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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 4¼ pages (11626 caractères)
Pays ou culture du conte : Canada.

Recueil : Contes et récits du Canada

L’eau de feu

Charles Quinel (1886-1946)

L’Agouhanna de Hochelaga était bien malade; dans la belle hutte, qu’il occupait au centre de la bourgade, il gisait sur son lit fait d’écorces d’arbre recouvertes de dépouilles de bêtes. C’est à peine si le pauvre chef peau-rouge pouvait se soulever sans pousser des hurlements de douleur. Ses squaws, ses enfants, étaient groupés autour de lui, leurs gémissements répondaient aux siens, comme si l’affection qu’ils lui portaient leur eût fait partager ses souffrances.

Les plus éminents sorciers avaient été, consultés ; ils avaient prescrit des remèdes très difficiles à se procurer — mais était-il quelque chose de trop malaisé quand il s’agissait de la santé, de la vie peut-être d’un aussi puissant chef ? On avait fait boire à l’agouhanna breuvages les plus étranges; on lui avait peint sur toutes les parties du corps les totems de toutes les tribus amies. Le mal ne cédait pas. Les anciens inclinaient à penser que leur chef était victime d’une vengeance de Guitché-Manitou, le Grand Esprit, à cause des ménagements qu’il avait gardés vis-à-vis des blancs, de ces blancs dont le vaisseau, l’Emerillon était embossé dans la rivière, devant Hochelaga.

Un des fils de l’agouhanna eut une idée :

— Puisque les faces pâles sont la cause de la maladie de mon père, ne serait-il pas possible d’obtenir d’eux sa guérison ?

Cette proposition parut séduire les moins récalcitrants parmi les anciens ; on fit appeler Domagaya, l’interprète de Cartier, qui, ayant été au pays des blancs, connaissait leurs mœurs et leur pouvoir.

— Certes, s’écria le jeune Huron, le chef des faces pâles peut, s’il le veut, guérir l’agouhanna, j’ai vu dans son pays bien des prodiges. Les faces pâles ne possèdent-ils pas le secret d’enfermer le tonnerre dans leurs tubes de cuivre et de vomir la mort à distance ?

Ces avis transmis au conseil de la tribu rallia la presque unanimité des suffrages. Il n’y avait pas de temps à perdre, l’état du malade paraissait empirer, à en juger par la fréquence et l’intensité de ses gémissements.

Une députation fur envoyée à bord de l’Emerillon ; elle était conduite par Domagaya et apportait, comme il convient, de nombreux présents, des fourrures, des poissons, du gibier. Le Huron exposa à Cartier ce qu’on attendait de lui.

Le Malouin ne se fit pas prier. Escorté de Macé Jalobert, de Guillaume Le Breton, et de plusieurs autres officiers, il descendit à terre et se dirigea vers le village.

Hochelaga était un bourg de forme ronde ; une haute et forte palissade l’encerclait ; sur ses remparts de bois étaient entassés de gros blocs de pierre et des quartier de roc pouvant servir de projectiles. Une seule porte fermée par des barres donnait accès dans la ville. Devant cette porte, des guerriers attendaient, badigeonnés de leur plus belle peinture et armés d’arcs, de lances, de tomahawks, de haches, de boucliers bordés de plumes : Un groupe de peaux-rouges formait orchestre ; ceux-là tapaient sur des tambours, soufflaient dans des trompettes et des sifflets, en un mot, menaient le vacarme le plus assourdissant que l’on pût imaginer.

Précédés par la musique, entourés par les guerriers, Cartier et son état-major pénétrèrent dans la bourgade. Ils ne la connaissaient pas encore, les rencontres entre peaux-rouges et blancs ayant eu lieu jusqu’alors soit à bord de l’Emerillon, soit sur les berges du fleuve. Les Français remarquèrent que la cité ne comptait guère plus d’une cinquantaine de maisons, très vastes il est vrai. Elles étaient composées ,de plusieurs chambres donnant sur une salle centrale et la maison abritait ainsi autant de familles qu’il y avait de chambres, toutes profitant du foyer commun.

