touslescontes.com |
touslescontes.com est une bibliothèque virtuelle qui contient un grand nombre d’histoires puisées dans le domaine public, ou confiées par des auteurs contemporains. Des contes merveilleux, des récits historiques, des légendes traditionnelles… Des contes de tous les continents et de toutes les cultures…
|
Au temps jadis, il y avait au village de Saint-Saulve, du côté de Valenciennes, un petit vacher qu’on nommait Jean du Gogué, à cause qu’on ne lui connaissait ni père ni mère, et qu'on l’avait trouvé, un beau matin, sous un gogué, qui est chez nous la même chose qu'un noyer. On l’appelait aussi le Ninoche, de ce qu’il était simple d’esprit et innocent comme un veau qui tette encore. Jean du Gogué, qui, de sa vie vivante, ne s’était garni la panse que de pétotes, autrement dit de pommes de terre, n’avait qu’un désir au monde: c’était de manger de l’oie. Or, il existe, à quatre lieues de là, en tirant devers Condé, un village où l’on voit de si magnifiques troupeaux d’oies, qu’il n’est bruit, dans tout le pays, que des ôsons d’Hergnies. « Quand je serai grand, disait le Ninoche, j’irai à Hergnies et je mangerai de l’ôson. » De fait, un soir d'automne, il planta là ses vaches et partit sans tambour ni trompette. Il marchait un peu à l’aventure, en demandant son chemin. A nuit close, il arriva à Escaupont, et entra dans la cense du Vivier, qui tient, comme chacun sait, au bois de Raismes. « Vous ne pourriez point m'indiquer le chemin d’Hergnies, femme de Dieu? dit-il à la fermière, qui était en train de souper. — Si fait, fieu; mais vous voilà en route sur le tard. C’est donc une affaire bien pressée? La censière, étonnée, le toisa de la tête aux pieds. « Comment t’appelles-tu? — Le Ninoche. Et Jean, dont la promenade avait aiguisé l'appétit, se donna à peine le temps de dire son bénédicité, et entra tout de suite en fonctions. Le lendemain, qui était un samedi, la censière alla réveiller le Ninoche à l’écurie. « Allons, houp, debout! lui cria-t-elle en le secouant. Entends-tu le coquerico de Chanteclair? C’est signe qu’il va faire beau pour sécher les chemises de l'enfant Jésus, que la sainte Vierge a lavées hier soir. » Elle lui réchauffa le cœur d’une tasse de chicorée et lui coupa un énorme briquet de pain pour déjeuner en route, après quoi elle lui dit : « Voici ton chemin. Il te conduira tout droit à Odomez; de là tu iras à Notre-Dame-au-Bois, puis à Bruille, où tu passeras l'Escaut au bac. Arrivé à Hergnies, tu demanderas le moulin de Berlutiau et tu me rapporteras, avec l'oie grasse, sept vassiaux et une pinte de blé de semence. » On entend là-bas par vassiau une mesure qui contient vingt-cinq litres. Tout en pensant au plaisir qu’il aurait à manger de l'ôson, Jean se ramentevait ce que lui avait dit la fermière. Même, pour être plus sûr de ne point l'oublier, il allait répétant à haute voix: « Sept vassiaux et une pinte! Sept vassiaux et une pinte! » quand il arriva près d'une meule qui brûlait. « Dis plutôt que le bon Dieu l'éteigne! » lui glissa à l'oreille le pompier Tatérine. — Que le bon Dieu l'éteigne! Que le bon Dieu l'éteigne! » répéta le Ninoche. Il passa devant la forge du marissiau ou, si vous le préférez, du maréchal ferrant. Le marissiau était d'une humeur massacrante. Il soufflait depuis trois heures sans pouvoir allumer son feu. Au moment où il venait enfin de faire sortir une petite flamme bleue, mince comme la langue d'un chat, il entendit ces mots prononcés devant sa porte : « Que le bon Dieu l'éteigne! Que le bon Dieu l'éteigne! » Furieux, il saisit son marteau, le lança à la tête de l'insolent, et l'étendit tout de son long sur le pavé. Jean n'était point mort. Le bon Dieu avait sur lui d'autres visées. Le voisin du marissiau, qui battait en grange, courut le relever avec ses varlets. Ils le portèrent dans la ferme, où il reprit bientôt ses sens. Le censier lui demanda d'où il venait et où il allait. « Je viens à Hergnies, dit-il, manger de l'ôson. — Il se croit à Hergnies!... Mais, malheureux, tu en es à plus de trois lieues! » s'écria le fermier, qui connaissait le pays, ayant été plus d'une fois servir saint Calixte, à la procession des