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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 3¾ pages (10186 caractères)
Pays ou culture du conte : Italie.

Recueil : Pentamerone ou Le Conte des contes

P 1.5 - Le Soleil, la Lune et Thalie

Giambattista Basile (1566-1632)

Pentamerone, journée v, conte 5.

Il y avait une fois un seigneur qui eut une fille nommée Thalie. Il fit venir les savants et les devins du royaume pour tirer son horoscope. Ceux-ci tombèrent tous d’accord que l’enfant serait un jour en grand péril à cause d’une écharde de lin. Pour éviter ce malheur, le père défendit qu’il entrât dans la maison ni lin, ni chanvre, ni rien de pareil.

Quand Thalie fut grandelette ; un jour qu’elle était à la fenêtre, elle vit passer une vieille qui filait. Comme elle n’avait jamais vu ni quenouille ni fuseau, elle trouva fort joli ce que faisait la bonne femme. Elle en éprouva même une si vive curiosité qu’elle lui dit de monter, prit la quenouille en main et commença d’étendre le fil.

Par malheur, une écharde de lin lui entra dans l’ongle et elle tomba morte par terre. À cette vue, la vieille dégringola l’escalier. Le pauvre père, en apprenant cette catastrophe, paya d’un baril de larmes ce seau d’amertume. Il fit alors porter sa fille dans un château qu’il avait à la campagne, et l’assit sur un siège de velours, sous un dais de brocart ; après quoi il ferma les portes et, à cause d’une si grande perte, afin d’oublier à tout jamais son infortune, il abandonna pour toujours ce palais.

Or, après un certain temps, il arriva qu’un roi étant à la chasse, un faucon s’échappa et s’envola sur la fenêtre de cette maison. Le roi alla le réclamer et ordonna de frapper à la porte, croyant qu’il y avait du monde. Quand on eut frappé assez longtemps, il fit apporter une échelle de vendangeur, voulant pénétrer lui-même en la maison et voir ce qu’il y avait dedans. Il y monta aussitôt, se promena partout et fut profondément étonné de ne rencontrer âme qui vive.

À la fin, il arriva à la chambre où Thalie était comme enchantée. Au premier coup d’œil, le roi crut qu’elle dormait et il l’appela ; mais il ne put la réveiller, quoi qu’il fît. Comme il s’était épris de sa beauté, il la porta à bras le corps sur un lit 1.., la laissa couchée et s’en retourna à son palais, où il ne tarda pas à oublier toute cette aventure.

Neuf mois après, la jeune fille accoucha de deux jumeaux, un garçon et une fille. Vous auriez dit deux écrins de bijoux. Ils furent élevés par deux fées qui apparurent alors dans le palais et les mirent au sein de leur mère. Une fois, comme ils eurent envie de teter et qu’ils ne trouvèrent pas les bouts des seins, ils saisirent le doigt et le sucèrent tant qu’ils en tirèrent l’écharde.

Leur mère parut sortir d’un profond sommeil, vit ces bijoux à ses côtés, leur donna à teter et les eut aussi chers que sa vie. Cependant Thalie ne savait pas ce qui lui était arrivé, comment elle était ainsi toute seule dans ce palais avec deux enfants à côté d’elle, ni comment on lui apportait à manger sans qu’elle vît jamais personne.

Or, un jour, le roi se souvint d’elle et, sous prétexte d’une partie de chasse, vint au château. Il la trouva réveillée avec ses deux charmants coucous2 : il en eut une joie folle. Il révéla à la jeune fille qui il était et de quelle façon les choses s’étaient passées.

Il conçut pour elle une vive tendresse et tous les deux se jurèrent un amour éternel. Le roi resta quelques jours avec elle, puis il la quitta en lui promettant de revenir et de la tirer de là.

De retour dans son palais, il ne fit que parler de Thalie et de ses enfants : aussitôt qu’il se levait, il avait Thalie à la bouche, ainsi que le Soleil et la Lune (ce sont les noms qu’il avait donnés à ses enfants) ; s’il se couchait, il les appelait encore.

Les longues parties de chasse du monarque inspirèrent des soupçons à la reine ; sa manie de réclamer sans cesse Thalie, la Lune et le Soleil lui échauffa bien plus la tête que n’aurait pu le faire le soleil lui-même.

Elle manda donc son secrétaire et lui dit :

— Écoute, mon fils, tu es en ce moment entre Charybde et Scylla, entre la porte et le chambranle, entre le bâton et le pavé. Si tu me révèles de qui mon mari est tombé amoureux, je fais ta fortune ; si tu me le caches, je ne sais si tu es vivant ou mort !

Le compère fut saisi d’un côté par la peur et de l’autre pris à la gorge par l’intérêt, qui est une taie sur l’œil de l’honneur, l’éteignoir de la justice et le cheval déferré de la bonne foi : il répondit à la reine, selon son désir, de pain pain et de vin vin.

Elle lui ordonna donc d’aller dire à Thalie de la part du roi qu’il désirait voir ses enfants : Thalie fut enchantée de les envoyer. Ce cœur de Médée commanda alors au cuisinier de les égorger et de les accommoder à diverses sauces pour les faire manger à son pauvre mari.

