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Méchante vie qu’il a eue le bonhomme ! La seule chose qui reste de lui aujourd’hui dans la mémoire des gens, et c’est déjà beau que vous allez me dire, c’est une petite complainte qui porte son nom : La complainte du Père Asselin.
Et comme c’est le cas pour les rues et les ponts, on sait qu’ils ont un nom, mais on ne sait plus d’où ce que ça vient. C’est pour ça que j’ai posé la question à Daniel, à un moment donné, quand j’étais à la Taverne du Chasseur, sur la rue Principale, à Senneterre (Daniel, c’est le frère du boss de la place et aussi un ancien chum de jeunesse) : – Heille ! Daniel ! Tu veux-tu ben m’dire, toé, c’était qui le Père Asselin, pour qu’on donne son nom à une complainte ? Je me rappelle encore que les trois bonshommes de la table d’à côté s’étaient retournés vers moi et m’avaient regardé comme si je venais de les réveiller d’un long sommeil. Faut dire qu’ils rentraient là, eux autres, à la première heure du matin, dès que ça ouvrait, et s’assoyaient devant leurs bocks de bière bien froide, remplis à ras bord et bien alignés sur la table. – Le Père Asselin, de répondre le premier bonhomme, c’était un vieux fou qui vivait dans sa cabane. Et voilà que les trois bonshommes m’avaient déjà oublié, comme si j’avais jamais existé, et avaient retourné leurs vieux visages tordus par le temps vers la télé. Je me suis dit qu’il devait y avoir quelque chose de spécial. Je me suis étiré le cou : Ouais, j’avais raison, les nouvelles du sport venaient de commencer… J’ai fini ma grosse bière et je suis allé voir la madame Chicoine en question. Je me suis renseigné une couple de fois en chemin et fini par trouver sa maison. Dès que je lui ai dit que je m’intéressais au Père Asselin, elle m’a ouvert la porte toute grande comme si j’étais chez-nous. Là, je ne vous dis pas que je suis arrivé à l’heure du souper et que je me suis fait payer la traite : tourtière, patates jaunes, rôti de porc froid et tarte au sucre au dessert, le tout, bien entendu, arrosé par des petits verres de fort. Ils avaient raison, les vieux torvisses de la taverne, madame Chicoine en savait un sacré bon bout sur l’ermite. Voici ce que j’ai retenu. Elle ne connaissait pas vraiment sa jeunesse. Ce qu’elle en savait, c’était selon les rumeurs. Certains disaient que le Père Asselin était venu de l’Europe par bateau et descendrait d’une famille royale, alors que d’autres affirmaient au contraire que c’était un fou qui s’était échappé d’un asile de Montréal. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on le retrouve à Senneterre en 1932. Il s’était acheté une petite terre pas loin du village. Pourquoi avait-il choisi l’Abitibi ? Ça, c’est une autre histoire ! Le Père Asselin, c’était le genre qui n’allait jamais à l’église. Dans ces années-là, ça se remarquait, ces affaires-là. Quand c’était le temps des élections, il disait que c’était truqué et que ça ne servait à rien de voter. Comme quoi que les choses ont pas trop changé… Ça fait que dans le village, il passait pour un dérangé et la plupart des gens l’évitaient, d’autres le fuyaient. Le seul qui lui parlait, devinez qui c’était ? Le père de madame Chicoine, le notaire de la place. Il invitait l’ermite chaque année à venir fêter son anniversaire à la maison et à partager un repas. C’était sa façon à lui, le notaire, faut croire, de faire la charité. C’est lors d’une de ces visites, paraît-il, que le Père Asselin déclara qu’il avait découvert, lui, dans sa vie de réclusion et de solitude, « un trésor que ben du monde avait cherché depuis ben longtemps et que la grande majorité d’entre eux avaient jamais trouvé. » Et le notaire de demander : – Serait-ce d’une pierre précieuse, le Père Asselin, que vous nous parlez ? Et c’est là qu’il sortit de son pocheton une petite boîte de métal qu’il exhiba fièrement à la vue de tous. Alors, la famille au complet de vouloir savoir et voir ce que la boîte contenait. Mais le Père Asselin refusa net. Il a dit qu’il fallait être prêt pour comprendre, qu’il fallait avoir vécu et avoir cherché le pourquoi des choses. Mais il consentit quand même à initier le notaire. Lui, disait le Père Asselin, c’était un homme bon et sage. Il comprendrait. Mais à la condition qu’il promette de garder le secret jusqu’à sa mort. Les deux hommes sont allés dans une pièce où ils se sont embarrés. Ça a duré quelques minutes à peine. Il paraît que lorsque le notaire est ressorti, il faisait des grands signes de « oui » de la tête tandis que le Père Asselin, qui suivait à côté, souriait de contentement. Vous savez, à un moment donné, c’est toujours comme ça dans les contes, le temps se met à passer