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De toutes les passions, l’amour est celle qui donne lieu au plus bizarres aventures. Je vais en rapporter une qui confirmera cette vérité, & qui fera connoître quels sont les caprices de l’amour. Léonice, fille de qualité, qui avoit également de la beauté & du mérite, étoit dans sa vingt-deuxième année, sans jamais avoir témoigné d’empressement pour le mariage. Comme elle avoit été jusqu’alors sans passion, elle s’étoit rendue fort difficile sur le choix. Elle n’avoit point de mère ; son père, qui connoissoit que beaucoup de sagesse régloit sa conduite, la laissoit vivre sur sa bonne foi, & s’étoit contenté de mettre auprès d’elle, pour la bienséance, un femme d’un âge mûr, qui l’accompagnoit par-tout. Un jour, étant allée chez une dame ses amies, elle y trouva un jeune cavalier nommé Almadore, qui fut bien aise de la connoître, parce qu’il avoit entendu parler d’elle d’une manière fort avantageuse. Il voulut profiter de cette occasion, afin de s’assurer par lui-même du mérite de cette aimable personne. Il s’attacha à l’entretenir, & lui trouva un tour d’esprit agréable, & tout rempli d’honnêteté, qui passoit encore ce qu’il en avoit ouï dire. Cette conversation l’autorisa à lui rendre une visite peu de jours après. Il eut tout sujet d’en être content, & ses manières nobles & touchantes lui ayant engagé le cœur, les soins qu’il continua de lui rendre auroient été des plus assidus, si elle eût voulu y consentir ; mais comme il n’étoit pas si aisé de lui donner de l’amour, que d’en prendre en la voyant, quelques protestations qu’il pût lui faire, que s’il avoit le bonheur de ne lui pas déplaire, elle pouvoit ordonner de sa destinée, elle le pria de la voir plus rarement, afin que sa passion ne l’aveuglât point, & que demeurant toujours le maître de sa raison, comme elle prétendoit l’être de la sienne, ils pussent examiner, sans nulle surprise, s’ils feroient assez le fait l’un de l’autre pour se rendre heureux. Cette retenue ne fit que l’enflammer davantage ; son cœur étoit tout occupé d’elle, & n’ayant pu obtenir la liberté de la voir aussi souvent qu’il le souhaitoit, il chercha à se soulager en lui écrivant. Il avoit un talent particulier pour bien tourner un billet, & il espéra que s’il pouvoit l’engager à lui répondre, il s’assuroit en quelque façon le succès de son amour. Léonice reçut sa lettre dans le temps qu’une jeune veuve de ses intimes amies étoit avec elle, & elle ne prétendoit que lui faire faire une honnêteté de bouche, quand son ami la pressa de lui répondre ; elle répliqua qu’elle n’écrivoit jamais, & que les lettres les plus innocentes, montrées indiscrètement, faisoient souvent faire de si méchans contes, qu’elle avoit résolu de ne s’exposer jamais à un chagrin de cette nature. La jeune veuve, qui écrivoit agréablement, prit la plume à son refus ; & quoique Léonice s’obstinât d’abord à s’y opposer, elle l’obligea enfin de souffrir qu’elle répondit pour elle. Cette tromperie ne lui devoit rien faire appréhender de fâcheux. La lettre ne pouvoit lui être imputée, puisqu’elle n’étoit pas de son écriture ; & quand Almadore auroit eu l’indiscrétion de la faire voir, loin d’en tirer aucun avantage, il n’en pouvoit attendre que la honte de s’être vanté d’une faveur qu’on ne lui auroit point faite. Quoique les termes fussent assez généraux, il y avoit une finesse d’esprit qui redoubla son amour. Il crut même y découvrir quelques sentimens qui le flattèrent, & rien ne lui avoit jamais causé tant de joie. Il ne manqua pas le lendemain d’aller voir Léonice, qui ne voulut point le détromper, & qui reçut pour son compte, toutes les louanges qu’il lui donna sur sa manière d’écrire. Il eut grand soin de continuer ce commerce de billets. Léonice souffroit que la jeune veuve y répondit toutes les fois qu’elle se trouvoit chez elle dans le moment qu’ils lui étoient apportés, & elle trouvoit