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IL y avait une fois, – dit à son tour Élisa, en regardant fixement un certain personnage en culotte, haut comme ma botte, et qui tout aussitôt devint rouge comme un coquelicot, – il y avait une fois un petit garçon de sept ans, qui s’appelait Guillaume et qui était très-poltron. Il avait peur des chiens, il avait peur des chats, il avait peur des mulots et des grenouilles, il avait peur des vaches et des ânons, il avait peur des guêpes et des sauterelles, et quand son père déchargeait dans le jardin son fusil sur un merle, il eût voulu se cacher dans un trou de souris. Vous ne l’auriez pas fait descendre le soir dans la cave, même avec un lanterne, quand vous lui auriez promis toute une bouteille de vin sucré, et Dieu sait pourtant si ce peureux aimait le vin sucré ! Ses parents en étaient honteux et avaient tous les jours envie de lui ôter ses culottes pour lui mettre un cotillon, tant il ressemblait plutôt à une petite fille timide qu’à un traîneur de sabre. Heureusement qu’il lui arriva une épreuve qui le corrigea à tout jamais de toutes ses poltronneries. Ses parents, un soir d’octobre, devaient aller dîner chez des amis à une campagne voisine ; mais au moment de monter en voiture, il se souvint que dans ce château-là il y avait un gros chien qui aboyait de toutes ses forces devant les chevaux quand il entrait une voiture dans la cour. Il n’en fallut pas davantage pour le faire renoncer à son beau dîner, et il dit, en câlinant, à sa mère qu’il aimait mieux rester à la maison avec sa bonne. Le jour allait tomber, l’air du soir s’annonçait vif ; ses parents furent enchantés de sa sagesse et partirent seuls, le croyant déjà remonté dans la chambre de sa bonne. Mais sa bonne, – que je connais bien et qui m’a tout conté, – Guillaume voulut lui jouer un petit tour, et, au lieu de venir la rejoindre tout droit, il s’avisa d’aller se cacher un moment dans la chapelle. Sa bonne, elle, le croyait roulant bien loin, et raccommodait ses chausses, tranquille comme Baptiste, et songeait même à part elle qu’elle ferait endêver son M. Guillaume, le soir en le couchant, à propos du chien et de la chatte de ce château là-bas. A peine s’était-il approché de l’autel pour regarder les fleurs des vases et les images des canons, que voilà la vieille femme chargée des clefs de la chapelle, qui, six heures sonnant à Saint-Sauveur, vient, selon l’habitude, donner son tour de clef, et s’en retourne chez elle, toujours branlant la tête, sans se douter qu’elle a pris un oiseau au trébuchet. Ah ! le pauvre oiseau ! mon Dieu ! Sa bonne entendit bien de loin un enfant qui criait ; mais elle se dit que c’était sans doute le petit du jardinier. La jardinière, qui arrosait ses choux au clair de lune, entendit bien aussi des hurlements d’enfant ; mais elle se dit que c’était sûrement un galopin de la Croix-Blanche qui avait reçu une bonne fouaillée, et elles continuèrent gaiement leur besogne. Mon Dieu ! mon Dieu ! si elles avaient su ce que c’était! Quand il avait eu bien cogné aux deux portes, le pauvre Guillaume, et quand il y avait eu bien usé ses petits poings et ses petits pieds, et tous les cris de sa poitrine, il s’était mis dans un coin sans plus oser bouger, et toujours criant, et toujours gémissant, mais absorbé par sa peur plus encore que dans le premier moment. Il regardait partout, à droite et à gauche, avec des yeux effarés, s’il ne sortirait point de sous les marches et de sous les pavés et s’il ne tomberait point de la voûte noire des crapauds, des serpents et des monstres ailés. Il n’osait s’asseoir nulle part ; il cachait ses mains dans ses poches. Une certaine confiance qu’on lui avait dit d’avoir dans la Sainte Vierge le poussa à se rapprocher de l’autel ; mais à peine au fin haut apercevait-il la statue de la Vierge et de l’Enfant Jésus, tandis que le Christ en croix, tout pâle, peint au-dessous entre les colonnes, semblait le menacer, et que les têtes sculptées des chérubins semblaient voler contre lui, comme des chauves-souris, avec