Le est fier de présenter...

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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 13½ pages (37811 caractères)
Pays ou culture du conte : États-Unis.

Recueil : Contes du Far West

Le cow-boy et les Rajahs

O. Henry (1862-1910)

Une nouvelle piste, d'or, d'argent, de rubis, de pétrole et de caoutchouc, nous relie maintenant, à travers l'Océan Indien, aux palais et aux châteaux de l'Orient. Rois et princes au teint de bistre et au turban emperlé ont découvert en New-York une nouvelle Bombay de l'Occident ; et rares sont ceux qui n'ont point, au cours de leurs randonnées mondiales, contemplé avec une humilité respectueuse les mosquées de Manhattan, les pagodes de Broadway et les stoupas de Wall-Street. 

S'il vous arrivait un jour de naviguer dans les parages de l'un de ces palaces commerciaux qui offrent un asile temporaire à ces hauts et splendides seigneurs du tourisme, je vous conseille de chercher si, parmi les mille courtisans et chasseurs de scalps qui assiègent le portail, ne se trouve point mon ami, Lucullus Polk. Vous le reconnaîtrez à son visage éveillé, rubicond, à son nez wellingtonien, à son attitude alerte où la détermination se mêle à une circonspection agitée, à son faux air de financier plongé dans un tourbillon d'affaires, et à sa cravate de soie cramoisie, qui pavoise, tel un fier étendard à la fin d'une bataille, son complet de serge bleue durement éprouvé par les coups de l'ennemi. Puissiez-vous, tout comme moi, découvrir les précieux trésors qui se nichent en lui. Vous le trouverez généralement au milieu de la troupe turbulente de cavaliers Bédouins qui assaillent la phalange cuirassée des gardes et secrétaires du Royal Voyageur, parmi les génies et les farfadets des Mille et un Jours, dont l'essaim bourdonnant voltige autour des coffres-forts princiers, dans l'espoir d'en sucer le miel lourd et doré. 

La première fois que j'aperçus Mr Polk, c'était sur le perron de l'hôtel où séjournait alors Son Altesse le Gaekwar de Baroda, le plus éclectique et le plus occidental de tous les Maharadjas qui sont récemment venus goûter le pain et le sel de notre Métropole américaine. 

Lucullus descendait rapidement les marches de l'escalier, comme s'il eût été soumis à la propulsion d'une puissance mystérieuse et invisible, qui menaçait de se manifester matériellement à tout instant. Sur ses talons avançait la force motrice, représentée vraisemblablement par le détective de l'hôtel, si l'on s'en rapportait à son chapeau de feutre marron, son nez aquilin, son impeccable complet gris clair, sa chemise de soie rose et ses manières bruyamment raffinées. Derrière lui marchait une couple de portiers en uniforme, dont l'air d'impassible désintéressement préservait de toute éclaboussure le décorum immaculé du palace, en démentant hautainement qu'ils pussent le moins du monde être considérés comme la brigade de renfort du service d'expulsion. 

Ayant atterri sain et sauf sur le trottoir, Lucullus Polk se tourna et montra le poing au caravansérail. Et, à ma grande joie, il se mit à projeter dans l'ozone une puissante volée d'invectives singulières. 

— Ça s'balade à dos d'éléphant, hein ? cria-t-il d'une voix forte et sarcastique. Ça s'promène sur des éléphants et ça s'appelle un prince ! Un Roi... de carreau, oui ! Ça rapplique chez nous et ça se met à parler de chevaux et à jouer aux courses comme si ce n'était qu'un Président ; et puis ça rentre au harem et ça fait seller un éléphant avec une salle à manger pour s'balader d'dans. Non, non, non ! 

Le comité d'expulsion se retira avec dignité. Le dénigreur des Altesses se tourna vers moi en faisant claquer ses doigts d'un air de défi. 

— Qu'est-ce que vous dites de ça ? s'écria-t-il avec une grimace sardonique. Le Gaekwar de Baroda s'trimballe à dos d'éléphant. Et le vieux Bikram Shamsher Yang explore les sentiers à cochons de son patelin, savez-vous avec quoi? Avec une motocyclette ! Non, mais, comment trouvez-vous le maharadja ? Et le shah de Perse, lui à qui j'aurais dû refiler au moins trois exemplaires, il a contracté la palanquinomanie. Et c'prince de Corée, avec son petit chapeau rigolo, vous croyez sans doute qu'il peut s'offrir un destrier blanc pour visiter ses rizières une fois par dynastie, hein ? Pensez-vous ! Ses seules notions de Cavalerie légère consistent en un vaudeville de Suppé, et il galope à travers les égouts de Séoul dans un char à boeufs, à la vitesse d'un kilomètre par semaine. Voilà le genre de potentats qui viennent en Amérique aujourd'hui ! C'est un coup dur, mon ami. 

Je murmurai quelques mots de condoléances. Mais je restai involontairement dans le vague, car j'ignorais encore la nature du grief qu'en son giron ulcéré Lucullus nourrissait contre les despotes-météores qui chutent de temps à autre sur nos rivages. 