quelque prétexte pour se défendre d’écrire dans les autres temps. Almadore relisoit cent fois toutes les réponses qu’il croyoit être de cette aimable personne, & il les regardoit comme autant de gages qui lui répondoit de son bonheur. Les chose étoient en cet état, lorsqu’il fut troublé par un rival dangereux, qui fut reçu de la belle assez favorablement. Il avoit du bien & de la naissance, & il étoit fait d’une manière à ne pas rendre des soins inutilement. Ses visites devinrent suspectes à Almadore. Il contraignit d’abord son chagrin, & le laissa ensuite éclater sur son visage, sans oser s’en plaindre à celle qui le causoit. Il ne put enfin s’empêcher d’en témoigner quelque chose à la jeune veuve, dont il s’étoit fait ami, & prit le parti de lui écrire tout ce qu’il souffroit, quand il trouvoit son rival chez sa maîtresse, dans la pensée qu’elle lui feroit lire ses lettres, & que les tendres expressions dont il se servoit seroient capables de toucher son cœur. La dame, ne voulant pas lui faire connoître la tromperie qu’on lui avoit faite, employoit la main de sa suivante pour lui répondre, & tâchoit de bonne foi à lui rendre les bons offices qu’il exigeoit d’elle. Léonice, qui ne se laissoit point préoccuper par l’amour, & qui vouloit choisir à son avantage, trouvoit fort mauvais qu’Almadore osât condamner les honnetetés qu’elle avoit pour son rival. Les plaintes qu’il se hasarda à lui en faire lui-même, marquoient un caractère d’emportement & de jalousie, qui ne l’accommodoit pas. Elle lui dit qu’il ne pouvoit prendre une plus méchante voie pour se faire aimer, que de vouloir agir avec tyrannie, & qu’il prît garde qu’une conduite si peu raisonnable pourroit ne servir qu’à avancer les affaires de celui qu’il essayoit de détruire. Ils eurent ensemble plusieurs différens sur ce rival trop bien écouté, & la jeune veuve empêchoit souvent qu’ils ne se brouillassent avec trop d’aigreur ; mais enfin, comme il ne pouvoit modérer sa jalousie, la belle se trouva si fatiguée des ses plaintes, que jugeant qu’un homme, qui n’étant encore que son amant vouloit l’obliger de se conformer à ses caprices, en useroit avec une autorité insupportable quand il seroit son époux, elle résolut de lui ôter toute l’espérance qu’il avoit conçue. Elle ne songeoit à se marier que pour être heureuse, & les reproches continuels qu’il prenoit déjà la liberté de lui faire, lui faisoient connoître que sa conduite, toute régulière qu’elle étoit, ne le satisferoit pas. Ce qu’elle avoit résolu fut exécuté ; & dès le premier démêlé qu’ils eurent, elle le pria de changer en amitié les sentimens qu’il avoit pour elle. Elle ajouta, que sur ce pied-là elle le verroit toujours avec plaisir, parce qu’elle avoit pour lui une véritable estime ; mais qu’après la connoissance qu’il lui avoit donnée de son caractère, il ne devoit pas attendre qu’elle s’aimât assez peu pour vouloir passer toute sa vie avec un homme dont l’humeur n’avoit aucun rapport à la sienne. Almadore, surpris de ses paroles, fit tout ce qu’il put pour adoucir Léonice ; il employa son amie, & il n’y eut point de soumission qui ne fût mise en usage ; mais tous ses efforts furent inutiles ; elle demeura inébranlable, & il fut contraint de renoncer aux protestations qu’il avoit eues. Il alla s’en consoler chez la jeune veuve. Elle avoit de l’agrément & beaucoup d’esprit ; & comme une passion en guérit souvent une autre, insensiblement il prit plaisir à la voir. Il s’expliqua ; il fut écouté, & le seul obstacle qu’il trouvoit à son bonheur, venoit de la crainte que la dame avoit qu’il ne fût toujours touché de Léonice. Il la voyoit encore quelquefois, & elle craignoit que ce ne fût un feu caché sous la cendre. Il l’assura qu’il n’alloit chez elle de temps en temps que par une pure bienséance, & pour l’empêcher de croire que le dépit eût succédé à l’amour, & qu’il ne fût pas entièrement dégagé. Sur cette assurance, la jeune