leurs petites ailes blanches. Il commença, tout haletant de ce qu’il voyait là, et déjà la sueur froide au front, à se reculer de l’autel et de la chapelle haute, pour descendre dans la nef, où il ne voyait qu’un grand vide. Mais là les murs et les fenêtres devenaient plus hauts, et il lui semblait qu’il fût descendu un étage plus bas dans les choses terribles. Les rats couraient le long des murailles vertes et poussaient un petit cri en frôlant ses jambes. A ce moment il aperçut, entre les deux escaliers qui montent à la chapelle haute, une porte entrebâillée et une lucarne par lesquelles s’échappait un certain jour brillant. Devait-il crier plus fort ? Devait-il s’approcher de cette porte ? Quoique son petit coeur lui battît à rompre sa poitrine, l’idée qu’il trouverait par là une sortie de la chapelle le poussa vers le caveau ; il descendit les marches. La porte cria dès qu’il y mit la main, et en voulant s’enfuir en arrière il tomba assez rudement assis sur un degré. La veille il aurait crié ; mais il n’avait plus de voix, et personne pour le plaindre, et, ma foi, il se releva. Il se rapprocha de la porte, et comme il y avait juste assez de place pour qu’il entrât, il aventura d’abord sa petite tête et ne vit personne derrière la porte ; il s’y glissa tout entier. Rien d’abord ne le frappa de plus effrayant que dans l’autre chapelle, et pourtant au bout d’un instant il se sentit bien autrement ému. La lune pénétrait à plein par les soupiraux aux deux côtés de cette chapelle basse. Mais au milieu de ces deux soupiraux semblaient grimper des chenilles gigantesques, et peu à peu il remarqua que s’agitaient par la lucarne de droite des grandes pattes d’araignées monstrueuses. Il recula encore, les cheveux hérissés ; mais cette fois, au lieu de sortir du caveau, il repoussa la porte avec son dos et s’y trouva renfermé. Son talon venait de butter contre une grande pierre, et dès qu’il y jeta les yeux, il reconnut les deux tombeaux dont on lui avait raconté l’histoire. Un vieux bonhomme était enterré là, et une tête de mort était gravée sur la pierre. Les gens du pays croyaient que son fantôme revenait la nuit, et disaient que quand on leur donnerait son enclos, ils n’oseraient pas rester dans la chapelle jusqu’au matin. Juste à ce moment Guillaume entendit un bruit de griffes contre le mur, et il vit se dresser à l’une des petites fenêtres un être tout gris qui la remplit presque tout entière et se mit à le regarder avec des yeux brillants. Les frissons couraient au pauvre enfant de la plante des pieds à la pointe des cheveux ; il voulait crier encore et n’avait plus de voix ; mais presque aussitôt l’apparition s’évanouit. Ne sachant plus que devenir, et presque sans connaissance, il alla s’asseoir au pied du vieil autel qu’on lui avait dit consacré à sainte Madeleine. Il regardait de là malgré lui vers les tombeaux, épiant s’il n’en sortirait rien ; il cherchait dans sa pauvre tête comment il se défendrait contre le fantôme et ce qu’il ferait encore si l’apparition du soupirail revenait. Il mit la main sur une grosse pierre toute ronde, qu’il entrevoyait à demi, posée sur l’une des tombes ; il la souleva et la roula auprès de lui ; mais quand elle fut dans le rayon de la lune, jugez de son épouvante : c’était une tête avec des joues rouges, des cheveux et une barbe noirs ! Ah ! pour le coup, le fantôme aurait pu venir, le pauvre petit Guillaume l’eût pris pour son sauveur. Il racontait plus tard à sa bonne que comme il en était là, et croyant bien qu’il allait mourir, il se mit à faire sa prière, mais des lèvres seulement, car il ne pensait plus à rien, et pendant qu’il disait son Notre Père, il entendit le bruit d’un ronron qui rôdait autour de lui : c’était le chat de la maison, auquel il avait donné quelquefois ses os, et qui, le reconnaissant, venait se frotter à ses jambes et puis de là contre la tête aux cheveux noirs, et puis de là sautait d’un tombeau à l’autre, et puis enfin repassait par la lucarne sans que les grandes pattes d’araignée et l’énorme chenille qui la