Réjouis. Pour le consoler, il lui fit cadeau d'une gerbe de blé. Il le remit ensuite dans le bon chemin; mais Jean ne tarda point à s'égarer de nouveau. Au coup de midi, il s'arrêta le long d'un clos. Il s'assit par terre, le dos à la charmille, déposa sa gerbe à ses pieds et tira son briquet de pain, qu'il coupa par le mitan. Après avoir dîné d'un des morceaux, comme il était las et recru, il s'endormit. Un coq survint qui, de son côté, dîna, avec ses poules, des grains de la gerbe. Le Ninoche, à son réveil, ne trouva plus que la paille et se mit à pleurer. Le maître du clos, qui avait bon cœur, fut ému de pitié: — Eh bien! prends ma méquenne, et cesse de braire! » s'écria le censier qui avait assez de sa servante. Jean du Gogué ne se le fit point dire deux fois. Avec l'aide du fermier, il saisit la méquenne qui n'osait trop regimber, craignant d'être battue. Il lui lia bras et jambes, la mit dans un sac et l'emporta sur son dos. « Quand je serai à Hergnies, pensait-il, j'épouserai ma méquenne, et nous mangerons de l'ôson. » A force de s'égarer, il avait fini par rentrer dans la bonne voie, et il suivait celle de Bruille. La méquenne était plus pesante que la lune, qui ne pèse qu'une livre, s'il faut en croire l'incomparable la Guerliche. Aussi, en arrivant au village, le porte-sac sentait-il, révérence parler, la poussière voler dans son ventre. Il entra à l'estaminet de l'Esclipette pour l'abattre avec une triboulette de jeune bière, et laissa son sac devant la porte. Par hasard, là se trouvaient attablés Tuné, Nanasse, Polydore et son chien Rombault, quatre Condéens du carrefour de la Capelette, réputés pour les plus grands farceurs du pays. Tuné sortit du cabaret, je ne sais plus trop pour quel motif. Il avisa le sac, et remarquant que quelque chose y grouillait, il eut la curiosité de l'ouvrir. Il fut plus surpris qu'un fondeur de cloches, en y découvrant une fort belle fille, ficelée comme un saucisson. Il délivra la méquenne. Elle lui conta l'affaire en deux mots, et, n'ayant nulle envie d'épouser le Ninoche, elle reprit tout courant le chemin de son village. « Que mettrai-je bien à sa place! se dit Tuné. Parbleu! je vais y fourrer l'ami Rombault. Il sera joliment attrapé! » Rombault était un superbe mâtin jaune, fort docile et très intelligent, ainsi nommé d'ailleurs par les gens de la Capelette pour faire enrager ceux de la place Rombault. Tuné l'appela et l'enferma dans le sac. Le Ninoche, sa pinte bue, se rechargea sans se douter de rien et poursuivit sa route. Tuné l'escortait à distance. Cela fait que Rombault se tenait coi, se sentant sous la garde d'un ami. Jean du Gogué arriva enfin à Hergnies par la plaine qu'on appelle le Marais du curé, et qu'il ne faut point confondre avec le Marais à boches. Son idée était d'aller tout droit chez M. le curé, mais il s'avisa qu'il avait oublié de demander le consentement de la fille. Il mit bas son sac et l'entr'ouvrit au moment où, juste à point, retentissait un grand coup de sifflet. « Dites donc, méquenne, fit le Ninoche, voulez-vous qu'on nous marie, nous deux? » Un sourd grondement lui répondit. Jean effrayé lâcha la corde et le sac s'ouvrit tout à fait. Rombault en sortit, écumant de colère, et fit mine de lui sauter à la gorge. Le Ninoche n'eut que le temps de grimper dans un saule qui se trouvait là fort à propos. Mais voilà-t-il pas que le saule, qui était creux et pourri dans le cœur, craque sous son poids et se brise avec un fracas épouvantable! L'arbre et l'homme churent dessus le chien qui ne s'attendait à rien moins, et qui faillit être escarbouillé. Mynheer Rombault ne demanda point son reste; il prit le vent et court encore. Obéissait-il au coup de sifflet, ou, en Condéen bien dressé, s'était-il rappelé que les portes de la ville se fermaient à dix heures et qu'il risquait, en s'attardant, de passer la nuit à la belle étoile? Délivré de Rombault, Jean se dépêtra de son arbre. Il se tâta par tout le corps et fut bien aise de voir qu'il ne lui manquait aucun de ses membres. Tout à coup il aperçut dans le creux du saule quelque chose qui, au clair des étoiles, luisait comme une lumerote, autrement dit un feu follet. Il