veuve, à qui Almadore ne déplaisoit pas, alla demander à son amie ce qu’elle vouloit qu’elle fît de lui, parce qu’il l’accabloit de visites ; & la voyant rire de cette demande, elle lui confia les fortes protestations qu’il lui faisoit d’un attachement sincère & tendre. Léonice, répondit qu’elle n’avoit qu’elle-même à consulter, & que si son caractère jaloux & bizarre ne lui faisoit point de peine, elle pouvoit suivre son penchant, sans lui causer le moindre chagrin. Leur mariage fut arrêté en fort peu de temps, & ils en remirent la conclusion au retour d’un voyage de deux ou trois mois qu’Almadore fut contraint de faire pour une succession considérable qui lui étoit arrivée à Surat. Ils se promirent de s’écrire fort souvent, & ils se tinrent parole. La dame continua d’emprunter la main de sa suivante, parce que ne lui ayant rien appris de la tromperie qu’on lui avoit faite touchant les réponses qu’il croyoit avoir reçues de Léonice, elle trouva à propos de ne lui dire qu’elles étoient de son écrire, qu’après que le mariage seroit fait. Il y avoit trois semaines qu’Almadore étoit parti, & la jeune veuve en avoit déja reçu plusieurs lettres, quand Léonice l’étant venu voir, lui en montra une qu’elle avoit reçue de lui le jour précédent. Ce n’étoit qu’un compliment de civilité, dont la dame ne se seroit point inquiétée, s’il l’eût écrit à toute autre ; mais il lui parut qu’à son égard, ce soin obligeant étoit un reste d’amour, & un mouvement jaloux qui la saisit aussi-tôt, lui fit prendre le dessein d’approfondir les plus secrets sentimens d’Almadore. Elle eut cependant l’adresse de déguiser sa surprise ; & en affectant un air enjoué, elle demanda à la jeune veuve si elle vouloit la charger de sa réponse. Léonice lui dit qu’elle devoit croire, que n’ayant jamais écrit à Almadore, elle le feroit encore bien moins depuis leur rupture. Si-tôt qu’elle fut partie, la jeune veuve, qui s’étoit flattée de posséder tout le cœur de son amant, voulut savoir ce qui en étoit. L’occasion étoit belle pour découvrir, avec une entière certitude, s’il l’avoit trompée, en lui jurant qu’il ne cesseroit jamais de l’aimer. Elle prit la plume, & lui écrivit au nom de Léonice. La lettre portoit, que les marques de souvenir qu’il venoit de lui donner, lui étoient fort agréables, quoiqu’elle eût lieu de se plaindre de ce qu’il s’étoit déterminé si promptement à n’être que son ami ; qu’un cœur bien touché étoit incapable de changer de sentiment ; qu’elle l’éprouvoit par ceux qu’elle conservoit toujours, & que si elle lui avoit causé quelques chagrins, il lui seroit peut-être aisé de les réparer, si l’engagement qu’il avoit pris ne l’avoit pas mise hors d’état de lui marquer tout ce qu’elle sentoit pour lui. Elle finissoit en lui donnant une adresse particulière, afin que son nom ne paroissant pas sur l’enveloppe, ses lettres ne fussent pas en péril d’être surprises par les curieux. Almadore donna dans le piège ; & le moyen qu’il eût pu s’en garantir ? Il vit la même écriture des premiers billets qu’il avoit reçus, & n’ayant point à douter que ce ne fût celle de Léonice, il s’abandonna à toute la joie que peut causer une chose qu’on souhaite avec ardeur, & que l’on n’ose espérer. Sa première passion se réveilla tout-à-coup. La précaution de vouloir éviter les curieux, sembloit l’assurer qu’on avoit un véritable dessein de renouer avec lui. Il relut vingt fois la lettre ; &, tout rempli d’une espérance flatteuse, il fit réponse sur l’heure, selon d’adresse qu’on avoit pris soin de lui marquer. Il se servit de termes si tendres, & employa des expressions si vives, qu’il fut aisé de connoître que c’étoit le cœur qui les fournissoit. La jeune veuve, qui avoit pris de justes mesure, ne manqua pas de recevoir cette lettre ? Elle y remarqua, avec chagrin, que Léonice étoit toujours aimée en secret ; & quoiqu’il lui fût fâcheux de renoncer à l’amour d’Almadore, elle résolut de n’en