— La dernière que j'ai vendue, reprit cet homme mécontent, c'est à une espèce de Pacha à neuf queues qui avait débarqué l'an dernier. Cinq cents dollars qu'il m'en donna, sans remuer un cil. Après ça, je demande à son vizir, une espèce de secrétaire ou de bourreau qui devait être juif ou chinois :

« Alors, Sa Hauteur le Caïd a l'air d'aimer les chevaux, hein ? »

— « Lui ? répond l'exécuteur. Pense pas. Il y a une grosse forte femme, nommée Badora, dans son harem, qu'il ne peut pas sentir. Je conjecture qu'il a l'intention de la faire seller et de se promener sur elle plusieurs fois par jour dans les jardins de Bulbul. Vous n'auriez pas par hasard une paire d'éperons extra-longs pour joindre à la selle par-dessus le marché ? »

— Oui, Monsieur, y a pas beaucoup d'centaures parmi les royaux sports-men d'aujourd'hui. 

Dès que Lucullus Polk se fut suffisamment refroidi, je l'attrapai par un bras et, tout aussi aisément qu'on persuade un homme qui se noie de saisir un bâton, je le décidai à m'accompagner dans un petit bistro des environs. 

Et là, au fond d'une salle fraîche et obscure, en cette deuxième heure des Mille-et-un-après-midi, il arriva que des esclaves blanches offrirent à nos lèvres altérées moult frais et divins breuvages, tandis que Lucullus-Shéhérazade me relatait en paroles dorées le mystère des assauts qu'il livrait aux antichambres des tyrans. 

— Avez-vous jamais entendu parler de la S. P. H. G. C. ? Non, il ne s'agit pas de la Société Protectrice des Hommes de Génie en Chômage. C'est une Compagnie de chemin de fer du Texas. Je parcourais à cette époque sa voie unique et ses départs bi-hebdomadaires en qualité de manager, imprésario, directeur, trésorier et chef de claque d'une tournée de vedettes et figurants qui jouait des tragédies enfantines dans les petites villes de l'Ouest. Un jour la soubrette se débine avec un remarquable coiffeur de Say-Ville (Texas) et naturellement la troupe tombe en ruines. Je ne sais même pas ce qu'elle est devenue. Je crois me rappeler qu'il y avait un certain nombre de cachets à payer ; et je n'ai plus jamais revu cette tournée  après que je lui eus déclaré qu'il restait exactement 43 cents dans la caisse. Je dis que je n'ai plus revu cette tournée après ça ; mais je les entendis gueuler dans mon dos pendant au moins vingt minutes. Je courais trop vite pour avoir le temps de me retourner. Quand la nuit fut venue, je sortis doucement de la forêt, et j'allai trouver l'agent de la S. P. H. G. G. pour lui emprunter un moyen de transport. Il me désigna la voie d'un geste large et courtois, tout en me priant expressément de ne pas faire usage du matériel roulant. 

« Me voilà donc parti à toute vapeur sur les traverses ; et le lendemain matin vers dix heures je sors de la ligne pour entrer dans un village qui s'intitule Atascosa City. Je me paye un breakfast de trente cents, et un cigare de dix cents, et j'arpente la Première-Unique-et-Dernière Rue du patelin en faisant sauter dans ma poche les trois pennies qui me restent. Complètement fauché. Au Texas, un homme qui n'a que trois pennies dans sa poche est plus mal en point qu'un type de New-York qui n'a rien et qui doit cent mille dollars. 

« L'un des tours favoris du destin est de sucer le dernier dollar d'un homme si rapidement qu'il n'a pas le temps de s'en apercevoir. Me voilà donc naufragé dans ce trou rural, avec un complet de voyage sur mesure, en tweed bleu et vert, tout ce qu'il y a de chic, et une épingle de cravate en sulfate de cuivre 18 carats, et aucune profession en vue, autre que pelles procurées par les deux grandes industries du Texas, à savoir l'élevage du coton et les plantations de chemin de fer. Comme je n'ai jamais ballasté les cultures ni cultivé le ballast, les perspectives paraissaient suffisamment infrarouges et ultra-violettes. 

« Tandis que, stationné sur le trottoir en bois, je réfléchis mélancoliquement à mon avenir, je vois tout à coup deux belles montres en or tomber du ciel et s'échouer dans le milieu de la rue. L'une d'elles s'enfonce dans un pâté de boue ; l'autre heurte une pierre et fait explosion, en répandant, une pluie de ressorts, de roues et d'écrous minuscules. Je lève les yeux vers le firmament, mais je n'aperçois ni avion, ni ange, ni nuage de montres, et alors je descends du trottoir pour faire une enquête. 

