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C’est l’histoire d’un gars qui venait de Taschereau, village situé à une cinquantaine de milles au nord de Rouyn-Noranda. Le gars s’appelait Joseph O’Neil. Sa mère était Canadienne-française et son père Écossais ou Irlandais. On sait pas trop, mais ce qui est sûr, c’est qu’il buvait fort, pas mal fort. De la bagosse faite avec un petit alambic caché dans la forêt. Pourquoi buvait-il tant ? Là, je parle du fils. Parce qu’à force de s’empiffrer comme un goinfre avec les ragoûts de sa mère, il était devenu baquèse comme ça se peut pas et, à vingt-deux ans, il n’avait pas encore faraudé avec une jolie. Même l’unique guedoune du village n’en voulait pas. Il était vierge comme une pucelle. Alors, un soir, il s’était paqueté plus qu’à son habitude parce qu’il savait qu’il serait encore tout seul le lendemain pour le bal à l’huile – un bal à l’huile, ça se déroulait dans le temps de nos grands-pères et c’était un genre de veillée privée où chacun apportait sa propre boisson. (Aujourd’hui, on appelle ça un… party.) Bref, ce soir-là, il était si triste et si imbibé de boisson qu’il avait eu l’idée de se tirer sous un train pour en finir avec son calvaire de gros gars qui poignait pas. Mais avant qu’il ne s’élance sous le freight qui arrivait à toute vitesse, v’là-tu pas que Satan apparut devant lui. – Joseph O’Neil, qu’est-ce que tu fais là, qu’a dit Satan avec son gras accent d’Abitibi ? Donne-moi plutôt ton âme et je te ferai beau comme un sauteux de clôture. Voyant l’hésitation de Joseph, le diable en a remis : – Écoute moi bien le jeune, m’en vas te donner un an et un jour où tu pourras faire tout ce que ça te tentera avec toutes les mignonnes que tu choisiras. Et en plus, quand je reviendrai, si tu réussis à me trouver un ouvrage que je pourrai pas réaliser, ben tu seras aussi libre que tu l’es maintenant. Dans le cas contraire, ce sera l’enfer à jamais ! Joseph O’Neil avait signé le pacte de Satan en y posant son pouce, qu’il s’était écorché exprès, et s’était évanoui. Le lendemain matin, il s’était réveillé dans une chambre à l’hôtel du village. Il était fripé comme on peut l’être un lendemain d’une brosse. Il s’était levé, hésitant, titubant, et c’est là qu’il s’était vu dans le miroir. Il n’en revenait tout simplement pas. Il était rendu tellement beau qu’il avait lui-même de la misère à se reconnaître. Le pacte qu’il avait signé avec le diable la veille avait marché bien plus qu’il n’aurait pu l’imaginer. Il a trouvé sur une chaise de beaux vêtements tout neufs et la note que voici : Jos Gallant, alias Joseph O’Neil, voici un nouveau nom pour ta nouvelle allure et des vêtements élégants qui vont s’allier à ta très grande beauté. Rends-leur justice en étant le courailleux de jupons que tu as toujours rêvé d’être. Rendez-vous dans un an et un jour. Satan. Jos a repensé au bal à l’huile qui avait lieu dans la soirée. Le temps a passé si vite qu’on aurait dit un gros décalage horaire. Quand il est arrivé dans la salle paroissiale, à la brunante, le câleur appelait déjà les compères et la danse était en train de débuter au son des violoneux qui zigonnaient à qui mieux mieux sur leur instrument. Jos traversa la salle et invita Mary Taylor, la plus charmante et la plus jeune des créatures du village. La Mary, croyez-moi, avait de ces atouts à faire rougir d’inconfort même un moine ! Elle n’a même pas laissé le temps à Jos de finir sa demande qu’elle était déjà debout, prête à danser, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Faut croire qu’elle avait un kick sur le nouveau de la place. Ça swingnait fort dans cabane : un set carré par icitte, un brandy par là, un corbeau dans cage après. Toutes sortes de danses folkloriques dont on a oublié jusqu’à l’existence aujourd’hui. Le gigueux, lui, faisait ses steppettes devant la grosse Amanda qui turlutait ses airs, en se berçant dans sa chaise. Grosse soirée canadienne du bon vieux temps. Et c’est là que ça c’est gâté. Suivez-moi bien : Jos Gallant a un peu trop collé Mary Taylor au goût de Gildas Chiasson. Gildas Chiasson, c’est lui qui avait un œil sur Mary Taylor. Mary Taylor était la fille du forgeron et le forgeron avait déjà sous-entendu à Gildas Chiasson que lui, Gildas, et sa fille, Mary, feraient de beaux enfants ensemble. Mais le problème, c’est que Mary n’était pas au courant de cette gamique-là. Gildas Chiasson s’est rapproché par derrière de Jos Gallant, en hypocrite, puis l’a poussé. Jos s’est enfargé dans les chaises, a perdu l’équilibre et est tombé par terre. A vite repris sur lui, debout en moins de deux, les poings en garde. Mais Jos refusait de frapper Gildas Chiasson, d’autant plus que Gildas était pas mal chaudasse. Jos a essayé de lui parler, mais Gildas ne voulait rien savoir. Jos a évité un premier coup de poing, un