y enfonça la main et en retira une oie dont les plumes étaient d'or pur. Il perdait une femme et trouvait une oie. Je connais des malavisés qui diront qu'il n'avait rien perdu. Jean n'était point si malicieux: il n'en fut pas moins ravi de sa trouvaille. « Voilà l'ôson que je cherchais! s'écria-t-il, c'est le bon Dieu qui me l'envoie! Je vais le faire accommoder tout de suite, » et il s'en fut à l'auberge du Paradis, la plus belle du village. Il avait complètement oublié la censière du Vivier qui, à l'heure qu'il est, attend encore ses sept vassiaux et une pinte de blé de semence. Le Paradis était plein de pèlerins qui devaient se rendre le lendemain à la procession des Réjouis. L'hôte ne savait où donner de la tête et, quand le Ninoche lui présenta son ôson, c'est à peine s'il y prit garde. Il le renvoya bien loin, en disant que, puisqu'il était d'or, on ne pouvait le mettre à la broche. « Puisqu'on ne peut l'accommoder, dit Jean du Gogué, j'en ferai cadeau à saint Calixte. Ce sera bien le diable si, en revanche, il ne m'en donne pas un qui soit bon à mettre à la broche! » Et, après avoir soupé, il alla avec son ôson coucher à l'étable. L'hôte du Paradis avait trois filles qui étaient aussi curieuses qu'Eve, leur grand'maman. Toute la nuit elles se retournèrent dans leur lit, pensant à l'oie d'or et tourmentées du désir de l'examiner à leur apaisement. Au premier chant du coq, l'aînée se leva et dit: « Il fait trop chaud, je ne saurais dormir, » et elle descendit à l'étable, à pas de loup, pour ne point réveiller le Ninoche. Aux rayons de la Belle, l'oiseau merveilleux brillait comme une étoile. Après en avoir bien rassasié ses yeux, la jeune fille eut envie de lui saquer une de ses plumes. Elle y mit la main, mais, à sa vive surprise, elle ne put la retirer. Quand le coq chanta pour la seconde fois, la cadette se leva et dit: « J'ai senti une puce, je ne puis plus dormir, » et elle courut rejoindre sa sœur, mais aussitôt qu'elle l'eut touchée, il lui fut impossible de bouger de l'endroit. Au troisième chant du coq, la plus jeune fille de l'hôte dit: « Voilà Chanteclair qui souhaite le bonjour à saint Calixte; il est heure de dévaler, » et, comme ses sœurs, elle se rendit à l'étable. « Prends garde! prends garde! » lui crièrent celles-ci, mais elle n'y comprit rien et pensa: « Tiens! si elles y sont, je peux bien y aller aussi! » Elle n'eut point plutôt touché ses sœurs, qu'elle se vit, comme elles, de la suite de l'oie. Un quart d'heure après, le Ninoche s'éveilla, se frotta les yeux, s'étira, secoua la paille qu'il avait dans les cheveux et, tenant son ôson sous son bras, il partit sans faire attention aux trois filles qu'il entraînait derrière lui. Elles tentèrent de l'arrêter, mais Jean se figura qu'elles en voulaient à son ôson et il se mit à courir. Les trois filles coururent, forcées de le suivre aussi vite que leurs jambes pouvaient aller. Quand ils furent sortis du village, comme elles étaient hors d'haleine, elles le supplièrent de ralentir le pas, ce qu'il fit volontiers à la condition qu'elles lui indiqueraient sa route. Le soleil avait quitté son lit, lorsque la compagnie arriva au hameau de la Queue-de-l'Agache. Par là passait juste à point le curé de Condé, avec ses deux vicaires, ses chantres, le baudet... je me trompe... le bedeau Bourla; grand-père Jacob, le carillonneur; pépère Vilain, l'organiste; Trogniez, le serpent, ou plutôt le cron-cornet, et les enfants de chœur ou, pour mieux dire, les rouges-cottes. Les braves gens allaient chanter grand'messe à Saint-Calixte. En ce temps-là le curé de Condé était gros comme une tonne, et il bégayait presque aussi dru que notre ami Jocko, l'huissier du diable, à qui Cambrinus, roi de la bière, joua un si bon tour. Ce n'en était pas moins un saint homme et très sévère sur l'article des mœurs. A la vue des trois filles qui marchaient sur les talons du Ninoche, il s'écria: « N'êtes-vous pas honteuses, fi... filles sans pu... pu... pudeur, de courir ainsi pa... par les champs après un ga... garçon? » Il tira la plus jeune par son cotteron pour l'ôter de là; mais à peine eut-il touché la cotte qu'il y resta attaché et