être pas la dupe. La manière dont il s’expliquoit lui fit comprendre qu’il n’y avoit rien de plus dangereux que d’épouser un homme prévenu d’une forte passion qu’un nouvel engagement n’avoit pu éteindre ; & ne songeant plus à le conserver pour son amant, elle voulut pousser l’infidélité qu’il commençoit à lui faire, jusqu’au plus haut point où elle pouvoit la porter. Elle lui manda qu’elle étoit fort satisfaite des assurances d’amour qu’elle recevoit de lui, & qu’elle avoit beaucoup de penchant à y répondre, mais qu’elle étoit combattue par le doute où elle étoit qu’il voulût quitter la jeune veuve pour lui redonner toute sa tendresse. Almadore ne balança point sur le sacrifice qu’on lui demandoit ; & comme pour le tenir tout à fait certain, on voulut avoir toutes les lettres que la jeune veuve lui avoit écrites, il eut l’imprudence de les envoyer. La dame qui se donnoit cette comédie, auroit senti vivement l’outrage qu’il lui faisoit, si l’assurance de l’en voir puni sévèrement ne l’eût consolée. Pendant qu’elle lui écrivoit ainsi de sa main au nom de Léonice, elle se servoit de celle de sa suivant pour lui écrire en son propre nom. Ce qu’il y eut de plaisant, c’est qu’à mesure que les lettres qu’il croyoit venir de Léonice étoient pleines de tendresse, celles qu’il adressoit à le jeune veuve marquoient le dégoût d’une personne qui les écrivoit avec contrainte. Elle se divertissoit à lui en faire de légers reproches, & il s’excusoit sur ce qu’un procès que lui donnoit sa nouvelle succession, ne devoit pas le mettre de bonne humeur. Il accommoda le sien, & relâcha même de ses droits, par l’impatience qu’il eut de retourner auprès de Léonice. Il revint tout triomphant, ne doutant point de sa conquête. L’amour lui épargnoit les remords de son infidélité, & il alla d’abord chez Léonice, dont il espéroit un accueil charmant. Il fut fort surpris, quand tout au contraire il s’en vit reçu avec beaucoup de froideur. Elle lui demanda s’il avoit vu la jeune veuve ; & sur la réponse qu’il lui fit, qu’il savoit trop bien aimer pour en avoir eu la pensée, elle tomba dans un tel étonnement, qu’elle demeura muette. Tout ce qu’il lui dit en servit qu’à augmenter cet étonnement ; elle n’y comprenoit rien ; & comme il ne s’expliquoit pas nettement, parce qu’il croyoit être entendu après les lettres qu’il croyoit avoir d’elle, l’embarras de Léonice devenoit toujours plus grand. Elle ne fut éclaircie de rien, à cause de l’arrivée du rival, qui avoit été le sujet de leur rupture. La belle, qui devoit l’épouser dans quatre jours, lui fit des honnêtetés si obligeantes, quAlmadore n’en put être le témoin. Il sortit désespéré, & dit seulement tout bas à Léonice, qu’elle auroit peut-être lieu de se repentir de sa tromperie. Une menace si brusque mit le comble à la surprise. Elle crut qu’en changeant d’air, il avoit perdu d’esprit, & ne savoit à quoi attribuer un procédé qui lui paroissoit si extravagant. Il alla chez une personne par qui il pouvoit apprendre en quels termes Léonice étoit avec son rival. On lui dit que les articles étoient signés, & que le mariage se devoit faire au premier jour. Il ne comprenoit rien à une conduite si peu ordinaire. Léonice, dont les manière honnêtes étoient estimées de tout le monde, lui avoit toujours paru incapable d’un tour pareil à celui qu’on lui jouoit ; & en cherchant pourquoi elle le traitoit si indignement, il crut que tout cela s’étoit fait pour obliger son amant, qui, par haîne ou par caprice, pouvoit avoir exigé de son amour un traitement si injurieux. Il ne voyoit pas pourtant quel intérêt lui avoit fait souhaiter qu’il trahît la jeune veuve. Il n’y avoit qu’à ne point troubler leur union, & il n’eût jamais repris de nouvelles espérance. Quoique la manière dont elle avoit agi avec lui le touchât sensiblement, il ne put s’imaginer qu’elle eût pris plaisir à le brouiller avec la jeune veuve. Le lendemain, il alla chez elle