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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 20½ pages (56315 caractères)
Pays ou culture du conte : Canada.

Recueil : Contes populaires

Pierre Souci dit Va-de-Boncœur

Paul Stevens (1830-1881)

...Heu felices nimium, sua si bona norint, Agricolas !
Heureux, trois fois heureux l’habitant s’il connaissait son bonheur !
 VIRGILE

Felix qui procul negotiis... paterna rura bobus exercet suis.
Heureux celui qui, loin du tumulte des villes, laboure le champ paternel avec ses bœufs.

HORACE

Le voyageur qui aurait parcouru, de nuit, au commencement de l’hiver de l’an de grâce mille huit cent cinquante-et-un, le chemin du Roi qui relie Montréal à Québec, aurait pu remarquer, en passant rapidement devant les nombreuses habitations échelonnées le long du fleuve, – depuis Saint-Sulpice jusqu’à Lanoraie, – une grande maison en pierres, dont les nombreuses fenêtres brillamment illuminés, projetaient sur le chemin une clarté inaccoutumée dans nos campagnes, à cette heure avancée de la nuit.

Il y avait en effet grand bal à l’intérieur. Il s’agissait de payer un bouquet, et cette fête, très commune au village, avait réuni une nombreuse société dans la maison aux vitres illuminées, dont l’heureux hôte, M. Jean-Baptiste Souci dit Va-de-Boncœur, propriétaire d’une terre de trois cents arpents, avait de plus l’honneur d’être le père du héros de cette histoire.

Le rez-de-chaussée de cette grande habitation n’était composé que de deux pièces, séparées d’une cloison qui pouvait s’ôter à volonté. Dans celle du fond, des jeunes filles endimanchées, et même de bonnes mamans dansaient gaîment, follement, aux sons monotones d’un tambour de basque et d’un crincrin criard ; tandis que dans la chambre d’entrée, les vieux réunis autour d’un poêle immense, où brûlaient en pétillant de grosses bûches d’érable, écoutaient avec déférence et force exclamations, les récits extraordinaires que leur faisait M. Petit-Jean, revenu depuis peu de Californie.

Ce monsieur Petit-Jean, – qu’on aurait pu très bien appeler Grand-Jean, car il avait six pieds, mesure française, ce qui n’est pas peux dire, – accusait plus de trente ans quoiqu’il n’en eût que vingt-cinq. Porteur d’une physionomie insignifiante et vulgaire, il était parvenu à se la rendre tout à fait ridicule, par une paire de moustaches audacieusement retroussées, dont les pointes effilées comme des aiguilles menaçaient à chaque instant de percer ses grosses narines. Il portait, ce soir-là, une redingote bleue à larges boutons dorés, un gilet rouge sur lequel serpentait une grosse chaîne d’or, un pantalon du plus beau vert, et des bagues à tous les doigts. Les histoires qu’il débitait avec un aplomb imperturbable, tout en mordillant un cigare qui ne quittait pas ses lèvres, avaient jusqu’alors rencontré des auditeurs crédules, mais au moment où nous allons reproduire la fin de cette étonnante allocution, la bonne foi générale commençait à faire place à l’incrédulité la plus opiniâtre.
– Quand je vous dis, Père Goguelu, s’écriait en s’animant de plus en plus M. Petit-Jean, qu’il y a des journées que j’ai fait jusqu’à deux cents piastres ! Ce n’est pas bien rare là-bas, on y gagne plus vite une piastre que par ici une cope ! Il y en a qui ont fait jusqu’à dix mille piastres en six semaines de temps !
– Oh ! bateau, qu’est-ce que c’est ça ! Il y a bien du sorcier là-dedans, répétait en chœur la galerie.
– Pas plus de sorcier qu’ici dedans, continuait M. Petit-Jean, en promenant sur l’auditoire un regard de défi ; faites comme moi, allez-y donc, et vous verrez si tout ce que je vous dis n’est pas la pure vérité. Mais non ; les pauvres habitants aiment mieux rester chez eux, à s’échiner comme des mercenaires ; et ils n’en sont pas plus riches une année que l’autre. Aujourd’hui, ce sont les sauterelles qui viennent manger les clôtures ; demain c’est l’avoine qui manque ; une autre fois les bleds gèlent sur pied ; il y a toujours quelque chose qui va de travers ! Je vous le demande un peu, ne vaut-il pas mieux essayer de devenir riche tout d’un coup en faisant comme nous, plutôt que de travailler toute sa vie une terre sur laquelle on n’aura peut-être pas la chance de mourir. Et puis, dans les États, on ne voit pas de la misère comme par ici. Il y a partout du travail autant qu’on en veut, et le gagne est gros. Ouaiche ! ne me parlez pas de notre pauvre pays pour faire de l’argent ; celui qui n’a rien et qui a une famille est aussi sûr d’y crever de faim, que vous êtes là devant moi, Père Goguelu, à fumer votre pipe. Tenez, il n’y a pas si loin à aller pour en juger. Ce matin, quand j’ai passé par la Petite Misère, j’ai vu des petits enfants courir dans la neige, nu-pieds, et presque sans culotte, plus de trois quarts d’arpent, pour demander la charité. Ma bonne vérité, je crois bien que si les chiens étaient hivernés comme beaucoup de ces pauvres gens ils seraient obligés, au printemps, de s’accôter contre les murailles pour japper.

