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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 5¾ pages (16279 caractères)
Pays ou culture du conte : France.

Recueil : Contes de Saint-Santin

06 - Les oeufs de Pâques

Charles-Philippe de Chennevières-Pointel (1820-1899)

UNE nuit de l’hiver où passèrent tant d’oies sauvages, – c’était justement la nuit de la mi-carême, – le maître de musique et le suisse, non point le suisse de notre église, mais celui qui fait les petits pâtés et les bonbons, le suisse et le maître de musique traversaient la forêt de Bellesme. Bien que la lune fût en son plein, comme elle avait à percer la vapeur de la saison, il ne tombait du ciel qu’une lueur tout à fait vague, ni plus ni moins qu’il n’en faut à des compères bien repus pour se guider sur une grande route entre deux hautes futaies. Les nôtres marchaient d’un bon pas, en gens pressés de rentrer à la ville, et, tout pressés qu’ils étaient, ils s’égosillaient à chanter et à rire. Ils s’en revenaient à cette heure avancée du château d’Ep...., où, pour couper gaiement le carême, on avait fait grande fête et grasse. Le suisse y avait été mandé avec trois ou quatre de ses plus beaux moules pour y apprêter et dresser les pâtisseries ; quant au maître de musique, on l’avait appelé pour faire danser au piano les invités du dîner. Tous deux avaient été bien régalés, selon l’habitude de la maison, réforcés encore et encore de manger et de boire ; et, de fait, le musicien n’avait guère moins bu que le suisse, car il faisait plus chaud, s’il est possible, au salon qu’à la cuisine.

Les voilà donc, comme nous disions, au beau milieu de la nuit, traversant la forêt ; quand ils passèrent devant la Herse, ils avaient le verbe si haut, que les chiens et la femme du garde en furent réveillés. La femme crut même reconnaître les grelots d’un attelage de roulier ; c’était le carillon des moules à gâteaux que le suisse rapportait ballants sur son épaule. A quelques enjambées de là, il leur vint l’idée, tant ils étaient allègres, de couper à travers bois par le petit sentier que l’on trouve vers la droite et qui s’en va aboutir auprès du chemin de Saint-Martin, et tout cela pour éviter le méchant coude de la grande route ; mais les gens qui ont bien soupé ne craignent point les fondrières.

Quand ils commencèrent à s’avancer dans les détours de ce sentier, leur langue se calma comme par enchantement, car ils avaient assez à faire pour ne pas mettre les pieds dans les flaques de boue et dans les ornières gluantes et pour sauter proprement les fossés ; et puis, de pas en pas, les bourgeons de mars leur fouettaient les yeux. Ils arrivèrent bien crottés, je vous jure, et bien aises, entre nous, de sortir de cette ombre qui ne leur disait plus rien de gai, au bord de la grande clairière, où il y avait encore en ce temps-là plus d’herbes sèches et de fougères que de pousses de hêtres. Ils allaient essuyer leurs bottes aux premières touffes de bruyères, quand ils entendirent dans le lointain, devant eux, des cris d’oiseaux qui se rapprochèrent à tire-d’aile aussi vite que le vent ; et jugez du frisson qui courut de la tête aux pieds des pauvres compères, quand ils virent que la volée qui s’abattait à cinquante pas d’eux, dans les herbes et sur les jeunes baliveaux, ne leur laissant que le temps de s’accouver derrière un gros trochet de chênes sur la lisière du fourré, – c’étaient des oiseaux qui n’étaient ni chair ni os, mais dont le plumage était comme transpercé de cette lumière pâle et sourde que nous savons tous être celle des fantômes. Ils étaient si nombreux, qu’on ne pouvait point les compter ; il n’y manquait pas une espèce de nos pays ; il y en avait des centaines et des centaines, des petits, des gros, des énormes, et pas un qui ressemblât à son voisin ; cette fourmilière d’oiseaux ne furent pas plutôt posés dans la clairière, qu’ils commencèrent, en battant leurs ailes livides, un ramage si triste, si aigu et si lamentable, qu’il eût tiré des larmes d’un sourd. Le pâtissier, se penchant à l’oreille du musicien, lui dit : – Mais, Dieu me damne et que le loup me croque, je les reconnais : ce sont les oiseaux empaillés de défunt M. Abel !... Et que font-ils là, à une lieue de leur pavillon ? – Taisez-vous, je les écoute, répondit le musicien. Et il se boucha l’oreille gauche.

