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M et Mme de Verchères avaient douze enfants; les aînés étalent établis, les uns en France, les autres à Montréal, et eux, les parents, restaient avec leur fille Madeleine, âgée de quinze ans, et deux petits garçons, deux jumeaux de douze ans. Les Verchères possédaient sur le Saint-Laurent, à plusieurs lieues de Montréal, une belle exploitation agricole comportant des cultures et de l’élevage. Ils habitaient, au bord du fleuve, une vaste maison entourée de palissades en gros madriers dégrossis à la hache. Cette palissade de chêne, épaisse de vingt pouces et haute de quinze pieds, percée de meurtrières, était flanquée, du côté de la rivière, par une sorte de redoute élevée sur une butte artificielle où l’on avait hissé trois petits canons de bronze. L’ensemble constituait un vrai fortin que l’on appelait le château, et où, en cas d’alerte, les colons du petit village tout proche eussent trouvé refuge. Ces fortifications pouvaient désormais sembler inutiles. Il y avait si longtemps qu’aucune attaque de sauvages n’avait eu lieu dans cette région. Néanmoins, M. de Verchères, homme sage et prudent, n’avait pas voulu que l’on négligeât les défenses, ainsi qu’on le faisait ailleurs. — Nos retranchements sont en bon état, aimait-il à répéter; les Iroquois le savent et cela peut leur donner à réfléchir s’ils nourrissent des intentions mauvaises. Cette année-là — l’année 1696 — la récolte avait été fort abondante et les greniers de M. de Verchères regorgeaient. C’était même dans le but de traiter d’une fourniture de grains et de paille pour l’armée que M. et Mme de Verchères s’étaient rendus, un matin d’octobre, à Montréal. Ils devaient rester plusieurs jours auprès de leurs enfants établis dans cette cité. Les parents étaient partis tranquilles; ils n’ignoraient pas que la maisonnée, avec Madeleine, était en bonnes mains. Malgré ses quinze ans, elle savait se faire obéir; elle était même la seule que voulussent bien écouter les petits jumeaux, enfants turbulents, endiablés, en un mot insupportables, qui ne songeaient qu’à se battre avec les galopins du village ou à courir les bois à la recherche de gibier, malgré les admonitions paternelles. Madeleine menait parfaitement son petit monde, tous de braves gens d’ailleurs. Il y avait au château le vieux Perrin, bonhomme de quatre-vingt-cinq ans, ancien militaire, qui n’avait d’autre défaut que celui de mépriser résolument les ordonnances royales sur l’usage de l’eau-de-vie et de s’enivrer parfois dans le but de combattre des rhumatismes qui, affirmait-il, abrégeraient ses jours. Avec Perrin, il y avait quatre jeunes gens employés à la culture et à l’élevage et des femmes pour le service intérieur. Plusieurs serviteurs mâles plus âgés avaient suivi les maîtres, conduisant les chars de fourrage. En bonne maîtresse de maison, Madeleine, aussitôt ses parents partis et ses jeunes frères sérieusement occupés par la construction de pièges pour les lièvres, fut rejoindre les femmes qui lavaient le linge dans une petite crique du fleuve. Les battoirs allaient leur train et aussi les langues, quand, tout à coup, arriva, rouge et essoufflé, le petit Tony, drôle de dix ans, fils d’un colon du village et compagnon de jeux des jumeaux de Verchères. L’enfant avait un air si bouleversé que Madeleine devina instantanément un malheur; elle pensa que lès jumeaux avaient fait quelque sottise, qu’ils s’étaient blessés avec une arme à feu imprudemment maniée. — Mademoiselle! Mademoiselle! haletait Tony. Impatiente de savoir, Madeleine le secouait par le bras : — Parle, parle, qu’y ,a-t-il? Qu’est-il arrivé à mes, frères? Tony avait repris son souffle. — Mademoiselle, ce sont les Iroquois, ils sont au village! Mon père... ma mère... Le bambin éclata en sanglots. La confirmation de ses paroles vint, tragique : des cris de douleur et d’angoisse, des coups de feu, des hurlements de sauvages s’élevèrent du côté de la petite agglomération, à peine un hameau, aux maisons largement disséminées. Les lavandières levaient les bras au ciel et gémissaient, invoquaient les saints, perdant complètement la tête. Madeleine seule conservait son sang-froid. — Allons vite. Courons au château, ordonna-t-elle. Il fallait se dépêcher. Les peaux-rouges ne s’attarderaient probablement pas au village. Ils savaient sans doute que le maître était absent, qu’il avait emmené ses serviteurs et que les greniers étaient bien fournis. Dans une course folle, Madeleine, les femmes et le petit Tony se ruèrent vers le château. On devait, pour l’atteindre, traverser un large espace dégarni. Du village accouraient des femmes traînant des enfants et poursuivies par des Iroquois. Madeleine et ses compagnes gagnèrent à temps le retranchement. Dès que toutes les fugitives furent à l’abri, Mlle de Verchères fit fermer et barricader la porte. Déjà on entendait, au dehors, les hurlements des sauvages qui frappaient les battants à grands coups. Dans la cour du, fortin ce n’étaient que gémissements et lamentations. Les femmes du village racontaient comment les peaux-rouges avaient surgi brusquement, comment ils s’étaient emparés des hommes, les avaient massacrés, ainsi que quelques femmes et des enfants. Le gros de leur troupe était actuellement en train de piller et d’incendier les maisons. Ce récit semait la panique parmi les habitants et les habitantes du château. On parlait de fuite. Les enfants. s’agrippaient désespérément aux jupes de leur mère en pleurant et en criant d’effroi. Vingt propositions, plus absurdes les unes que les autres, se croisaient. D’un geste, Madeleine