comme ne faisant que d’arriver. Les réflexions qu’elle avoit faites l’ayant rendue maîtresse de l’émotion qu’elle devoit avoir en le revoyant, elle le félicita d’un air tranquille sur son raccommodement, & lui dit en même temps qu’elle n’auroit jamais cru qu’il eût voulu la sacrifier à une personne dont il n’étoit que trop sûr qu’il ne pouvoit être aimé. Almadore n’ayant rien à répondre à ce reproche, garda un profond silence, & la dame lui porta le dernier coup, en lui montrant toutes les lettres qu’il avoit écrites à Léonice & à elle-même. Il s’écria qu’il n’y avoit jamais eu une telle trahison ; & persuadé, par ce qu’il voyoit, que Léonice avoit tout remis entre les mains de la dame, il sortit tout en fureur, sans chercher à s’excuser. Il connut bien qu’il lui seroit impossible d’en venir à bout ; & dans ce même moment il alla trouver Léonice. Il fit paroître tant d’emportement, dès qu’il commença à lui parler, que pour en pouvoir démêler la cause, elle résolut de l’écouter sans l’interrompre. Il lui reprocha l’artifice de ses lettres, pour tirer de lui celles qu’elle avoit voulu qu’il lui envoyât de la jeune veuve, & ajouta qu’en les publiant, il la couvriroit de honte. Léonice demande à voir ces lettres, & les ayant lues avec beaucoup de surprise, elle l’assura qu’il n’y en avoit aucune que la jeune veuve n’eût écrite. Elle lui conta ce qui s’étoit fait touchant ses premiers billets, & lui avoua qu’ayant reçu une de ses lettres un peu après son départ, elle l’avoit lue à la jeune veuve, protestant que c’étoit la seule qu’elle eût eue de lui pendant son voyage, & que puisqu’elle lui avoit promis de le regarder toujours comme son ami, il lui faisoit une grande injure, s’il lui croyoit l’ame assez mauvaise pour avoir contribué à la tromperie dont il se plaignoit ; qu’elle étoit au désespoir qu’on eut employé son nom pour l’abuser, & qu’en toute occasion elle lui donneroit avec plaisir des marques de son estime. Almadore, convaincu qu’il n’avoit aucun sujet de se plaindre d’elle, voulut entrer dans les sentimens que ses fausses lettres avoit remis dans son cœur, & Léonice l’arrêta, en le priant de vouloir bien s’en tenir aux termes dont ils étoient convenus, puiqu’elle étoit prête à se marier, & que tout ce qu’il pourroit dire de sa passion seroit inutile. Il se voyoit dans une fâcheuse situation. Les charmantes espérances qu’il avoit reprises étoient perdues pour toujours. Il n’avoit rien à attendre de la jeune veuve, à qui il avoit fait un outrage qui ne pouvoit être réparé, & il avoit lui-même beaucoup de peine à lui pardonner l’état malheureux où elle l’avoit réduit, en rallumant une flamme qu’il étoit contraint d’éteindre encore une fois. Dans ces agitations, il ne trouva pas de plus sûr moyen d’oublier tous ses chagrins, que de se donner entièrement à la gloire. Comme le roi de la Chine étoit en guerre avec les tartares, & que l’armée de ce prince étoit sur le point de leur donner bataille, Almadore voulut être de la partie. Il s’y rendit, & durant le combat, il fit de si belles actions, qu’elles lui ont attiré l’estime des généraux, & même de toutes les troupes. Le roi, sachant cela, lui a donné un emploi & une pension considérable pour en soutenir la dignité. Je vous assure, madame, dit l’empereur Behram, que cette histoire est fort jolie, & que la manière dont vous me l’avez racontée est très-agréable. Si je ne croyois pas vous être trop importun, je vous prierois de m’en dire encore un autre ; mais comme cela pourroit vous incommoder, il faut remettre la partie à une autre fois. Cependant je vous prie de me faire l’honneur de dîner avec moi. La princesse accepta cette offre avec plaisir ; & après le dîner, l’empereur fit venir le septième nouvelliste, qui étoit naturellement éloquent, lequel lui raconta cette histoire. |
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- FIN -
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