« Juste à ce moment-là, j'entends deux hurlements, et je vois accourir vers moi deux hommes en culotte de cuir, bottes à éperons, foulard tricolore et chapeau parasol. L'un d'eux a six ou huit pieds de haut, les jambes en cerceaux et une physionomie barbouillée de déconfiture. Il ramasse la montre qui a fait son nid dans la boue. L'autre, qui est petit, avec des cheveux roses et des yeux blancs, se précipite sur le boîtier vide et crie : « C'est moi qui gagne ! » Alors le géant pessimiste plonge la main sous sa culotte en peau de mouton et tend à son ami albinos une poignée de pièces d'or. Je ne sais pas combien ça faisait d'argent ; mais ça me parut aussi gros que le fonds de secours aux sinistrés du Midi après l'épidémie de coryza. 

« — J'vas faire remplir ce boîtier d'horlogerie, dit Courtaud, et j'te lance un nouveau défi d'cinq cents dollars. 
« — J'suis ton homme, dit le géant triste. J'te retrouve dans une heure au Bar du Chien Fumé. 

« Le petit cow-boy se dirige alors vers une bijouterie, avec une sorte de mouvement à ancre. Le grand désespéré se penche vers moi et jette un coup d'oeil télescopique sur mon enveloppe. 

« — V'là un chouette équipement pour un bipède, dit-il. J'parie un ch'val qu'c'est pas dans 1'pays d'Atascosa City qu'vous avez acquis les droits, titres et hypothèques sur c'te fourniture-là ? 
« — Ma foi non, dis-je tout heureux d'échanger des particularités avec ce monument de cafard argenté. Je me suis fait confectionner ce complet à Saint-Louis dans une manufacture de coutures, teintures et couvertures en tous genres. Ça ne vous ferait rien, dis-je, de me donner des tuyaux à propos de ce concours de lancement d'horlogerie ? Je ne suis pas habitué à voir traiter des chronomètres avec tant de désinvolture, exception faite, bien entendu, pour les montres de dames, qui sont prédestinées par la nature à servir de casse-noix ou de casse-figure, selon les cas. 
« — Moi et George, explique l'homme, on arrive du ranch pour rigoler un peu. Il y a un mois encore, nous étions propriétaires de quatre sections de pâturages irrigués sur le San Miguel. Un jour voilà un de ces prospecteurs de pétrole qui rapplique et se met à percer des trous. Et tout à coup il tombe sur une fontaine qui jute 20.000 barils de pétrole par jour, à moins que ce ne soit 20 millions. Et moi et George on leur vend le terrain 150.000 dollars, 75.000 pour chacun de nous. Alors maintenant on vient passer toutes les semaines quelques jours dans cette cité d'Atascosa, pour y distribuer du grabuge et y récolter de la rigolade. Tenez, v'là c'que j'ai extirpé d'la banque ce matin », dit-il, et il exhibe un rouleau de billets aussi gros qu'un traversin de wagon-lit. Les fafiots dorés brillaient comme un coucher de soleil sur le toit d'un rajah. Mes jambes se mirent à trembler, et je dus m'asseoir sur le bord du trottoir en bois. 
« — Vous m'avez l'air d'avoir pas mal bourlingué, reprend ce fourneau à pétrole. J'serais pas étonné d'apprendre que vous avez visité des villes plus mouvementées qu'Atascosa City. Y a des fois, je m'dis qu'il doit y avoir d'autres manières de rigoler que celles qu'on a ici, surtout pour ceux qui ont un tas de pognon et qui ne r'gardent pas à la dépense. 

«Alors ce cormoran du désert s'assied près de moi, et nous inaugurons un salon littéraire de campagne. Paraît qu'il était plutôt raide avant c'te histoire-là ; il a passé sa vie dans les campements de prairie, et il m'avoue que pour lui le luxe suprême consistait jusqu'alors, après une rude journée passée sur le dos d'un cheval, à grignoter une bouchée de haricots mexicains, à sophistiquer sa matière grise avec une pinte de whisky pur et à s'endormir par terre en se servant de ses bottes comme oreiller. Quand cette cargaison imprévue d'argent se déchargea sur lui et son petit partenaire rose et blanc, George, ils se ruèrent sur ce tas de cabanes intitulé Atascosa City, et vous savez ce qui leur advint. Ils avaient assez de fric pour s'acheter tout ce qu'ils voulaient, seulement ils ne savaient justement pas ce qu'ils voulaient. Leur notion de la prodigalité se limitait à trois articles : le whisky, les selles et les montres en or. S'il existait autre chose dans le monde qui permît de boulotter une fortune ils n'en avaient jamais entendu parler. Aussi, quand ils avaient envie de faire une noce carabinée, galopaient-ils jusqu'à cette ville rabougrie, et là, postés devant la porte du premier bar de l'endroit, ils faisaient, au moyen de l'annuaire local, l'appel de la population par ordre alphabétique pour les inviter à boire un coup. Puis, ils allaient commander trois ou quatre nouvelles sellés californiennes chez le marchand et jouaient à pile ou face sur le trottoir avec des pièces d'or. Le match de lancement des montres en or était dû à une inspiration de George ; mais même cela commençait à devenir monotone. 

« Si je me mis à la hauteur des circontances ? Ecoutez. 