Il faut que vous sachiez que ce pauvre maître de musique avait un jour perdu son oreille droite sur la route de Nogent. La diligence, où il occupait un bon coin, avait versé juste auprès de la borne du département, et, quand les voyageurs se relevèrent, le musicien s’aperçut que la vitre de la voiture lui avait très-proprement coupé l’oreille, comme saint Pierre à Malchus. Mais, d’autre part, vous n’ignorez pas que, dans les fermes de basse Normandie, on coupe les oreilles des chiens de garde pour qu’ils entendent mieux, dit-on, les rôdeurs. La preuve qu’on a raison dans les fermes, c’est que, depuis le jour de sa mésaventure, le musicien de Bellesme, quand il écoutait de son oreille droite en bouchant bien l’oreille gauche, entendait le langage des oiseaux et des cigales. – Savez-vous ce qu’ils chantent ? fit-il tout bas au suisse.

        A couver !            Glousse ! Glousse !
        A couver !            Coque rousse
        Qu’on nous donne        Serait douce
        A couver !                    A trouver
        Minuit sonne,            Sur la mousse.
        Et personne            Glousse ! Glousse !
        Ne  nous donne            A couver !
        A couver.            A couver !

- Que veulent-ils dire, les malheureux ? dit le pâtissier. Les revenants ont de si curieux caprices ! Les esprits des oiseaux vont donc à la forêt comme les grenouilles vont à la mare? Ils sont si tranquilles le jour dans les armoires de leur pavillon neuf, au bas de la rue Saint-Michel, et c’est ici qu’ils viennent la nuit faire leur sabbat ! A couver ! à couver ! Mais comment pourrait-on les contenter, ces pauvres petits esprits en peine ? Pourvu qu’ils ne nous voient pas ! Je les ai pourtant tous connus par leur nom, les oiseaux de M. Abel ; chacun à son tour m’a passé par les mains ; c’est moi qui les ai vidés pour l’empaillage, et j’ai fait avec leur chair de bien jolis pâtés. Tenez, j’avais l’habitude de les cuire dans ce moule-là.

Le geste que fit le suisse pour montrer son moule agita tous ceux qu’il avait pendus à son cou ; le cliquetis des cuivres effaroucha en un clin d’oeil le pâle essaim des jolis petits fantômes ; ils s’enlevèrent, en criant, comme une nuée lumineuse, avec le bruit effroyable d’un gros tourbillon, et les deux compagnons eurent à peine le temps de les voir disparaître vers Bellesme, par-dessus le massif de la forêt, plus rapides que des étoiles filantes.

Ils restèrent un moment à calmer leurs coeurs battants ; puis, après s’être regardés dans la nuit en silence, ils reprirent leur chemin, se creusant la cervelle sur une telle apparition. – A couver ! à couver ! – Coque rousse, – sur la mousse, – répétait à voix basse le musicien. – Des oeufs rouges, marmottait le pâtissier, moi, je n’en connais qu’à Pâques, et encore ils sont durs. Cela ne saurait leur convenir, d’autant que ces oeufs-là sont tous de poules ou de canes, et que ce serait une moquerie d’en offrir de pareils à un roitelet et à une mésange ou bien à un cygne ou à la fameuse oie qui a mérité aux oies de notre province la médaille du concours entre toutes les oies de France.

– Mais, dit le musicien, vous qui faites de si jolies fleurs et des pipes et des chiens en sucre, que n’essayez-vous de faire pour ces pauvres oiseaux des oeufs en sucre rouge, qui seraient juste de la taille de ceux qu’ils ont coutume de pondre et de couver ?
– Je le veux bien, répondit le suisse ; on peut toujours essayer pour deux ou trois douzaines. Si cela ne leur va point, la perte ne sera pas grande, et si la nichée leur convient, Dieu sait ce qui en sortira.

Ils remontèrent la côte de Bellesme sur cette bonne idée. Leurs femmes leur trouvèrent la mine un peu défaite ; mais ils jurèrent que c’était le froid de la nuit après un si bon souper ; et personne ne se douta de ce qu’ils avaient vu dans la forêt.

