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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 4½ pages (12289 caractères)
Pays ou culture du conte : France.

Recueil : Huit Contes à Mariani

Un chapitre inédit de Don Quichotte

Jules Claretie (1840-1913)

A mon ami Angelo Mariani

L’ingénieux Don Quijote de la Manche gisait – dit Cid Hamet en un chapitre récemment retrouvé par Don Pablo Bustamente, docteur à Salamanque, - tout de son long étendu, étourdi et brisé dans son armure bossuée, auprès de sa lance faussée, sur le terrain où, près de Barcelone, l’avait attaqué et déconfit le Chevalier de la Blanche Lune.

Le vainqueur s’éloignait, ayant fait jurer au noble Hidalgo que, durant une année, le grand don Quijote se retirerait en son village et ne toucherait plus à ces armes qui avaient été sa parure et sa joie. Et le fidèle Sancho, auprès de Rossinante qui broutait difficilement l’herbe rare et prenait les chardons pour du gramen, comme le bon chevalier prenait les maritornes pour de nobles dames, Sancho, désespéré, se demandait comment il remettrait le chevalier en selle et ramènerait son maître au pays.

Mais, par la vertu d’une liqueur conservée en sa gourde depuis les noces de Gamache, le fidèle écuyer eut bientôt, en versant son baume entre les lèvres blêmes et sous les moustaches grises du chevalier, rendu la vigueur à ce grand corps maigre qui se redressa soudain. Et comme s’avançait, pour transporter le héros à la ville, une chaise à porteurs envoyée par le vice-roi :

- Non, dit l’ingénieux Chevalier, je me sens plus dispos que jamais, et si je n’avais fait serment de prendre retraite en mon village, je serais tout prêt à affronter sur l’heure tous les chevaliers de la chrétienté et à combattre les enchanteurs envoyés sur terre pour le désespoir des mortels.

Sur quoi, Don Quijote renvoya la chaise et les porteurs et se remit en selle en demandant à Sancho :

- Qu’est-ce donc que cette liqueur qui m’a rendu si vivement la sève et la force ? Je me sentais passer de vie à trépas il n’y a qu’un moment et voilà que je retrouve, avec l’espoir, toute la vigueur et toute la confiance de mes vingt ans !
- Mon bon maître, répondit Sancho, ceci est un souvenir des noces de Quitterie la Belle et de Gamache le Riche. Tandis que, sur le pré couvert de branchages, les jeunes gens dansaient la zapaleta au son des castagnettes, je faisais, en mes bissacs et mon estomac à la fois, provision des chapons, oisons, poulardes, fromages, épices et beignets empilés autour du boeuf entier qui rôtissait enfilé dans un ormeau. Le généreux cuisinier dont j’ai oublié le nom, m’avait même fait la gracieuseté de m’inviter à emporter une énorme casserole pleine où fraternisaient trois poules grasses et deux oies doucement rebondies et je goûtais avec délices à la joie de mordre en ces chairs juteuses, lorsqu’un brave homme en costume de docteur, la face pleine et la poitrine large, tirant d’un flacon clissé deux ou trois gorgées d’une liqueur inconnue, me dit :

«- Voilà pourtant, compère, qui nourrit mieux et soutient plus sûrement et longuement que toute la lourde mangeaille absorbée par vous,» et comme je m’en étonnais et demandais à ce seigneur s’il n’était pas un enchanteur destiné à nous berner encore et à se moquer de votre grâce : «Quoi ! me dit-il, vous êtes l’écuyer de l’incomparable Don Quijote de la Manche, amant et serviteur de la belle Dulcinée du Toboso ? Ses exploits sont venus jusqu’à moi et, pour qu’il les accomplisse, je lui veux faire cadeau de cet élixir de force et de vie qui rendrait le courage à un gavache et la santé à un grabataire !» et, ce disant, le seigneur Pacheco (c’était son nom) versait dans ma gourde, alors vide, l’élixir qu’il puisait à sa grosse bouteille clissée, me recommandant bien de n’en user que dans les occasions suprêmes et lorsque votre invincible Seigneurie aurait besoin de réparer ses forces dépensées au service de l’Honneur et de la Beauté.