La hutte de l’agouhanna, sur la grande place de Hochelaga et qui naturellement ne servait qu’à lui seul et aux membres de sa famille, était richement peinte et décorée. Les Français furent un peu surpris de voir autour d’une perche plantée devant l’entrée des objets noirâtres qui s’agitaient au vent. Cartier expliqua à ses compagnons qu’il s’agissait de scalps — il en avait vu jadis au Brésil, mais il ignorait que les peaux-rouges algonquins s’adonnassent à cette pratique.

Domagaya, qui avait surpris la réponse de l’explorateur, ponctua avec orgueil :

— L’agouhanna était dans sa jeunesse un redoutable guerrier. Il a scalpé beaucoup d’ennemis.

Le malheureux chef peau-rouge n’était actuellement en état de scalper personne. Il gémissait d’une façon ininterrompue et n’eut même pas la force de saluer son visiteur. Cartier l’examina soigneusement, le palpa, ce qui eut pour effet de renforcer les hurlements du patient, et il reconnut facilement que cette terrible maladie n’était qu’une crise de rhumatismes. Il envoya donc chercher par un marin un tonnelet d’eau-de-vie à bord de l’Emerillon. Quand le tonnelet fut arrivé, le Malouin versa dans sa main un peu du précieux liquide et en frictionna vigoureusement le dos et les membres du chef.

Ce furent d’abord des rugissements inimaginables qui firent croire à tous les indigènes assemblés sur la place que leur chef allait périr de la main des faces pâles. Puis, petit à petit, une bienfaisante chaleur se répandit dans les veines de l’agouhanna, chassant les douleurs ; il se mit à rire ; ses amis, ses enfants, ses squaws l’imitèrent. Dans la case royale, les rires fusaient aussi bruyamment que tout à l’heure les cris de souffrance.

Cette guérison, instantanément connue dans Hochelaga, amena devant la maison de l’agouhanna tous les malades, les estropiés, les blessés, réclamant eux aussi la santé. Cartier se rendit compte que le prestige qu’il avait acquis en soulageant l’agouhanna s’évanouirait, s’il refusait ses soins aux sujets de ce dernier. D’autre part, il ne pouvait espérer guérir tout ce monde.

Puisque c’était un miracle que l’on attendait de lui, il résolut d’en faire un.

Le tonnelet d’eau-de-vie était confié à un matelot, vieux Yannik, originaire de Saint-Servan, qui le portait avec tout le respect possible, le considérant comme le reliquaire le plus vénérable au monde. Il fut hautement choqué quand son commandant lui ordonna de déboucher le petit baril et d’en laisser couler le contenu dans une sorte de cuvette faite d’un crâne de buffle.

Cette opération s’effectuait devant la porte de la hutte de l’agouhanna. Les parents de ce seigneur qui avaient. assisté à sa guérison crurent que le blanc allait asperger les suppliants avec cette eau miraculeuse. A leur grande stupéfaction, Cartier se contenta de réclamer un tison allumé, il souffla dessus et dès que le feu eut jailli, il l’approcha du crâne de buffle. Subitement, le liquide s’embrasa. Devant la haute flamme verte et dansante les assistants se prosternèrent. Quelle puissance était donc celle des faces pâles qui pouvaient faire du feu avec de l’eau ?

Plus que ses canons, plus que ses navires, vastes palais flottants aux ailes blanches, plus que la guérison de l’agouhanna, le miracle de l’eau ardente servit la gloire de Cartier.

Hélas! le temps vient à bout de tout et sa faux égalitaire sape tous les respects. Lorsque, au début de l’hiver, Cartier fut redescendu à Stadacone, qu’il se fut installé pour passer la froide saison dans le fort de Sainte-Croix qu’il avait construit par prudence, il s’aperçut d’un notable changement dans la manière d’être des sauvages à son égard. Au début, ils avaient accepté avec reconnaissance les menus bibelots qu’il leur remettait en échange du produit de leur chasse ou de leur pêche. Maintenant ils devenaient exigeants. Domagaya et Taïgnoagny avaient expliqué à leurs congénères que ces présents étaient une duperie, qu’au pays des faces pâles, ils n’avaient aucune valeur. Quand les Indiens apportaient de la nourriture ou des fourrures, ils discutaient âprement, marchandaient, voulaient des armes. On était bien obligé de céder.