Le lendemain soir, à nuit tombée, le suisse et le maître de musique s’en retournèrent à pas de loup vers la clairière avec des oeufs en sucre plein leurs poches, et ils les éparpillèrent avec soin sous les plus beaux pieds de fougères ou dans les broussailles ;  il y en avait trente-cinq, et de toutes les tailles, les uns pas plus gros que des noisettes, les autres comme des pommes, un ou deux comme de petits melons de Bonnétable, tous en sucre rouge et très-bien imités. Et quand ils furent posés à souhait, les deux compères s’en revinrent à la ville, ne se souciant point d’attendre là le coup de minuit, et se jurant de n’y mettre les pieds que trois semaines après, la veille de Pâques, et ils tinrent parole.

Cependant, à propos de pain bénit, le pâtissier trouva l’occasion d’entrer un jour avec le musicien, qui le dimanche jouait de l’orgue à Saint-Sauveur, chez M. le président de la fabrique, et ils se glissèrent dans le jardin, vers le pavillon où reposaient, chacun sur son petit perchoir, les oiseaux de défunt le bon M. Abel. S’ils avaient été francs, ils se seraient dit l’un à l’autre que le coeur leur battait plus vite que d’habitude.

Quand ils entrèrent dans le pavillon, il leur sauta au nez je ne sais quelle fade odeur de vieilles plumes enfermées, ayant besoin d’être secouées au grand air. – Les fines mouches, pensèrent-ils, ont dirait qu’elles ne font pas chaque nuit leur tour en forêt. Et par où donc peuvent-elles passer ? Les portes sont bien jointes, et point de vitres cassées ; mais, au fait, pour des fantômes, il suffit du trou de la serrure ou du tuyau du poêle. – Puis, s’approchant des rayons sur lesquels étaient rangés, selon leurs familles et leurs tailles, les paons, les hérons, les chardonnerets, les bouvreuils, les geais, les merles, les martins-pêcheurs, les chouettes, les corbeaux, les pluviers, les rouges-gorges, les pics-verts et toutes les espèces de volatiles qu’un chasseur de nos pays peut rencontrer au bout de son fusil, soit en hiver, soit en été, soit en plaine, soit en forêt, il leur sembla que certains de ces oiseaux les regardaient de leurs brillants yeux d’émail avec une tendre reconnaissance et faisaient mine, à leur vue, de battre des ailes leur beau plumage bariolé. D’autres les envisageaient d’un oeil morne, et leurs plumes semblaient hérissées et comme découragées. Les deux visiteurs se touchaient de temps en temps du coude sans oser se faire part des signes qu’ils observaient. Enfin, ils sortirent du pavillon neuf, ne sachant trop, au demeurant, si leur semaille de la forêt donnerait récolte et s’ils ne s’étaient pas fait là plus d’ennemis que d’amis.

Enfin, arriva la veille de Pâques. Les trois semaines de couvaison étaient écoulées. Le soir du samedi saint, le suisse et le musicien se remirent une dernière fois en route pour la clairière. Ils retrouvèrent les oeufs où ils les avaient nichés, parmi les fougères, les bruyères, les herbes et les buissons : un, deux, trois, quatre... ; mais ils ne purent jamais trouver le trente-cinquième.