second, puis s’est tassé sur le côté quand il a vu Gildas Chiasson charger sur lui de tout son poids. Gildas a passé dans le vide et est allé choir contre des tables qui se sont renversées. C’est là qu’il a ramassé une bouteille cassée pour couper Jos au visage. Jos, toujours en garde, n’a pas laissé le temps à Gildas de le frapper et l’a atteint d’un solide coup de poing sur la tempe. Gildas a vacillé et s’est écroulé face contre sol, les bras en croix. Tout le monde était immobile dans le gros silence pesant. C’est Mary, la première, qui s’est approchée de Gildas Chiasson, qui ne bougeait plus. C’est à ce moment-là que tous ont vu le visage épouvanté de Mary et ont compris que Gildas était mort. Mauvais coup de poing au mauvais moment au mauvais endroit. Nous par chez nous on appelle ça une grosse Bad luck ! Jos aurait peut-être dû rester dans la place, qui sait ? Mais il s’est sauvé et par le fait même, s’est rendu coupable aux yeux des autorités. Il pensait aller se cacher aux States, mais il n’a même pas eu le temps de monter dans le train que les policiers l’avaient déjà arrêté. À la suite du procès qu’ils lui ont fait à Amos, Jos Gallant avoua qu’il était Joseph O’Neil. On fit venir à la barre les parents de Joseph O’Neil qui ne reconnurent pas, en la belle personne de Jos Gallant, leur fils qui était baquèse et ivrogne. Jos Gallant parla ensuite du pacte qu’il avait signé avec Satan sur le rebord de la track un soir de brosse. Le juge s’étouffa de rire et déclara Jos Gallant « aliéné mental ». Jos fut donc transporté à Montréal et enfermé dans un asile. Pauvre Jos Gallant !Il était beau comme un coq et n’avait même pas eu la chance de séduire une belle; il s’était bien fait amancher. Alors, pour passer le temps, comme c’est tout ce qui lui restait à faire, il s’est mis à penser à Satan et à l’ouvrage qu’il lui ferait faire pour ne pas aller en enfer. L’année s’écoula et Satan réapparut, majestueux comme seul un prince venu des ténèbres peut l’être. – Jos Gallant, alias Joseph O’Neil, qu’a dit Satan, l’année plus un jour a passé. Je viens te chercher pour attiser les flammes de ma fournaise que je chauffe avec les âmes des innocents. Aussitôt le diable a fait apparaître une scie pour couper les arbres. – Voici ta sciotte, et maintenant, a demandé Satan en riant, qu’est-ce que je fais avec ? Satan a cessé de rire. Ou il se coupait la tête et il voyait s’il était éternel –lui même ne le savait pas– ou il ne faisait rien et Jos Gallant était libre comme l’air. « Ah ! le sacrament, qu’a pensé Satan, il m’a ben eu. » Le diable a crié si fort que Jos Gallant a r’volé à l’autre bout de la pièce. En même temps, un tremblement de terre ébranlait Montréal au complet, la terre s'’st ouverte en deux, un montagne en est sortie avec une petite croix dessus et ça a fait peur au diable qui est reparti aux enfers. Eh oui, c’est de cette façon que le Mont-Royal est arrivé à Montréal. Quand Jos Gallant est sorti de sa cellule, ça a provoqué la panique parmi les autres patients qui se sont mis à courir partout sur l’étage et à gueuler comme des fous. C’est normal, me direz-vous, quand on est dans un asile de fous ! Même les bonnes sœurs, qui étaient les gardes-malades de l’ancien temps, ont pris peur et se sont sauvées chacune leur tour. Jos Gallant s’est dirigé vers la sortie. Mais avant de franchir les portes, il s’est revu dans un miroir. Il était toujours aussi beau : « comme un coq ». Ce n’était pas ça le problème. Non ! Jos Gallant avait maintenant sur la tête deux grandes cornes toutes croches qui lui ont fait tellement peur, quand il s’est vu, que ses cheveux sont devenus blancs d’un seul coup. C’est comme ça que se termine l’histoire officielle de Jos Gallant. À vous autres d’en tirer une morale. * * * Pour les curieux, il y a tout de même une rumeur qui dit que Jos Gallant serait retourné en dedans, aurait ramassé la sciotte du diable, aurait profité de la noirceur pour se faufiler telle une ombre dans les ruelles et quitter la ville, et qu’il serait retourné en Abitibi. La rumeur veut aussi qu’il se serait coupé les cornes, du mieux qu’il pouvait, bien sûr, aurait changé de nom et se serait acheté un petit lopin de terre non loin de Senneterre pour y vivre en ermite. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des monde sauf qu’à chaque fois squ’il se réveillait, les maudites cornes avaient repoussé. Ce qui fait aussi que la maudite job était à recommencer à tous les matin que le bon Dieu apportait. Ce qui fait aussi qu’à chaque fois qu’il sortait de sa cabane, en hiver comme en été, beau temps mauvais temps, il n’oubliait jamais de porter une casquette. Et pour en savoir le pourquoi, bien, maintenant, vous le savez autant que moi. |
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- FIN -
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