De tous les auditeurs de M. Petit-Jean, personne n’avait recueilli plus avidement ses paroles que Pierre Souci, le fils de la maison, héros principal de cette singulière odyssée. C’était un jeune homme de taille moyenne, bien pris, d’une physionomie franche et ouverte et dont le menton commençait à se couvrir d’un duvet blond et clairsemé. Sorti du collège depuis un an, après avoir fait de médiocres études, il était arrivé à cet âge important et difficile de la vie où le choix d’une carrière décide de notre avenir. Le père Souci, qui ne savait ni lire ni écrire, et niait énergiquement l’utilité du latin dans l’agriculture, désirait que son fils devînt laboureur comme lui ; mais la mère, qui nourrissait pour son Pierre chéri des projets de grandeur, aurait voulu le voir avocat ou tout au moins notaire public. Malheureusement, l’éducation tronquée qu’avait reçue le jeune homme, lui faisait envisager avec dédain la profession paternelle, non qu’il rougît de son père, il était trop bon fils pour cela, mais il se croyait trop savant, et il avait contracté des habitudes trop oisives pendant ses huit ou dix ans d’études, pour vaquer aux travaux de la campagne, qu’il déclarait abrutissants et insipides, grâce à sa haute science et à son inexpérience de la vie. D’un autre côté, la faiblesse de ses études ne lui permettait guère de songer au barreau. Pierre passait donc son temps à la chasse et à la pêche, tantôt à pied, tantôt en canot, mais toujours un fusil sur l’épaule, ou une ligne à la main. Puis, lorsqu’il rentrait à la maison, fatigué, harassé, crotté, avec une brochetée de barbottes ou quelque gibier, il se mettait à lire et à relire certains journaux, morts aujourd’hui, qui, à cette époque, battaient la grosse caisse en faveur des États-Unis, et ne voulaient ni plus ni moins que nous annexer à la grande République.

On concevra facilement les désirs coupables, la curiosité fatale que devaient faire germer dans l’esprit du jeune homme de semblables lectures.

Bref, les discours de M. Petit-Jean achevèrent l’œuvre commencée par le journal. Ce soir même, Pierre prit une résolution irrévocable, il irait en Californie. Pauvre, pauvre Pierre !...

* * *

Lecteurs, je ne fatiguerai pas votre bienveillante attention par l’ennuyeux récit d’un voyage sur mer. Qu’il me suffise de dire, pour l’intelligence de ce véridique récit, qu’il y eut des alternatives de beau et de mauvais temps, et qu’après une traversée de quatre mois et dix-huit jours, le navire jeta l’ancre dans le port de San Francisco, à la plus grande satisfaction des passagers en général et de notre ami Pierre en particulier, qui, pour inaugurer son entrée dans la capitale de la Californie, s’était paré de ses plus beaux habits.