« En moins d'une demi-heure je lui étale un tableau verbal des voluptés métropolitaines qui fait paraître l'existence à Atascosa City aussi lugubre qu'une excursion à Coney Island avec votre épouse légitime. Dix minutes plus tard nous topons là pour sceller notre traité : je remplirai auprès de lui les fonctions amicales de cicérone, guide, interprète, imprésario et manager général des réjouissances, orgies, débauches et dérèglements ; et Solomon Mills, c'est son nom, payera tous les frais pendant un mois. Et si, à la fin de cette période, j'ai brillamment réussi dans mes exercices de directeur des Rigolades, il me donnera mille dollars. Puis, pour consacrer le marché, nous faisons l'appel général d'Atascosa City, et nous mettons tous ses habitants sous la table, sauf les femmes et les enfants, à l'exception d'un homme intitulé Horace Westervelt Saint-Clair. Désireux de reconnaître généreusement cet exploit, nous achetons pour Horace un plein panier de montres en argent et nous le poussons hors de la ville avec ça. Enfin nous concluons cette glorieuse soirée en arrachant le sellier de son lit, et en lui commandant trois nouvelles selles ; puis nous allons nous étendre pour dormir en travers de la voie de garage, juste pour embêter la S. P. H. G. C. Imaginez un peu un type qui a soixante-quinze mille dollars et qui cherche à s'épargner la disgrâce de mourir riche dans une ville comme ça ! 

« Le lendemain, George, qui doit être marié, ou contagieux ou prisonnier sur parole ou quelque chose comme ça, monte à cheval pour retourner au ranch. Moi et Solly, comme je l'appelle maintenant, on se prépare à secouer nos chrysalides et à prendre notre vol vers les luminaires des cités joyeuses et substantielles. 

« — Et grouillez-vous, dis-je à Solly; juste le temps de vous raser et de vous habiller et on s'en va. Il ne s'agit plus cette fois, dis-je, d'une assemblée de village comme celles du Texas, où l'on mange du chili-concarno-con-huevos sur la plaza en gueulant : Whoopee ! Nous allons nous attaquer à la vraie grande vie. Nous allons nous frotter à l'équipe première, celle qui porte des guêtres, des gants, des cannes, des faces-à-main, des visons et des pékinois. 

« Solly fourre 6.000 dollars en billets dans une poche de son pantalon kaki, et dans l'autre des lettres de crédit pour 10.000 dollars sur des banques de l'Est. Puis je renoue des relations diplomatiques avec la S. P. H. G. G. et nous voilà partis vers le Nord-Ouest, en route pour notre circuit des vergers paradisiaques de l'Orient yankee. 

« On s'arrête un moment à San-Antonio, pour permettre à Solly de s'acheter un complet, et de payer huit tournées aux clients et employés du Menger Hôtel, et de faire expédier au .anch quatre selles mexicaines à garnitures d'argent et ornées de suaderos en angora blanc. Puis nous faisons un grand saut jusqu'à Saint-Louis, où nous, arrivons juste à temps pour le dîner ; et j'appose nos empreintes digitales sur le registre de l'hôtel le plus cher de la ville.

« — Enfin ! dis-je à Solly, en me clignant de l'oeil à moi-même, c'est la première fois que nous tombons sur un établissement nourricier où nous allons pouvoir déguster un authentique bon plat de haricots ! 

« Et pendant qu'il est monté dans sa chambre, où il ameute le personnel en appuyant sur tous les boutons de sonnette pour allumer sa lampe électrique, j'attrape le maître d'hôtel par un pan de son costume de gala, je lui glisse deux dollars dans la main, il les prend et je lui dis : 

« — François, ou Auguste ou Luigi, je dîne ce soir avec un copain qui ne s'est jamais nourri jusqu'à présent que de céréales et de cigares à cinq sous. Voyez le chef, et commandez-lui pour nous un de ces dîners comme vous en servez à l'évêque luthérien de Troofing-sur-Ylett, quand il voyage incognito, ou au Manager général. des Racketeers de Chicago lorsqu'il se fait passer pour le maire de Philadelphie. Et ne vous en faites pas pour l'addition : il y a un wagon spécial qui nous suit avec le pognon. Et nous voulons une musette-mangeoire remplie jusqu'au nez avec toutes les recettes d'Ali-Baba. Note illimitée pour le crédit, ou vice-versa. Sautez ! 

« A huit heures, moi et Solly, on se met à table. Saint-Troussequin ! On n'a jamais rien vu de pareil depuis le Banquet des Voyageurs-qui-déjeunent-tous-les-jours-au-bufîet-de-la-gare-en-dix-neuf-minutes. Tout est servi à la fois. Le maître d'hôtel appelle ça dîner à la poker ; paraît que c'est une chose fameuse chez les gourmets de l'Ouest. Les plats rappliquent par séries de trois : canard rôti, canapé de grives et canette de bière ; tortue braisée, torpille sauce mousseline et tête de veau en tortue ; potage Pompadour, pot-au-feu Napoléon et potiron Mac-Farlane ; escargots, escalopes et, esturgeon ; figues, caviar et civet de lièvre ; huîtres, gin et meringues, et ainsi de suite, toujours par trois. Le truc consiste à manger le plus possible de tout ça, et alors le garçon enlève les restes et vous apporte des pêches Melba pour finir de faire le plein. 