arrêta le tumulte. — Taisez-vous, intima-t-elle., Il ne saurait être question de fuir, ce serait courir au-devant du massacre. Nous allons nous défendre ici. C’est moi qui commande, vous m’obéirez. Elle regarda autour d’elle cette petite garnison, dont elle assumait la charge en vraie fille de gentilhomme et de soldat. Il y avait six hommes, dont le vieux Perrin, les quatre jeunes domestiques et un colon, Jeantout, qui avait réussi à se sauver. Il y avait les deux jumeaux, il y avait une vingtaine de femmes et de petits enfants. — Les hommes, vous allez prendre vos fusils et vous mettre immédiatement en sentinelle aux meurtrières des palissades. Perrin et Jeantout, vous occuperez la redoute. On fera feu sur tous les sauvages qui s'approcheront de l’enceinte. Ne ménagez pas les munitions, il y en a en abondance. Toutes les heures, Perrin tirera le canon; peut-être, nous entendra-t-on d’un fort voisin. Madeleine se tourna ensuite vers les femmes : — Nous, les femmes et mes frères, nous prendrons également des fusils et nous nous porterons aux endroits les plus menacés pour soutenir la défense des hommes. Ceux-ci s’étaient rendus à leur poste; Madeleine avait distribué aux femmes des armes à feu et tous les chapeaux d’hommes que l’on avait pu trouver dans le château et dont elles se coiffèrent. Très fiers, les jumeaux traînaient des mousquets plus grands qu’eux-mêmes. La fusillade crépita. Les Iroquois, ayant fini de piller le village s’étaient tous rameutés devant le château. Les balles et les flèches pleuvaient dans le fortin. Les indigènes, selon leur tactique cherchaient à se glisser auprès de la palissade pour attaquer les madriers à coups de hache. Ils furent reçus par des décharges à bout portant. Cette résistance inattendue déconcerta les Iroquois qui s’imaginaient que le château ne contenait que quelques femmes tremblantes et affolées. Ils apercevaient au-dessus de la palissade des chapeaux d’hommes, ils entendaient des voix qui appelaient : « Jean! François! Pierre! Paul!... » Tous les noms masculins auxquels Madeleine pouvait songer. De plusieurs côtés, les sauvages tentèrent l’assaut; partout ils étaient accueillis par une fusillade médiocrement ajustée mais très active. Bientôt las, ayant perdu un certain nombre de leurs frères, ayant essuyé maintes blessures, les Iroquois se retirèrent à la lisière de la grande forêt. De la redoute, on voyait leurs farouches silhouettes aller et venir autour des feux qu’ils avaient allumés. Ils guettaient l’instant propice pour tenter une nouvelle attaque. D’heure en heure, le canon du fortin tonnait, ainsi que l’avait prescrit Madeleine. La journée se passa dans l’attente, de même la nuit et un autre jour. Madeleine était partout. Elle empêchait les sentinelles de s’assoupir, veillait à ce qu’on leur apportât leur nourriture. De temps en temps un petit parti d’Iroquois s’avançait en terrain découvert et lâchait quelques coups de fusil; aussitôt, des meurtrières, partaient des salves. La nuit suivante, il y eut une chaude alerte. En rampant, des sauvages s’étaient approchés de la palissade; ils en avaient commencé l’escalade; leurs têtes avaient paru au-dessus des madriers. La garnison les avait repoussés. Au troisième jour, des visiteurs inattendus se présentèrent à la porte du fort : une vingtaine de bœufs échappés au massacre. L’instinct des colons reprit le dessus; ils voulurent se précipiter pour laisser entrer les bêtes, mais Madeleine se méfiait des ruses des sauvages; elle pensait que, peut-être, derrière ces bœufs se dissimulaient des indigènes. La porte ne fut qu’entr’ouverte et les animaux introduits, un à un, avec les plus grandes précautions. Les Iroquois paraissaient décidés à mener un siège en règle. La garnison du fort, constamment en alerte, voyait se lever avec angoisse l’aube du huitième jour de résistance. Personne ne prenait de repos; le manque de sommeil éprouvait considérablement les soldats improvisés et leur capitaine. Recrue de fatigue, assise sur une chaise dans son poste de commandement qui était la cuisine du château, Madeleine s’était assoupie; elle fut, réveillée par Jeantout, le colon : — Mademoiselle, dit cet homme, on parle le long de la rivière. Il est impossible, de la redoute, de savoir qui approche. Toute trace de fatigue avait abandonné Madeleine. elle se précipita sur la redoute et se mit à crier. Des voix lui répondirent,et l’on vit monter de la berge un fort détachement armé que commandait M. de La Monnerie, un gentilhomme des environs. La porte fut ouverte à cette troupe de secours. — Où est M. de Verchères? demanda La Monnerie. Le, gentilhomme salua. — Elles ne pouvaient être en meilleures mains. Maintenant, je vous demande, Monsieur, de faire relever mes sentinelles; personne ici ne dort depuis huit jours et nous sommes bien fatigués. Les Iroquois n’attendirent pas l’attaque; ils avaient abandonné leurs feux et s’étaient retirés en voyant le renfort que recevait la garnison. Grâce à l’énergie d’une amazone de quinze ans, le château et ses habitants avaient été sauvés. |
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Biographie et autres contes de Charles Quinel. Pays : Canada | Corriger le pays de ce conte.Mots-clés : 1696 | boeuf | canon | colon | eau-de-vie | fort | Iroquois | mousquet | palissade | redoute | sauvage | Verchères | Retirer ou Proposer un mot-clé pour ce conte. Proposer un thème pour ce conte. Signaler que ce conte n'est pas dans le domaine public et est protégé par des droits d'auteurs. © Tous les contes | Hébergé par le RCQ.
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