* * *

À peine avait-il mis le pied sur ce sol sacré de l’or et de la liberté, qu’un inconnu porteur d’une redingote bleue, à boutons de métal et d’un sombrero démesuré, s’approchant d’un air empressé de notre ami Pierre, lui demanda, d’une voix mielleuse et en mauvais français, s’il voulait de l’or américain pour de l’argent.

Plein de confiance dans ce noble étranger, dont la redingote aux boutons brillants, la moustache en croc, et l’air tout à fait gentleman, lui rappelaient trait pour trait M. Petit-Jean que nous avons entendu le soir du bouquet, Pierre fut assez candide pour déposer son sac de voyage sur une des caisses qui encombraient le quai, et entrouvant sa veste et le col de sa chemise, il alla chercher, sur son cœur, le portefeuille qui contenait toute sa fortune. À peine l’homme à la redingote bleue eut-il entrevu les précieuses piastres françaises que madame Souci n’avait certainement pas économisées pour lui, qu’il asséna un vigoureux coup de poing entre les deux yeux de sa victime, arracha plutôt qu’il ne prit le portefeuille, et s’éloigna rapidement. Quoique Pierre eût perdu l’équilibre, il n’avait point cependant perdu connaissance. Le premier moment de stupeur, bien excusable, une fois passé, il ne songea qu’à se frotter vivement les yeux et à rattraper son voleur. Plongeant un regard anxieux et désespéré dans les profondeurs de la rue, il aperçut, dans un lointain brumeux, la redingote bleue aux boutons de métal se promenant au petit pas comme le plus honnête flâneur des deux mondes.

Pierre aurait devancé un orignal à la course ; aussi rejoignit-il son homme en un clin d’œil, et le saisissant à la gorge, il lui cria d’une voix emportée en serrant le nœud de la cravate : « Mon argent, misérable ! mon argent tout de suite, ou je t’étrangle !... » Mais le filou ne se souciait guère plus de rendre l’argent que de se laisser étrangler. Saisissant Pierre à bras le corps, il lui avait donné un violent croc en jambe et tous deux roulèrent à terre, la redingote bleue par-dessous et Pierre par-dessus, ne lâchant pas prise, et criant de toutes ses forces : « Mon argent ! mon argent ! »

À la vue de cette lutte quelques curieux avides de ces sortes de spectacles gratis, et appartenant à la lie de la société, étaient accourus faire cercle autour de ces deux hommes, et loin de les séparer, les excitaient au contraire, par des paroles grossières, et d’odieuses plaisanteries, à se faire le plus de mal possible. Cependant l’Américain râlait, une écume blanchâtre suintait de ses lèvres contractées. De temps à autre, par un effort violent et désespéré, il cherchait à mordre cette main de fer qui lui étreignait le gosier, mais sa tête soulevée un instant, retombait lourdement sur le sol, et de sa bouche entrouverte sortait en sifflant une respiration pénible et saccadée.

Pierre triomphait ; déjà même il se disposait à lâcher son misérable adversaire, car il ne tenait nullement à l’étrangler tout à fait, mais il voulait bon gré mal gré ravoir son portefeuille, lorsque l’ignoble cercle s’entrouvrit tout-à-coup et livra passage à deux messieurs décorés d’une étoile aux armes de la grande République et porteurs, chacun, d’un bâton noir, court et gros, aussi dur que pesant, marques distinctives de leurs fonctions. Bientôt Pierre se sentit saisi vigoureusement au collet par un de ces messieurs, tandis que l’autre lui faisant lâcher prise d’un coup de bâton qui faillit lui casser le bras, soulevait avec précaution l’homme à la redingote bleue et le remettait délicatement sur pieds.