« Je suis sûr que Solly va être épaté à la vue de tous ces plats et entremets, lui qui n'a jamais mangé que du lapin rôti dans son ranch ; et j'avoue que j'attends sa réaction avec une certaine impatience, car je ne me souviens pas de l'avoir vu récompenser mes efforts par un seul sourire depuis que nous avons quitté Atascosa City. 

« Nous sommes dans la salle à manger principale, et au milieu d'une équipe de dîneurs en tenue de gala, qui parlent tous d'une voix sonore et joviale. La conversation générale roule exclusivement sur les deux seuls sujets connus à Saint-Louis : l'adduction d'eau et la question nègre. Et ils mélangent les deux sujets si rapidement que les étrangers se demandent s'il ne s'agit pas de l'ablution nègre et la question de l'eau, ce qui ramène le problème à un seul supplice hydraulique. Et, là-bas, dans le fond, il y a un orchestre tout neuf qui fait ce qu'il peut pour empêcher les convives de s'entendre à plus de deux tables de distance. Et maintenant, me dis-je, Solly va enfin sentir son système sustenté et stimulé par les substances spirituelles des salades, sérénades et salmigondis. Mais non, mon fils ! 

« Il me dévisage par-dessus la table ; il y en a quatre mètres carrés, et elle a l'air du terminus d'un cyclone qui serait passé chez un épicier en gros, un marchand de volaille et un maraîcher, puis aux Abattoirs et enfin dans un grand magasin le jour de l'Exposition de Blanc. 

« Solly se lève, fait le tour de la table à pied, et me dispense un regard à la fois sévère et mélancolique. 

« — Luke, dit-il, c'voyage m'a creusé l'appétit. J'croyais vous avoir entendu dire qu'il y aurait un bon plat de haricots ce soir. J'm'en vais voir dehors si j'peux trouver quelque chose à manger. Vous pouvez rester pour mastiquer cette espèce de boustifaille artificielle, si ça vous fait plaisir. 
« — Une minute, dis-je. 

« J'appelle le garçon, demande l'addition et signe un bon de treize dollars et cinquante cents. 

« — Vous n'avez pas honte, dis-je, de servir à deux gentlemen un tas d'aliments tout juste bons pour l'équipage d'un steamer du Mississipi ? Nous sortons pour aller chercher une nourriture décente. 

« J'accompagne dans la rue mon malheureux homme des pampas. Bientôt il repère une sellerie et ça estompe un peu la tristesse de son iris. Nous entrons, commandons et payons encore deux selles, l'une avec un pommeau en argent massif, des clous dorés, des falbalas et fanfreluches, et une riche bordure en onyx japonais et en perles du Michigan autour des quartiers. Quant à l'autre — oh ! l'autre ! Elle aura un pommeau doré, des étriers en argent, des étrivières en cuir de Cordoue sculpté, une sangle en fils de nickel tressés doublée de peau de lama, et des quartiers entièrement incrustés de clous d'argent, de faux rubis et de piastres mexicaines en or deux carats ! 

« Le sellier lui laisse les deux pour onze cents dollars. 

« Réellement soulagé, Solly sort et, se fiant à son flair, se dirige vers la rivière. Et dans une petite rue transversale, qui n'a ni trottoirs ni maisons, et qui n'est même pas une rue, il trouve enfin ce qu'il cherche. Nous entrons dans un caboulot, et là, au milieu d'une riche clientèle de dockers et de matelots, et à l'aide d'instruments en-fer-blanc, nous mangeons des haricots. Oui, Monsieur, des haricots avec du porc salé ! 

«—J'pensais bien qu'on allait en trouver par ici, dit Solly. 
«—Délicieux! dis-je. Cette espèce d'alimentation pour chic qu'ils vendent à l'hôtel plaît peut-être aux snobs. Quant à moi je préfère le bon plat du jour comme ici. 

« Après avoir été victimes des haricots, nous émergeons du nuage de fumée et de vapeur maritimes et j'entraîne Solly sous un réverbère en exibant un journal du soir à la page des spectacles. 

« — Et maintenant, youhou ! En avant pour la tournée des plaisirs, dis-je. Voyons : ah ! voilà une pièce de Pacha Kittry en un acte et trois en-tr'actes ; voilà un film de Samuel Vogelblumstein intitulé : « Vingt-cinq millions de dollars » Ah ! non, je me trompe, c'est le prix qu'il a coûté, mais c'est la même chose. Nous avons encore la célèbre chanteuse réaliste Rachel Louspignat, qui s'accompagne en jouant de la castagnette avec ses mâchoires ; et puis on joue Hamlet au Cabaret de la Volière ; à moins que vous ne préfériez aller patiner au glaciarium ou encore faire un tour de chevaux de bois à la fête foraine ? J'inclinerais volontiers... 

« Mais voilà cet opulent géant qui lève ses deux bras jusqu'aux fenêtres du premier étage en baillant avec à propos et sonorité. 