- En vérité, répondit don Quijote, s’il est des enchanteurs malicieux en ce bas monde, on y rencontre aussi des savants bien admirables. Et ton seigneur Pacheco est de ceux-là. Je me sens tout ragaillardi par sa liqueur. Et ce vin vaut tout ceux de Valdepênas, de Malaga ou d’Alicante. Il m’a enlevé du coup dix années. Par Dulcinée, je ne conseillerais point à ce bon Pacheco de faire part de sa liqueur de vie au grand inquisiteur d’Espagne.

Le tribunal du Saint Office demanderait des comptes dangereux à ce faiseur de miracles.

- Ma foi, mon bon maître, fit Sancho, je gagerais plutôt que le Grand Inquisiteur et le Saint Office tout entier remercieraient le seigneur Pacheco et se sentiraient plus vigoureux encore pour juger les hérétiques ! A moins que la vertu du vin qui vous tient en joie n’inclinât leurs coeurs assez durs à une aimable pitié. Les cailloux les plus secs se fendent et les sourcils ne peuvent toujours demeurer froncés !

Après quoi l’incomparable chevalier et Sancho Panza se remirent en route pour la Manche.

Le chemin était long et les déceptions gonflaient la maigre poitrine du héros chevauchant sans armes et sans cuirasse.

- Hélas ! disait-il, mon pauvre Sancho, il valait bien la peine de quitter le logis pour rentrer, comme brebis tondues, au bercail !

Et, à chaque pas, il s’affaiblissait. Mais Sancho, tout près, sur son grison, lui tendait la gourde bénie et une gorgée du vin du seigneur Pacheco rendait le chevalier à l’espérance.

- Si j’avais eu cet élixir lorsque j’ai quitté le village, répétait Don Quijote, j’aurais eu la force de démolir les moulins à vent eux-mêmes, et si je n’avais donné ma parole de chevalier de ne plus combattre avant une année révolue, je te répète que je courrais sus dès à présent aux mécréants, sorciers, imposteurs et félons ! Mais si j’ai, grâce à ton philtre, Sancho, la puissance voulue, hélas, je n’ai plus le droit d’en user.
- Ainsi se rit de nous la fortune, répliqua le fidèle écuyer. Mais consolez-vous, mon bon Seigneur, la santé est le premier des biens et vous la possédez, grâce au philtre conservé en ma gourde !

Devisant de la sorte, ils avançaient vers le petit village d’Argamasilla où avait si longtemps vécu le noble hidalgo entre sa vieille rondache, son cheval fourbu et son lévrier de chasse. Et, à chaque fois que les pénibles souvenirs, ces méchants moustiques, venaient mordre au coeur l’amant de Dulcinée et le débiliter, Sancho versait au chevalier la vigueur avec une gorgée du vin de Don Pacheco. Le bon écuyer, que le grain écrasé de la vigne trouvait toujours prêt aux larges lampées, s’oubliait lui-même, gardant précieusement la liqueur exquise pour son Maître.

Si bien qu’ils arrivèrent – à travers plus d’une aventure, dont la bataille contre les pourceaux, laquelle nécessita pour enlever la tristesse à Don Quijote plus d’une gorgée du vin d’espoir – aux lieux où s’étaient écoulées, parmi les livres de chevalerie, les précédentes années de Don Quijote. Et lorsqu’ils l’aperçurent, amaigri et désolé, la mère et la gouvernante et Thérèse Panza et Sanchette et le curé se dirent tout bas :

- L’incomparable chevalier, le seigneur don Alonzo Quijano semble guéri, non seulement de la folie, mais de la vie !

Et le bachelier Samson Carrasco et maître Nicolas le barbier étaient du même avis. Mais Sancho, frappant sur sa gourde, répondait :

- Non, la mort est sûre mais la vie est forte, et tant qu’il y aura du vin du seigneur Pacheco dans ma gourde, mon bon Maître ne nous quittera pas.

Alors, tandis que Don Quijote reprenait sa vie accoutumée et ne pouvant plus, lié par son serment, chevaucher comme un paladin, songeait à se faire berger errant, Sancho Panza prolongeait l’existence de son maître par cet élixir que le barbier déclarait magique.

Et le curé faisait demander par toutes les Espagnes si l’on ne pouvait retrouver un certain seigneur Pacheco, possesseur du vin de vie. Mais ce seigneur avait disparu, prenant passage sur une galère pour les Indes d’où il avait rapporté la plante aux vertus extraordinaires qui, macérée dans le jus de la vigne, donnait au vin ces propriétés qui eussent fait brûler peut-être, sous le san bénito, le possesseur d’un tel secret, comme sorcier.