J’enrage, confiait Cartier à Macé Jalobert, de souscrire aux caprices de ces sauvages, mais que faire? La moitié de nos hommes est frappée par la maladie, l’autre moitié est nécessaire pour assurer la surveillance des remparts et l’entretien des navires, nous ne connaissons pas les méthodes de chasse de ces régions, comment dans ces conditions nous approvisionner ? Nous sommes à la merci des Hurons.

Ils l’étaient si bien, que la disette se déclara dans poste de Sainte-Croix, dès le moment où les peaux-rouges décidèrent de ne plus rien apporter du tout. Cartier redoublait de précautions, renforçait les gardes. Le nombre des malades augmenta. On en était réduit à manger des salaisons souvent pourries. Impossible de quitter le pays. Les nefs étaient, prises dans les glaces du Saint-Laurent. D’ici au dégel les explorateurs seraient morts de maladie ou de faim, ou bien ils auraient succombé sous les tomahawks des Indiens chaque jour plus hostiles.

Les semaines passaient, les maladies s’aggravaient, la famine agitait son spectre hideux. Le poste était si mal gardé par suite de la pénurie d’hommes valides que souvent des peaux-rouges s’introdui­saient la nuit par-dessus les palissades et venaient voler dans les magasins ou les huttes des faces pâles.

— Un de ces soirs, constatait Pontbriant, les sauvages surgiront en masse et nous égorgeront tous.

Ce qui devait être la perte des Français fut leur salut.

Trois Indiens, s’étant glissés nuitamment Jusque dans un magasin de vivres, trouvèrent dans une cachette un tonnelet. L’un des trois voleurs avait été témoin de la scène de l’eau ardente à Hochelaga. Il reconnut le tonnelet, frère de celui qui avait contenu le liquide enchanté. La joie des peaux-rouges fut indicible, ils ne volèrent pas plus avant. Emportant soigneusement leur butin, ils arrivèrent à leur village situé entre Sainte-Croix et Stadacone. Le baril fut remis au chef. Celui-ci fut dans le ravissement, il allait pouvoir, à son tour, opérer des miracles à l’instar des faces pâles ; il songeait à l’ascendant que cela, lui donnerait sur les autres tribus. Déjà il rêvait d’empire.

Dès que le village s’éveilla, le chef réunit l’assemblée de ses guerriers. Devant sa hutte, il vida le tonnelet dans une bassine; cérémonieusement, il en approcha un tison. Ce n’était pas plus difficile que cela. Pour lui comme pour les blancs la flamme verte jaillit.

Que se passa-t-il alors ? Qui renversa la bassine ? Le coupable ne se dénonça jamais. L’eau de feu se répandit sur le sol ; la flamme se communiqua à la hutte du chef. De là, elle passa à celles des autres habitants du village. Des malades périrent dans l’incendie.

Ce nouveau prodige, qui prouvait plus encore que les premiers la puissance des blancs, impressionna si fortement l’esprit des Indiens qu’ils vinrent en corps trouver Cartier, qu’ils lui demandèrent de leur rendre son amitié et que les anciens fumèrent avec lui le calumet de la paix après avoir enterré la hache de guerre. Désormais les provisions fraîches ne manquèrent plus à Sainte-Croix.

Quant à l’eau-de-vie, les peaux-rouges ne tardèrent pas à s’apercevoir qu’elle était d’un usage plus agréable avalée par la bouche qu’employée en brûlot. Ils y prirent goût, mais ils lui gardèrent le nom d’eau le feu en souvenir de leurs premières et terrifiantes expériences. 

* Ce conte est dans le domaine public au Canada, mais il se peut qu'il soit encore soumis aux droits d'auteurs dans certains pays ; l'utilisation que vous en faites est sous votre responsabilité. Dans le doute ? Consultez la fiche des auteurs pour connaître les dates de (naissance-décès).

- FIN -

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