« — J'crois que j'v ais aller m'coucher, dit-il, c'est mon heure. Un peu mort, ce Saint-Louis, pas vrai ? 
« — Oh ! oui, dis-je. Depuis que le chemin de fer la traverse, cette ville est pratiquement ruinée. Les entrepreneurs de lotissements et la foire annuelle ont achevé de la tuer. Oui, on ferait aussi bien d'aller au lit. Chicago, oui, ça c'est une ville ! Il faut que vous voyiez ça ! Est-ce qu'on prend des billets pour le lac Michigan demain matin ? 
« — Si on veut, dit Solly. J'ai idée que ces villes du nord se ressemblent toutes. 

« Après tout, se dit le sage et rusé cornac, il est possible que Chicago parvienne à chatouiller mon éléphant. Loolooville-sur-le-Lac a la réputation de receler, sous sa chemise, deux ou trois trucs dûment combinés pour empêcher les visiteurs ruraux de s'endormir après le couvre-feu. 

« Mais rien à faire avec cet herbivore des pampas. J'ai tout essayé : les théâtres, les cinémas, les excursions en auto, les croisières sur le lac, les dîners au Champagne, les séances de la Bourse et même les réunions, électorales. Vains efforts. La figure de Solly s'allonge de jour en jour. Et je commence à craindre pour mes émoluments, et je sens qu'il est temps de jouer mon dernier atout. Alors je lui murmure « New-York » d'un air aguichant et mystérieux, et je lui apprends que toutes ces villes de l'Ouest ne sont tout juste bonnes qu'à servir de banlieue à la grande Cité des derviches tournants. 

« En revenant d'acheter les billets, je ne vois plus Solly. A cette époque je commençais à connaître ses habitudes ; aussi, en moins de deux heures, je le retrouve chez un sellier. Dans cette boutique, ils avaient, au sujet des arçons et de la sangle, quelques idées nouvelles qui provenaient de la Police montée canadienne ; et cela intéresse tellement Solly qu'il a l'air presque réconcilié avec l'existence. Il fait une commande de neuf cents dollars. 

« Avant de partir je télégraphie à un copain de New-York de venir m'attendre à la gare de la Trente-troisième rue avec une liste de tous les marchands de selles de la ville. Comme ça je saurai où trouver Solly si je le perds. 

« Qu'est-ce qui s'est passé à New-York ? Ha ! ha ! Vous allez bientôt le savoir. Je me dis : « Mon vieux chirazade, au boulot ! Il faut que Bagdad tape dans l'oeil à ce morne sultan de la triste figure, sinon tu seras pendu ». Je connais mon New-York et je me sens sûr de moi. 

« Alors je me mets à bourrer Solly de vues, paysages, sites, dioramas, spectacles et récréations en tous genres avec la vitesse et la fécondité d'un film documentaire qui vous fait visiter l'Asie en cinq minutes. Je le fais rouler en tramway, en autobus, en taxi, dans le métro et sur les montagnes russes ; je lui fais voir Wall Street et la gare du Grand Central et Tammany Hall, et le building de la « Compagnie générale et politique de l'acier et du saindoux », et la statue de Lincoln et celle de Mercure, et toutes les autres beautés de New-York. Et je gradue savamment mes sensations, en allant toujours de plus en plus magnifique et sidérant. 

« Le soir du troisième jour, Solly a l'air d'un tableau condensé de 5.000 orphelins qui sont arrivés en retard à la gare pour prendre le train de plaisir, et je change de faux col toutes les deux heures en me demandant avec angoisse qu'est-ce qui pourrait bien intéresser ce mammouth, et si je ne vais pas rater mon backchiche de 1.000 dollars. Il s'endort devant le pont de Brooklyn ; il regarde ses pieds en passant devant les gratte-ciel ; et il fallut trois huissiers en uniforme pour l'empêcher de ronfler pendant une représentation du meilleur vaudeville de la saison. 

« Un jour enfin, je crois que j'ai trouvé un moyen de le posséder. Le matin, avant son réveil, je lui passe une paire de manchettes amidonnées avec boutons en or boulonnés ; et le soir même, je l'emmène dans l'une de ces cages en verre, garnies de palmiers que les plus grands hôtels de la cité utilisent pour capturer et exposer gratuitement, pendant plusieurs heures par jour, les gandins, rupines, gandines et rupins de l'endroit. Ce soir-là ils sont particulièrement nombreux, et sirotent des boissons faibles en minaudant, et parlent doucement sans remuer les lèvres comme s'ils avaient un phonographe dans le ventre ; mais je suis désappointé de ne pas les voir se gratter ni jeter des écorces de cacaouette à travers les barreaux. Solly les contemple un moment sans rien dire ; et tout à coup il pousse un éclat de rire rauque, acre et strident qui cause une sensation dans le palmarium : c'est comme si quelqu'un venait de tirer sur le carreau un vieux et lourd bahut dont les roulettes sont cassées. C'est la première fois que je le vois rire depuis quinze jours et cela me donne de l'espoir. 