La gourde du bon Sancho Panza se vidait donc petit à petit et chaque goutte dépensée rendait et, à la fois emportait la vie de l’incomparable Don Quijote de la Manche.

A la fin, lorsque la gourde fut sèche, le bon chevalier dit à l’écuyer :

- C’est maintenant que les oiseaux sont dénichés, mon pauvre Sancho ! Quand je pense, ajouta-t-il avec un soupir, que grâce à ton élixir, j’aurais pu, malgré mes tempes blanches comme les sommets de la Sierra Morena, paraître juvénile et fringant encore à la belle Dulcinée du Toboso si j’étais parvenu à la désenchanter !

Il fit jurer au fidèle écuyer de retrouver, pour le bonheur de l’humanité, le seigneur Pacheco et son élixir de vie.

- Si je ne bois plus du vin de ta gourde vide, mon bon Sancho, du moins dans l’avenir ce vin vous préservera, toi, ta femme Thérèse, ta fille Sanchette et vos héritiers, des maléfices et des maux dont les enchanteurs criblent les hommes.

Sancho jura.

- Vous savez, mon bon Maître que votre écuyer a, comme vous, toujours tenu sa parole.

Et, lorsque l’illustre hidalgo, dont le bonheur fut de mourir sage après avoir vécu fou, eut rendu sa belle âme si vaillante à l’infini où tout retourne, Sancho enfourcha son grison, comme au beau temps des extravagantes et nobles aventures, voyagea, à petites journées jusqu’au pays où vieillissait le riche Gamache et s’enquit de ce qu’était devenu Don Pacheco qu’il retrouva toujours alerte, solide, revenu des Indes avec toute une cargaison de la feuille verte, d’un vert grisâtre, douce, élastique et grasse, d’un arbrisseau dont la tige ne dépassait point la grosseur du doigt d’un alguazil et que Pizarre avait vue jadis roulée entre les doigts des Incas : une feuille réputée magique parmi les Indiens du Pérou, les coqueros, qui en usaient précieusement comme d’un moyen actif de force, de courage et de vie.

Un vieil historien, descendant par sa mère de la famille royale du Pérou, Garcilaso de la Vega, surnommé l’Inca, en parlait souvent et mystérieusement à Valladolid où il s’était retiré et déclarait qu’il la louerait en ses ouvrages, légués à ses héritiers : La Florida del Inca et Los Commentarios que tratan del origen de los Incas Reyes. C’est avec les feuilles de l’arbre de la vie qu’était, en partie, payé par les Indiens l’impôt aux Espagnols victorieux ; et les chanoines de la cathédrale de Cuzco, sans compter Monseigneur l’Évêque, en tiraient leurs revenus annuels, aussi gras que le ventre de Sancho lui-même ! - Bone Deus ! s’écria don Pacheco lorsque le bon écuyer lui apprit la mort du pauvre Don Quijote, si j’avais été auprès de lui, la coca que je tiens des pays de féerie, eût prolongé son existence jusqu’à la fin du siècle et l’eût immortalisé même sans le secours de Cid Hamet !.....

Et le bon Sancho poussa un grand soupir en disant :

- Vous êtes vraiment le seul, le véritable, le bon enchanteur et n’ayant pu, puisque la dernière goutte était bue, prolonger, grâce à vous, les jours de mon maître, je ne boirai plus du moins que de votre coca qui gardera à ma postérité le bon sens dont je suis fier et lui donnera de plus le bon sang qui rend les générations fortes et les hommes solides ! A bon vin pas d’enseigne. Je prierai cependant maître Nicolas qu’il mette sur sa boutique de barbier ces mots reconnaissants : Au vin qui prolongea et qui eût sauvé Don Quijote.

Ce qui fut fait au gré du bon Sancho Panza dont le corps devint centenaire et dont le bon sens est éternel.

Et c’est ce vin d’espoir et de vie, ce vin glorieux et joyeux qu’eût célébré Maître François Rabelais et que dégusta Don Quijote, qui remet aujourd’hui en santé les amis d’Angelo Mariani, héritier de la Coca des chanoines de Cuzco et bienfaiteur de l’humanité dolente.

Ces amis, ce sont ceux auxquels il rend l’oeil plus vif, le sang plus chaud et le coeur plus jeune. Vaya con Dios !

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- FIN -

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