Le cuisinier avait l’âme bonne. Lorsqu’il vit ces deux belles pommes d’or, il en eut compassion et les donna à sa femme pour les cacher ; à leur place, il accommoda deux chevreaux de vingt façons. Quand le roi arriva, la reine se fit un plaisir d’envoyer quérir les plats et, voyant qu’il mangeait de grand appétit, elle lui dit :

— Oh ! comme cette fricassée est bonne ! Par l’âme de mes aïeux, comme cette autre est excellente ! 

Et toujours elle lui répétait :

— Mange, c’est du tien que tu manges.

Elle chanta deux ou trois fois cette antienne sans que le roi y prît garde. À la fin, voyant que la musique continuait, il répondit :

— Je le sais, parbleu ! que je mange le mien, puisque tu n’as rien apporté dans cette maison ! Et, se levant en fureur, il s’en fut à une villa peu éloignée pour calmer sa colère.

Cela fit que le ressentiment de la reine ne fut pas entièrement assouvi. Elle manda de nouveau le secrétaire et lui ordonna de faire venir Thalie sous prétexte que le roi désirait la voir. Celle-ci le suivit dans l’espoir de trouver la lumière de sa vie et ne se doutant pas que c’était le feu qui l’attendait.

Quand elle fut arrivée, la reine lui montra une face de Néron et, de sa langue de vipère, lui dit :

— Soyez la bienvenue, madame Troccola3. Tu es donc cette bonne pièce, cette mauvaise herbe qui possède4 mon mari ! Tu es cette chienne qui m’a mis la tête à l’envers. Va, tu es venue dans ton purgatoire, où je vais te rendre le mal que tu m’as fait.

Sur ces paroles, Thalie essaya de s’excuser. Ce n’était pas sa faute : le roi avait pris possession de son territoire5 pendant qu’elle dormait. Mais la reine ne voulut entendre à rien : elle fit allumer, dans la cour de son palais, un grand bûcher, et ordonna qu’on y jetât l’infortunée.

Voyant que l’affaire tournait mal, Thalie se mit à genoux devant la reine, et la pria de lui donner seulement le temps d’ôter ses habits. La reine le lui accorda, non par commisération, mais pour faire son profit de ces beaux habits brodés d’or et de perles.

Thalie commença donc de les dépouiller et, à chaque pièce qu’elle ôtait, elle jetait un cri perçant. Elle ôta successivement son corsage et sa robe, puis son jupon, et, quand elle en fut à sa dernière jupe, elle poussa un dernier cri.

Déjà on l’entraînait afin d’en faire des cendres pour la lessive des culottes de Caron, lorsque le roi accourut, vit ce spectacle et voulut savoir toute l’affaire. Il demanda ce qu’étaient devenus ses enfants : sa femme, en lui reprochant sa trahison, lui apprit comment elle l’avait attrapé. À ces mots, le malheureux prince, en proie au désespoir, se mit à dire :

— Ainsi, j’ai été moi-même le loup de mes agneaux ! Oh ! Turque renégate ! quelle chienne d’idée tu as eue là ! Va, tu en porteras la peine et ce n’est pas au Colisée que j’enverrai ta tête de mégère6.

En disant ces mots, il ordonna de la jeter dans le bûcher allumé pour Thalie et avec elle le secrétaire qui avait été l’instrument de ce jeu barbare, l’ourdisseur de cette horrible trame. Il voulut qu’on en fit autant au cuisinier par qui il croyait que ses fils avaient été mis en hachis. Celui-ci tomba aux pieds du roi et dit :

— Vraiment, seigneur, pour le service que je t’ai rendu, il serait beau de voir que je n’aurais pas d’autre récompense qu’une fournaise, pas d’autre soutien qu’un poteau, pas d’autre agrément que de m’étendre et me recroqueviller dans tes flammes, pas d’autre avantage que de mêler les cendres d’un cuisinier avec celles d’une reine ; non, ce n’est point la grande récompense que j’attends pour avoir sauvé tes enfants en dépit de ce fiel de chien qui cherchait à faire rentrer dans ton corps ce qui était une partie de ce même corps.

Ces paroles transportèrent le roi qui parut s’éveiller comme d’un rêve, ne pouvant en croire ses oreilles. Enfin, s’adressant au cuisinier, il lui dit :

— S’il est vrai que tu m’aies sauvé mes enfants, sois bien sûr que je te dispenserai de tourner la broche ; je t’attacherai à la cuisine de ce cœur pour tourner mes volontés à ta guise ; je te donnerai une telle récompense que tu seras proclamé heureux par le monde entier.

Pendant que le roi parlait ainsi, la femme du cuisinier, qui vit ce dont son mari avait besoin, amena la Lune et le Soleil à leur père. Celui-ci sourit à tous les trois, y compris la mère, et, tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, les enfants faisaient un moulinet de baisers.

Le roi donna une grosse charge au cuisinier, le nomma gentilhomme de sa chambre et prit Thalie pour femme. Elle jouit d’une longue vie avec son époux et ses enfants, reconnaissant que

À qui a de la chance
Le bien vient même en dormant.


1. Ne couze li frutte d’ammore.
2. Cuccu.
3. Nom de la méchante femme qui, dans les Deux Galettes, que nous donnons plus loin, substitue sa fille à sa nièce.
4. Che te gaude maritemo.
5. Haveva pigliato possessione de lo terretorio suio.
6. À Naples, on exposait les têtes des suppliciés dans des cages de fer scellées au haut des murs du palais de justice. ( Vicaria.)


Conte tiré de Les Contes de ma mère l’Oye avant Perrault de Charles Deulin.

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- FIN -

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