forcé de faire cortège à l'oie. « Monsieur le curé! monsieur le curé! où allez-vous donc? » lui cria le baudet Bourla, qui était un grand sec héron. Il courut le saisir par la soutane et y demeura attaché. Le curé ordonna aux autres de venir les délivrer. Aussitôt les vicaires, les chantres, le carillonneur, l'organiste, le cron-cornet et les rouges-cottes se prirent par la main et saquèrent M. le curé; mais ils furent entraînés par Jean qui allait toujours son chemin, et se trouvèrent, bon gré mal gré, de la suite de l'oie. Saint Calixte était alors en aussi grande vénération dans le pays flamand que de nos jours Notre-Dame-de-Bon-Secours. Sa chapelle s'élevait près de Bernissart, à l'endroit où est encore aujourd'hui la cense du même nom. Les pèlerins s'y rendaient en foule de Lille, Douai, Valenciennes, Cambrai, Mons, Tournay, et, comme saint Calixte était renommé pour la guérison des affligés, ils formaient la procession la plus curieuse qu'il y eût au monde. On n'y voyait que bossus, borgnes, berlous, autrement dit gognats ou bigles, aveugles, manchots, bancals, bancroches, boiteux, tortus, cagneux, culs-de-jatte, et le spectacle en était si bouffon que, dans la chapelle, on avait dû mettre dos à dos les saints qui tenaient compagnie au bienheureux saint Calixte. Si on les avait placés face à face, à voir une pareille collection de créatures bizarres et biscornues, il leur eût été impossible de se regarder sans rire. Ce qui rendait la chose si amusante, c'est que toutes ces bonnes gens n'étaient rien moins que des éclopés. C'étaient, bien au contraire, des ci-devant malades que le saint avait guéris miraculeusement et qui, en reconnaissance, venaient le servir ainsi chaque année. Ils se plaisaient à simuler leurs maux passés, pour en rappeler l'image à tous les yeux et mieux jouir de la santé présente. La messe finie, ils enlevaient bandages et bandeaux, jetaient loin d'eux béquilles et béquillons, et faisaient une guinse, je veux dire une noce, que le diable en prenait les armes. Et c'est pourquoi on n'appelait jamais le pèlerinage de Saint-Calixte autrement que la procession des Réjouis. Or, vous saurez qu'à cette époque le roi des Pays-Bas avait une fille belle comme le jour, mais qui n'avait ri de sa vie. Elle était aussi triste que la cloche des trépassés, qu'on nomme chez nous la dolente, et de là vient qu'on lui avait donné le nom de la Belle-Dolente. En sa qualité de fille unique, on l'avait, dès le berceau, bourrée de friandises, de jouets et d'amusements de toute sorte. C'est sans doute pour cela que, rassasiée avant l'heure, la pauvre désolée ne trouvait plus rien qui l'égayât. En vain avait-on mandé des quatre coins du monde les plus fameux baladins, bateleurs, bouffons, turlupins, pîtres, grimaciers, grotesques et farceurs. Ni Polichinelle, ni Pierrot, ni Arlequin, ni Scaramouche, ni Bobèche, ni Guignol, ni Jean Potage, ni la Guerliche lui-même, l'incomparable la Guerliche, aucun fantoche, si plaisant qu'il fût, n'avait pu amener un sourire sur les lèvres pâles de la Belle-Dolente. Les parades bien plus réjouissantes des courtisans étaient restées sans effet, et la Belle-Dolente les avait vus s'embrasser à grands bras et se déchirer à belles dents, courber l'échine jusqu'à terre, sauter pour tous les favoris, marcher à quatre pattes, ramper à plat ventre, faire enfin les cabrioles les plus étonnantes, les pirouettes les plus extraordinaires et aussi les culbutes les plus inattendues, sans que tant de merveilleuses pantalonnades pussent seulement éclaircir son beau front. Elle n'eût pas ri pour un empire, et on lui aurait mis la tête sur le billot qu'elle n'eût point ri davantage. Le roi, désespéré de cette incurable tristesse, déclara par un édit que quiconque parviendrait à faire rire sa fille l'obtiendrait pour femme. Comme les plus grands comiques de l'univers avaient passé devant ses yeux indifférents, il ne se présenta personne, et c'est alors que son père, ne sachant plus à quel saint se vouer, eut l'idée de l'amener à saint Calixte. Toute la cour regardait, depuis le fin matin, défiler cahin-caha, clopin-clopant, les bossus, les borgnes, les bigles, les