« — H a ! ha! dis-je, ils sont tordants tous ces mannequins, n'est-ce pas ? 
« — Oh ! qu'il répond, j'pensais pas à c'lot d'génisses et d'veaux gras qu'ils ont amenés dans c't'Exposition agricole. J'pensais au jour où George et moi on avait mis d'la lessive de mouton dans 1'whisky de Johnson Tête-de-ch'val. Je voudrais bien être rentré à Atascosa City, qu'il ajoute. 

« Je sens un frisson glacé se couler dans mon échine. Y a pas, me dis-je, il faut que je joue échec et mat d'un seul coup. 

« Je fais jurer à Solly de m'attendre dans le café, et je frète un taxi qui me dépose chez Lolabelle Délateur, dans la Trente-troisième rue. Je la connais depuis longtemps. Elle chante une chanson avec trois airs et trois cents ronds-de-jambe dans une opérette de Broadway. 

« — Jane, lui dis-je, j'ai avec moi un ami du Texas. C'est un chic type, seulement il est un peu massif. Je voudrais lui donner une petite secousse après la représentation ce soir, quelque chose qui pétille, tu sais, un tour, au Casino, avec souper, marennes, Champagne , foie gras et musique. Ça va ? 
« — Est-ce qu'il sait compter ? demande Lola. 
« — Jusqu'à soixante-quinze mille, dis-je. Tu dois bien te douter que je ne l'aurais pas emmené promener s'il n'avait pas eu de bonnes notes à l'école. Il est plein de dollars et de haricots. 
« — Amène-le-moi à la fin, du second acte, dit Lola, et j'examinerai ses titres et obligations. 

« Vers dix heures donc, ce soir-là, je conduis Solly à la loge de Miss Delatour, et l'habilleuse nous fait entrer. Quelques minutes plus tard arrive Lolabelle, qui sort de la scène, dans le costume éblouissant qu'elle porte au moment où elle sort du rang des femmes-grenadiers pour déclarer à Sa Majesté le Roy de Krapatoulie : « Vive notre gracieux Souverain des Fêtes rurales de la moisson des Plaisirs ! » Et je vous parie un cachet de première vedette que ce n'est pas sa voix qui lui a valu le rôle. 

« Dès que Solly l'aperçoit, il se lève d'un bond, sort, traverse rapidement les coulisses et ne s'arrête que dans la rue. Je le suis, la mort dans l'âme. Ce n'est pas Lolabelle qui me décrochera mes mille dollars. Je me demande qui pourra bien le faire. 

« — Luke, me dit Solly sur le trottoir, nous avons commis une affreuse bévue. Nous sommes entrés par erreur dans la chambre à coucher de cette dame. J'ai toujours pensé que j'étais un gentleman, Luke ; faut que j'lui fasse toutes mes excuses. Croyez-vous qu'elle nous pardonnera jamais ? 
« — Sûrement, dis-je. Peut-être qu'elle n'y pense déjà plus. Bien entendu, c'était une erreur de notre part. Allons manger des haricots. 

« C'est ainsi que ça se déroule. Mais quelque temps plus tard, Solly me pose un lapin à l'heure du dîner pendant plusieurs soirs. Je le coince dans le hall, et je lui arrache des aveux: il a dégoté dans la Troisième avenue un restaurant où ils font cuire les haricots dans le style du Texas. Je le persuade de m'y inviter. Je n'ai pas plutôt ouvert la porte que je lève les bras en signe de capitulation. 

« A la caisse siège une jeune dame, à qui Solly me présente. Puis nous nous asseyons et on nous sert des haricots. 

« Oui, Monsieur, il y a derrière ce comptoir-caisse une jeune femme appartenant à l'espèce qui attrape les hommes à la volée aussi facilement qu'un poisson. Celle-ci possède la technique à fond. Je l'ai vue à l'oeuvre. Elle est vêtue simplement et arbore des signes de santé impeccable. Ses cheveux sont tirés en arrière et lissés, pas de chichis ni de frisettes. Oui, tels sont les signes particuliers de son signalement. Et je vais vous expliquer le mécanisme stratégique de la manoeuvre homicide : c'est très simple. Quand une femme comme ça veut pêcher un homme, elle s'arrange pour que, chaque fois qu'il la regarde, il la trouve en train de le regarder. C'est tout. 

« Le lendemain soir, je devais convoyer Solly à Coney Island à sept heures. A huit heures, pas encore de Solly. Je sors et hèle un taxi. J'ai le pressentiment que ça va se gâter. 

« — Conduisez-moi au Back Home Restaurant dans la Troisième avenue, dis-je au chauffeur ; et si je n'y trouve pas ce que je cherche, faites la'tournée des selleries, ajouté-je en lui rendant la liste. 
« — Patron, dit le chauffeur, j'ai essayé d'manger un bifteck une fois dans c'restaurant là. Si c'est qu'vous avez vraiment faim, vaudrait mieux aller tout d'suite chez les marchands d'selles. 
« — Je suis un détective, dis-je, et je ne mange pas. Dépêche-toi. 