fermaient parussent lui faire obstacle. Quand il fut parti, Guillaume se sentit plus soulagé, – d’abord parce qu’il n’était plus là, – et puis il se mit à regarder tout ce qu’avait touché le chat avec un peu moins de terreur. Il crut reconnaître que l’apparition aux yeux brillants pourrait bien être une première visite du chat lui-même, qui venait à la chasse aux rats ; et puis que les pattes d’araignée pourraient bien être des tiges de lierre se glissant du dehors dans le caveau et agitées par le vent ; et puis les chenilles monstrueuses, de larges barreaux de fer serpentant avec des pointes pour défendre l’entrée des soupiraux ; et puis la tête coupée ? une autre toute blanche et mutilée qu’il vit sur l’autel de sainte Madeleine, et qui avait appartenu à un ange, lui donna à entendre que celle-ci pourrait tout aussi bien être la tête cassée d’une vieille statue de saint Léonard ; – et quant au tombeau, il en vint à se rappeler qu’on lui avait dit que ce bonhomme, de son vivant, n’était point si méchant pour les enfants et pour les pauvres, et que, quand même il aurait, étant chirurgien des armées, coupé vingt-cinq mille jambes et trente-cinq mille bras à des militaires, il avait planté dans l’enclos tant de bons pommiers, tant de beaux poiriers, tant d’excellents agriotiers, dont toute l’année on mangeait les fruits, qu’en vérité pour un enfant de la maison il était plus à aimer qu’à craindre. Tous ces raisonnements-là, comme bien vous pensez, n’avaient point passé par la cervelle si troublée de Guillaume aussi prestement que je vous le dis là. Les quarts d’heure lui paraissaient encore furieusement longs, et de temps en temps il lui reprenait des envies de trembler ; mais peu à peu le courage reprenait le dessus, et il arriva même, – ce que vous n’auriez peut-être pas fait, vous autres, – qu’une chauve-souris s’étant introduite par l’une des fenêtres dans le caveau, ou plutôt, comme l’appelle M. l’agent voyer, dans la crypte, et la chauve-souris s’étant mise à tournoyer autour de l’enfant, il l’abattit avec son mouchoir et l’écrasa avec son pied. Quand il eut fait cela, il se dit, avec raison, qu’il n’avait plus rien à redouter dans le monde, et il se mit à regarder par la lucarne vers les promenades de la ville. Il n’y avait pas vingt minutes qu’il était là, quand il entendit rouler la voiture qui s’approchait de la grande porte. A peine eut-on mis pied à terre, que la bonne et la mère de Guillaume s’entre-demandèrent ce qu’elles avaient fait de leur enfant. – Guillaume ! Guillaume ! Guillaume ! Mais aussitôt on entendit une voix qui sortait de bien loin, derrière les sapins, et qui s’écriait : Par ici, mère, par ici ! je suis enfermé dans la chapelle, allez chercher la clef ! On réveilla la bonne femme aux clefs, qui fut bien étonnée, elle aussi ; mais le plus étonné de tous, ce fut le père de Guillaume, quand, à peine sorti de son caveau, celui-ci dit au cocher : Pierre, voulez-vous que j’aille au grenier chercher sans chandelle une botte de foin pour le cheval ? – et à son père : Mon père, demain, si vous voulez, j’irai à la chasse avec vous, je porterai votre poudre et votre carnassière. Depuis ce temps-là, on ne l’appelle plus que Guillaume Sans peur. Le maître du logis remontait, en humant l’air, l’allée qui longe les sapins. Il vit que sa fille Gabrielle avait à ce moment la tête tournée vers le point de la forêt où elle enserre les premières maisons de la Brière. – Que regardes-tu de ce côté ? lui dit-il. Te demandes-tu si le gars Guillot va revenir de là au comice avec la singulière compagnie dont il fit rencontre l’autre mois dans la futaie de Saint-Martin ? Asseyons-nous ici, je vais te raconter cela : |
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Biographie et autres contes de Charles-Philippe de Chennevières-Pointel. Pays : France | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : bonne | chapelle | chat | frisson | peur | poltron | tête | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
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