Si Pierre eût connu l’anglais, c’était le moment de donner des explications qui auraient amené infailliblement la découverte de son précieux portefeuille ; malheureusement il ne parlait cette langue que très imparfaitement et son accent surtout était des plus déplorables ; aussi tout ce qu’il crut dire de plus touchant, de plus pitoyable, fut-il accueilli avec un sourire de pitié méprisante par ces deux honorables représentants de la force publique. Le souvenir de son sac de voyage contenant toute sa garde-robe lui revint à l’esprit, et il se mit à supplier, de plus belle, ses gardiens de vouloir bien l’accompagner jusqu’au quai ; mais ceux-ci qui ne comprenaient guère plus ses gestes que ses paroles, se contentèrent de lui prendre brutalement le bras, chacun de son côté, et le traînèrent jusqu’au poste, en compagnie du gentleman à la redingote bleue et au sombrero démesuré.

Après l’interrogatoire et les formalités d’usage, Pierre fut confié aux bons soins d’un monsieur en manches de chemise, portant suspendu au bras droit un énorme trousseau de clefs. Ce dernier s’empressa de faire passer son protégé par un corridor sombre et nu, le long duquel, d’espace en espace et de chaque côté d’une muraille épaisse, l’on voyait une porte rentrante, garnie d’un judas et d’énormes verrous. Arrivé à l’extrémité du couloir, le porte-clefs s’arrêta et fit passer Pierre devant lui, ouvrit la dernière porte de droite, et, le poussant par les deux épaules dans l’intérieur, lui referma bruyamment les portes au nez.

* * *

Resté seul entre les quatre murailles de ce cachot, Pierre promena un regard douloureux autour de lui et embrassa, d’un coup d’œil, tout l’ensemble jusqu’aux moindres détails de cet étrange logement auquel il était loin de s’attendre ce matin, alors que, d’un pied léger et le cœur joyeux, il foulait pour la première fois le sol de cette Californie, – triste objet de ses fiévreuses insomnies, de ses rêves les plus extravagants et les plus dorés, depuis tant de nuits !

Un lit de camp étroit, composé de trois planches épaisses, présentant une surface légèrement inclinée vers le bas, et d’un madrier posé en travers, vers le haut, pour servir d’oreiller, occupait à peu près la moitié de cette étroite cellule. Dans le coin faisant face au lit, un tuyau de plomb, sortant un peu du mur, laissait couler avec un bruit monotone et continu un filet d’eau mince et rapide, qui allait se perdre dans une espèce de bassin de pierre en forme d’entonnoir faisant saillie. Entre le bassin et le tuyau de plomb était appendu à la muraille, par une chaînette longue de deux pieds environ, un gobelet d’étain bosselé, sordide, rouillé, servant de verre aux prisonniers.

Une clarté douteuse et blafarde pénétrait dans ce réduit par une espèce de fenêtre plus large que haute, entourée d’épais barreaux de fer.

Par un mouvement machinal et purement instinctif, le premier soin de Pierre fut d’essayer d’ébranler la porte ; mais elle était lourde et massive. Elle ne bougea pas plus que la muraille.

Il colla alors son œil au judas, et jeta un regard inquiet et curieux au-dehors, mais il ne vit devant lui qu’une autre porte exactement semblable à la sienne.

Peu satisfait de ses découvertes, il songea à regarder par la fenêtre : malheureusement elle se trouvait à une dizaine de pieds du sol, et il n’avait rien sous la main qui pût l’aider à y monter.

Alors il s’assit tristement sur le rebord du lit de camp, et, le visage caché entre les mains, les coudes appuyés sur les genoux, il demeura là, immobile, pensif.

Quand il releva la tête, un rayon de soleil, cet ami de tout le monde, se jouait sur le mur grisâtre, et y dessinait, en longues barres de fer, les trois barreaux de fer qui garnissaient la fenêtre. Pierre se rappela alors qu’il n’avait pas dîné, et comme sa fenêtre regardait le couchant, il en conclut naturellement que ce rayon de soleil indiquait l’heure du souper et qu’on ne tarderait pas à apporter le sien. Dans cette douce espérance, il se mit à arpenter en long et en large son misérable réduit, accueillant avec une joie farouche et répétant à haute voix toutes les réminiscences classiques plus ou moins conformes à sa position :

Aequum memento rebus in arduis
Servare mentem
Justum ettenacempropositivirum, etc.