vite. (Si le temps n’allait pas vite, le conte serait bien long, et on serait encore ici le lendemain matin.) Dans ce conte-ci, c’est maintenant que le temps va vite. Tellement que le notaire meurt d’une crise du conte (ça, c’est quand le conteur donne son 2% à un personnage), et le Père Asselin, lui, pas plus fin, suit le même chemin que le notaire mais non sans souffrir d’une longue maladie qui le garde cloué sur un grabat dans sa cabane. Lui qui avait toujours évité les prêtres et leurs prières, comme un diable fuyait l’eau bénite, a fini par accepter, dans son agonie, d’en rencontrer un. Moi, je me suis dit qu’il ne devait plus avoir toute sa tête, le pauvre ermite, qu’il avait baissé les bras à l’approche de la Grande Faucheuse. Mais je me trompais, et pas juste à moitié, parce que le curé qui a enterré le Père Asselin, bien figurez-vous donc qu’il a écrit un journal, tout au long de sa vie, où il consignait minutieusement le moindre de ses actes quotidiens. Et devinez qui en a hérité, de ce journal-là ? Madame Chicoine ! Madame Chicoine va chercher le journal dans un tiroir de la commode et me le remet. Je me mets à lire et laisse Madame Chicoine vaquer à ses tâches de Madame : faire la vaisselle, passer la balayeuse, épousseter les meubles, toutes les jobs de madame, bref. Bon, ça peut paraître un brin sexiste, comme ça, mais n’oublions pas que nous sommes dans un conte traditionnel que j’aurais bien de la difficulté à imaginer Madame Chicoine du haut de ses 4 pieds 5 pouces, 165 livres, 72 ans, avec un Mohak fluo sur la tête, des pinnes dans le nez, un tatouage dans le front en train de quêter au coin de Ste-Catherine tenant son squeeje à bout de bras. En tous cas, le curé raconte dans son journal, le plus naïvement du monde, comment il s’y est pris pour amadouer l’ermite. Il lui parla longuement de ses belles toiles qu’il trouvait fort artistiques. Faut dire que le Père Asselin peignait des paysages qu’il vendait à l’occasion à un marchand itinérant. Et le curé de vanter encore et encore les peintures de l’ermite pour finalement aborder le sujet qui le tiraillait tant : – Mais quel trésor tenez-vous donc, le Père Asselin, dans votre petite boîte de métal ? Mais m’a faire un deal avec vous le curé, vous allez me promettre d’enterrer ma boîte dans mon jardin, entre les carottes et les choux, et que jamais, au grand jamais, vous essaierez de savoir ce qu’elle contient. Si vous faites ça, curé, si vous enterrez ma boîte et que vous jurez, alors vous aurez ma confession, c’est promis. » Le curé n’a pas marchandé du tout. Au diable le secret de la boîte. Le curé avait une âme de plus à ajouter à sa collection et il était bien convaincu qu’en échange, Saint-Pierre allait lui ouvrir grande la porte du paradis. Finalement, l’ermite avait été bien plus finaud que le curé. Il s’était sacrifié pour son trésor, qu’il considérait supérieur à sa vie qui en était rendue à ses derniers moments. Quant à moi, c’est à ce moment que je me suis vraiment intéressé à la petite boîte du Père Asselin. Je me suis dit : « S’il disait vrai, hein ? S’il possédait vraiment dans sa petite boîte ce que ben du monde avait cherché pendant ben longtemps ? » Ça faisait deux qui en parlaient après tout : madame Chicoine et le curé dans son journal. Et ces deux-là n’avaient aucune raison de mentir. J’ai demandé à madame Chicoine comment me rendre à la place où avait resté le Père Asselin du temps de son vivant. Fallait vraiment que je sois craquepotte pour croire à de pareilles sornettes. Mais j’y suis allé quand même. J’ai trouvé assez rapidement les ruines de sa cabane, un espèce de solage en pierres des champs, et l’endroit où devait être son jardin. Contrairement aux héros de films d’aventures qui ne découvrent leur trésor qu’au dernier moment, quand ils ne s’attendent plus à rien, moi, ce fut au troisième coup de pelle que je tombai su’c’que je cherchais. J’ai pris dans mes mains un paquet enveloppé dans de multiples couches de tissu, tout moisi, et j’en ai sorti une petite boîte de métal, « la fameuse boîte du Père Asselin. » Je l’ai essuyée parce qu’elle était pleine de terre. Je l’ai ouverte. Je pensais qu’il n’y avait rien dedans. Je l’ai nettoyée encore avec mon mouchoir et j’ai regardé de nouveau. Et c’est là que j’ai finalement vu, dans cette boîte, ce que « ben du monde avait dû rechercher pendant ben longtemps dans leur vie, et que la grande majorité d’entre eux autres avaient jamais trouvé ». Ce que j’y ai vu ? C’était un petit morceau de miroir qui était collé dans le fond et qui, lorsqu’on le regardait d’aplomb, nous renvoyait notre propre image… |
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