceux qui ont perdu des casques pourront les reprendre dans le trou de la grosse fourche. Et il désignait du doigt la partie de l’arbre où était cette fourche, très visible d’ailleurs. On se figure aisément si la surprise fut grande. Le cuisinier se mit le premier à fouiller dans l’immense nid de hibou ; il en tira les sept casques en peu de temps. Le diable s’était fait là un nid bien rembourré, bien capitonné, bien chaud ! Figurons-nous la gaieté des hommes pendant que le cuisinier retirait leurs couvre-chefs de la cachette de l’oiseau, et durant le trajet, depuis l’arbre abattu jusqu’au campement. La troupe joyeuse fit irruption autour de la cambuse en criant : « Hourra pour M. Lachance ! » Lachance fumait tranquillement sa pipe et les regardait impassiblement. À terre devant ses pieds était le corps du hibou que les hommes n’avaient pas encore vu. – Hourra pour M. Lachance ! |
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Biographie et autres contes de Benjamin Sulte. Pays : Canada | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : bûcheron | campe | casque | chantier | contremaître | cuisinier | diable | fontaine | hibou | Saint-Maurice | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
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