Notre malheureux ami déclamait au moins pour la dixième fois cette magnifique tirade du bon Horace, lorsqu’en jetant les yeux sur le mur, il s’aperçut avec un effroi légitime que les barres de fer diminuaient peu à peu, ce qui signifiait, à l’évidence, que le soleil allait se coucher et que l’heure du souper se passait. Alors Pierre, qui avait faim, se colla le dos contre la porte, l’oreille contre le judas, et se mit à heurter de toutes ses forces, tantôt du pied gauche, tantôt du pied droit, mais personne ne répondit à ses appels désespérés.

Cependant la nuit se faisait insensiblement. Pierre se résigna à ne pas souper, et, surmontant ses répugnances, il prit d’une main frémissante le gobelet d’étain, le rinça avec indignation, et but, coup sur coup, trois énormes verres d’eau, de cet air stoïque que devait avoir Alexandre Le Grand lorsqu’il avala d’un trait la potion préparée par son médecin Philippe ; après quoi, Pierre monta sur le lit de camp, défit le nœud de sa cravate, ôta son habit qu’il plia soigneusement en forme d’oreiller, et s’étendit de tout son long sur les planches, où il ne tarda pas à dormir d’un profond sommeil.

Dors en paix, Pierre ! dors en paix, pauvre ami, et puissent des songes riants faire diversion à tes peines !

* * *

Pierre dormait profondément, lorsqu’il fut réveillé en sursaut par des cris qui n’avaient rien d’humain. On allait et on venait dans le corridor où retentissait sourdement le bruit d’une lutte désespérée entremêlée d’horribles blasphèmes.

Pierre se leva aussitôt comme poussé par un ressort et courut à la porte de son cachot, mais il n’entendit plus rien que le cliquetis sonore des clefs du geôlier et le grincement sinistre des verrous.

Cependant le jour allait poindre. Les étoiles s’éteignaient au ciel, et l’oreille exercée de Pierre percevait le chant lointain du coq matinal.

Bientôt il entendit le bruit d’une cloche sonnant l’Angelus. Cette voix amie qui lui rappelait la patrie, absente et ses plus chères affections, le jeta dans un trouble inexprimable. Son imagination vivement frappée, fit passer devant ses yeux les lieux chéris où s’était écoulée son heureuse enfance, et le pauvre prisonnier faisant une triste comparaison entre les jours passés et le jour présent, se prit à pleurer. Mais bientôt se reprochant cette faiblesse, Pierre essuya ses yeux rougis. Il se jeta à deux genoux sur la pierre humide de sa cellule solitaire et pria longtemps.

* * *

Pierre était encore en prières, lorsque la porte de son cachot s’ouvrit et le geôlier entra.

En voyant à genoux notre malheureux ami qu’il confondait avec ses pensionnaires de tous les jours, ou plutôt de chaque nuit, il éclata d’un rire ignoble et lui dit, tout en jetant sur le lit de camp la moitié d’un pain :

– Ah ça ! mon gentilhomme, il paraît que vous faites le difficile et que les lits de plume de l’établissement sont contraires à votre chère santé, puisque vous vous levez de si bonne heure ?

Soit que Pierre eût compris, soit qu’il ne voulut pas comprendre, il se contenta de jeter un regard de mépris sur ce stupide insulteur.

– Dites donc, mon petit monsieur, continua le porte-clefs en gagnant la porte, tenez-vous prêt pour neuf heures. Son honneur le Juge aura l’honneur de vous présenter ses respects, et probablement de renouveler connaissance avec vous.