aveugles, les manchots, les bancals, les bancroches, les boiteux, les tortus, les cagneux, les culs-de-jatte. Il y en avait qui ressemblaient à des X, d'autres à des Y, d'autres à des Z, d'autres encore à des S ou bien à des K. L'alphabet tout entier y passait, sauf la lettre I. Les plus plaisants étaient ceux que la nature avait marqués au B. Les courtisans riaient à se tordre et le roi, plus haut que les autres. La princesse bâillait comme une jolie carpette au soleil. C'est peut-être bien, en ce moment, ce qu'elle avait de mieux à faire. La pauvrette, après tout, ne risquait rien de moins que d'épouser un ancien bossu ou un ex-cul-de-jatte, et vous m'avouerez qu'il n'était mie temps de rire. La cour se préparait à s'en retourner, et, déjà, jugeant l'épreuve suffisante, le roi avait donné le signal du départ, quand tout à coup Jean du Gogué, qui s'était remis à presser le pas, parut avec son oie et sa suite. Lorsque la princesse vit le Ninoche, les trois filles, le gros curé, le sec héron de bedeau, les deux vicaires, les chantres, le carillonneur, l'organiste, le cron-cornet et les rouges-cottes attachés les uns aux autres, courir en se marchant sur les talons, elle fut prise d'un tel accès de fou rire qu'elle tomba pâmée dans les bras de la reine. Le roi, enchanté, sauta au cou du Ninoche en lui criant : « Tu l'épouseras! tu l'épouseras! » et tous les courtisans se jetèrent dans les bras les uns des autres en s'écriant : « Noël! Noël! Il l'épousera! » Jean alla avec sa suite, y compris le monarque, déposer son ôson aux pieds de saint Calixte. Aussitôt le roi, les trois filles, le curé et ses acolytes purent se séparer. Le charme était rompu. La noce se fit huit jours après, au château de Bernissart. On y mangea un troupeau tout entier d'ôsons d'Hergnies, on but deux brassins de bière de Fresnes, et on rit à ventre déboutonné. Au dessert, le curé de Condé bégaya un long discours qui faillit endormir l'assistance; en revanche, le curé de Bernissart, qui était un homme d'esprit, la réveilla en chantant El pantalon troé, la plus belle chanson qu'on ait faite dans les Pays-Bas. Après la mort du roi, le Ninoche lui succéda et ne gouverna point plus mal que ses prédécesseurs. Les Valenciennois se souvinrent alors qu'on l'avait trouvé jadis à Saint-Saulve, sous un gogué, et revendiquèrent l'honneur de lui avoir donné le jour. De tout temps, les gens de Valenciennes ont eu un faible pour les grands hommes de clocher. Ils firent sculpter, en bois de noyer, les statues de maître Jean du Gogué et de sa femme, et les placèrent sur une tour, où elles sonnaient l'heure à la plus magnifique horloge qu'on eût jamais vue. A cette époque, les Valenciennois n'étaient point riches en hommes illustres. Depuis qu'ils en ont toute une bande, ils ont démoli la tour de maître Jean du Gogué et mis sa statue au rancart: à tort, selon moi . Le Ninoche était un grand homme tout comme un autre. J'en connais plus d'un par le monde qui n'a su, sa vie durant, que répéter les idées d'autrui, qui n'a dû, comme lui, sa fortune qu'à d'heureuses rencontres, et qui est arrivé, comme lui, au pinacle — sans le faire exprès ! |
* Ce conte est dans le domaine public au Canada, mais il se peut qu'il soit encore soumis aux droits d'auteurs dans certains pays ; l'utilisation que vous en faites est sous votre responsabilité. Dans le doute ? Consultez la fiche des auteurs pour connaître les dates de (naissance-décès).
- FIN -
Biographie et autres contes de Charles Deulin. Pays : Belgique | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : auberge | chien | curé | éclopés | farceur | innocent | maréchal ferrant | moulin | oie | or | Pays-Bas | pèlerin | sac | saint Calixe | servante | vacher | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
Concept et réalisation : André Lemelin à propos | droits d'auteurs | nous diffuser | publicité | ebook/epub
Ajouter des contes sur touslescontes.com
Des contes d'auteurs et de collecteurs : Grimm, Perraut, Andersen... Des contes traditionnels: Blanche neige, Le trois petits cochons, Aladin, ou la Lampe merveilleuse... Des contes français, chinois, russes, vietnamiens, anglais, danois...
|