« Aussitôt que j'ai mis les pieds dans le restaurant, je sens dans les lignes de la main qu'il faut me méfier d'une femme brune, aux cheveux plats et aux yeux en hameçons, et que je vais faire une perte financière. 

« Solly n'est pas là ; ni la pêcheuse non plus. 

« J'attends. Au bout d'une heure, ils descendent de taxi devant la porte et entrent, la main dans la main. Je prie Solly de m'accorder un interview. Il a un sourire sur la figure aussi large qu'un océan sur une carte géographique. Mais je ne suis pas plus l'auteur de ce sourire que je n'ai fabriqué d'océan depuis que j'ai quitté l'école. 

« — La plus magnifique créature qui ait jamais humé la brise ! bêle-t-il avec un enthousiasme lamentable. 
« — Compliments, dis-je. Et maintenant, mon rôle étant terminé, envoyez les mille dollars, s'il vous plaît. 
« — Luke, dit-il, tandis que son sourire disparaît instantanément, j'ai pas l'impression que j'me suis tellement tir'bouchonné, sous votre tutelle et administration. Mais j'ferai tout c'que j'pourrai pour vous, tout c'que j'pourrai, Luke. Moi et Miss Skinner on s'est mariés y a une heure. Partons pour le Texas demain matin.
« — Fameux! Meilleurs voeux, dis-je, santé, bonheur, haricots et prospérité. Mais ne laissons pas nos relations d'affaires s'enliser dans la guimauve du roman et de la chanson d'amour. Que deviennent mes honoraires ? 
« — Madame Mills, dit-il avec un air de satisfaction pitoyable, a pris possession de mon argent et de mes papiers, à l'exception de 4 dollars. J'lui ai dit c'qu'était convenu entre nous ; mais elle prétend que c'est un contrat illégal et irréligieux, et elle ne veut pas payer un cent. Mais j'veux pas qu'vous soyez lésé, Luke, dit-il. Au cours de ce voyage, j'ai acheté quatre-vingt-sept selles que j'ai fait envoyer au ranch. En arrivant, je choisirai les six plus belles du lot, et je vous en ferai cadeau. 

— Et... vous les avez reçues ? demandai-je quand Lucullus eut achevé son récit. 
— Oui, dit-il. Six selles royales, impériales, despotiques, dignes d'un Président de la République du Guatizuela pour le jour de son couronnement. A elles six, elles ont dû lui coûter quelque chose comme 3.000 dollars. Mais où trouver un marché pour six selles comme ça ? Qui peut acheter ça, à part ces rajahs et ces potentats de l'Afrique ou de l'Asie? Je les ai tous sur cette liste. Je les ai tous repérés, depuis l'Aga-Tam-Ki-Pour de Balavakavala, jusqu'au petit brun aux yeux de cirage qui règne sur les orangs-outangs de l'archipel des Toukou-Mamaou, 
— C'est une clientèle, dis-je, assez dispersée. 
— Oui, dit Polk Lucullus. Mais il en vient de plus en plus. Aussitôt que l'un de ces anthropoïdes carnassiers se croit civilisé parce qu'il a remplacé la strangulation par la guillotine et qu'il se sert d'une serviette au lieu de ses moustaches pour s'essuyer la figure, il se baptise un « Roosevelt de l'Orient », et il rapplique à New-York pour apprendre la manière de faire les cocktails et d'infliger de nouveaux impôts. Oh ! je placerai toutes mes selles ! Tenez, lisez-moi ça.

Le royal sellier tira de sa poche un journal plié en huit et me désigna le paragraphe suivant : 

« Son Altesse Seyyid Feysal Bin Rakee, Imam de Muskat, est l'un des souverains les plus cultivés et les plus éclairés du Vieux Monde. Ses écuries contiennent plus de mille chevaux appartenant à la race persane la plus pure. On dit que ce puissant seigneur projetterait bientôt un voyage aux Etats-Unis... » 

— Hein ! s'écrie Mr Polk d'une voix triomphante. Autant dire que ma meilleure selle est vendue d'avance, celle qui a des turquoises incrustées dans le troussequin. N'auriez-vous pas trois dollars à me prêter en attendant ? 

Je les avais. Je ne les ai plus depuis ce moment-là. Si ces lignes tombent sous les yeux de l'Imam de Muskat, puissent-elles attiser le désir qu'il a manifesté de visiter notre pays. Nous y gagnerons tous : moi, trois dollars ; les Etats-Unis, 25 millions de roupies ; le prince, de précieuses recettes éthylliques et fiscales ; et ses sujets la satisfaction de le savoir à 12.000 kilomètres de leur pays, ainsi que la primeur d'une taxe ultra-moderne sur les chameaux de luxe et les pendentifs nasaux. 

* Ce conte est dans le domaine public au Canada, mais il se peut qu'il soit encore soumis aux droits d'auteurs dans certains pays ; l'utilisation que vous en faites est sous votre responsabilité. Dans le doute ? Consultez la fiche des auteurs pour connaître les dates de (naissance-décès).

- FIN -

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