Au premier qu’ils relevèrent, figurez-vous leur surprise : ils entendirent, en l’agitant à leurs oreilles, qu’il n’était point vide comme le jour où il avait été posé, et leur curiosité fut si grande qu’ils ne purent attendre leur retour à la ville pour apprendre ce qu’il contenait. Par bonheur, la lune était claire, et avec la pointe de son couteau, le suisse, qui connaissait, pour les avoir moulés lui-même, l’endroit sensible de ses oeufs, en ouvrit un délicatement juste par la moitié, et que trouva-t-il dedans ? Un jeu de dominos, si petit, si petit, qu’il ne pouvait servir qu’à des poupées. Les deux hommes s’entre-regardèrent bien confondus, et, dans son émotion, le maître de musique, qui était un brin gauche, laissa tomber de ses mains un autre oeuf, qui se cassa du coup, et au milieu des morceaux on trouva un jeu de quilles, lesquelles n’avaient pas un pouce de long. – C’est pour le plaisir des fées que les fantômes des oiseaux de M. Abel ont couvé vos oeufs, dit le musicien. – Ne parlons point de fées, répondit tout bas le pâtissier, et tâchons de tirer bon profit de la couvée. Tenez, pendant que nous sommes là en paix, prenons chacun nos seize oeufs dans nos poches. Vous ferez des vôtres ce qu’il vous plaira, vous les distribuerez à vos écolières ; moi, j’en parerai demain matin ma boutique, on fera queue pour m’acheter mes oeufs à surprise, et je les vendrai au poids de l’or. – Nous ne pouvons point remettre la main sur le trente-cinquième ; eh bien ! tant mieux: on laisse toujours un vieil oeuf au poulailler ; celui-ci en fera revenir de nouveaux.

Le lendemain, comme le suisse l’avait annoncé, toutes les bourgeoises de la ville, sortant de la grand’messe, avisèrent à la devanture des oeufs rouges énormes et tout banderolés de rubans bleus ou blancs. Chacun s’empressa d’en acheter, et on en rapporta quatre à Saint-Santin : mademoiselle Thérèse ouvrit le sien et y trouva un petit nécessaire : mademoiselle Gabrielle, un chapelet ; mademoiselle Madeleine, une poupée baigneuse, et M. Henri, un petit livre, qu’il se mit à lire à l’envers, ne sachant point lire à l’endroit.

C’est ainsi qu’est venue dans notre ville la mode des oeufs à surprise qu’on achète la semaine de Pâques. Tous les ans, la nuit de la mi-carême, le suisse porte en forêt une panerée de gros oeufs vides, et le samedi saint il les rapporte pleins. Et si vous en voyez de pareils dans les autres pays, c’est qu’il y a là des pâtissiers qui ont su entendre la chanson des oiseaux fantômes.

Mais il faut pourtant bien que je vous apprenne ce qu’était devenu l’oeuf que le suisse et le maître de musique avaient tant cherché et qu’ils n’avaient pu trouver. Cet oeuf-là, ils l’auraient cherché longtemps : il était déniché depuis l’autre nuit ; c’est le garde de la forêt qui avait mis la main dessus. Dans la nuit du vendredi saint au samedi, ce garde rôdait avec son chien à travers bois pour tâcher de surprendre des coupeurs de jeunes plants, quand, en approchant de la grande route, il entendit de son oreille qui était si fine le bruit roulant d’une innombrable volée d’oiseaux ; il se précipita par-dessus le fossé et n’aperçut d’abord qu’une sorte de nuée pâle qui se rabattait derrière la forêt ; mais presque aussitôt s’enleva à trois pas de lui, d’un creux de vieille racine, l’ombre attardée d’un chat-huant, dont le cri et la vue firent une telle peur au chien, qu’il s’enfuit loin de son maître avec un hurlement étranglé. Un garde forestier, cela ne s’effraye point aisément ; celui-ci, aussi vite qu’un éclair, ajusta le revenant entre ses deux ailes, lâcha une détente, puis l’autre, pan ! pan ! et courut pour saisir la bête, comme s’il eût été sûr de son coup. Point du tout : le fantôme poursuivit son vol en huant le chasseur. Notre garde siffla en vain son chien, qui était blotti derrière un arbre ; d’ailleurs, qu’aurait flairé le nez du chien, puisque les ombres n’ont point de piste ? Mais le garde lui-même s’étant mis en quête et étant venu au creux du vieil arbre d’où s’était élevé le fantôme de l’oiseau, il ramassa l’oeuf qu’il couvait, et après s’être étonné qu’il ne fût point chaud, mais d’une couleur singulière, il le mit dans sa carnassière et le rapporta tout joyeux à sa fille.

Je vous dirai une autre fois ce que la pauvre enfant trouva dans l’oeuf qu’avait couvé l’esprit du chat-huant, et les malheurs qui lui en advinrent.

 

Les bonnes se transportèrent alors dans la salle de verdure que les enfants appellent la Maisonnette, et la nourrice de Marie leur raconta ainsi son histoire :

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- FIN -

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