* * *

Aussitôt que le geôlier eut refermé la porte, Pierre qui avait parfaitement compris sa dernière phrase, s’imagina candidement que l’heure de sa liberté allait sonner. Aussi mangea-t-il de grand cœur l’humble pitance qui lui avait été jetée comme à un chien, et, après avoir avalé le dernier croûton, il eut la douce satisfaction de se déclarer à lui-même, tant il avait eu faim ! que le pain de Californie était bien cuit, très nutritif, et d’un goût excellent.

Et maintenant buvons un coup d’eau claire, s’écria-t-il. Mais, en examinant minutieusement le gobelet d’étain, Pierre eut honte de son intempérance de la veille. Il le rejeta avec dégoût et se servit de ses mains en guise de verre, se rappelant, grâce à ses souvenirs classiques, que Diogène avait jeté au loin une écuelle de bois, le seul ustensile meublant qu’il possédât, parce qu’il avait vu un jour un enfant buvant dans le creux de sa main, et qu’il croyait indigne d’un sage, et surtout d’un philosophe cynique, de recevoir des leçons d’économie domestique d’un simple galopin.

* * *

Neuf heures sonnaient quand le geôlier vint ouvrir la porte. Pierre qui avait passé le temps, pour tromper son impatience, à improviser vingt discours pathétiques et persuasifs qu’il croyait susceptibles d’attendrir le juge le plus rébarbatif et de confondre l’homme à la redingote bleue, ne se fit pas prier pour sortir, et suivit son introducteur dans la pièce où il avait comparu la veille. Elle était remplie, en ce moment, d’agents de police, et d’une dizaine d’individus à figure sinistre ou avinée, porteurs d’habits fripés ou en loques. L’un d’eux surtout était repoussant. Il n’avait plus, pour tout vêtement, qu’un pantalon maculé de boue, dont les jambes se prenaient dans des bottes éculées et qu’une seule bretelle passée en travers sur sa poitrine empêchait de tomber à terre. Un feutre multicolore défoncé, bosselé, déchiré, couvrait en partie sa figure hideuse, empourprée de tâches d’un sang noirâtre dont les caillots s’étaient arrêtés dans sa barbe épaisse, inculte et rousse.

Évidemment on n’attendait plus que Pierre. À peine fût-il entré que les argousins placèrent leurs prisonniers deux par deux, bousculant celui-ci, frappant celui-là ; et le cortège se mit en marche, l’homme à la redingote bleue, en tête, causant familièrement avec le chef d’escouade et Pierre formant la queue avec l’ignoble individu presque sans chemise. Il traversa ainsi une partie de la ville, n’osant jeter les yeux sur son étrange compagnon dont la démarche mal assurée et chancelante trahissait l’affreuse habitude. De temps à autre, quand le misérable décrivait un zigzag trop prononcé, le bâton d’un argousin le repoussait brutalement dans les rangs, et Pierre entendait alors, avec horreur et dégoût, son voisin titubant, murmurer d’odieux blasphèmes en grinçant des dents. Enfin, on arriva au Palais de Justice. La salle d’audience était pleine de cette foule oisive et déguenillée, suant le vice et le brandy, auditoire ordinaire de ces représentations quotidiennes.

Quand ce fut au tour de Pierre de comparaître devant le Juge, il raconta d’une voix émue qui dissimulait mal sa douloureuse indignation, sa triste mésaventure de la veille. Malheureusement, ses gestes véhéments, et les déplorables barbarismes dont il émaillait sa narration anglaise, ne firent qu’exciter la stupéfaction de Son Honneur, et le fou rire de l’ignoble galerie. L’homme à la redingote bleue expliqua à son tour, au milieu d’un profond silence, qu’il était innocent comme l’enfant qui vient de naître, et que si quelqu’un avait le droit de se plaindre, c’était bien lui, victime d’une attaque injustifiable et non provoquée. Après quelques pourparlers entre les deux argousins qui avaient opéré l’arrestation et Son Honneur le Juge, ce dernier demanda à Pierre s’il avait des témoins, et les moyens de fournir caution. Pierre répondit douloureusement que non. Dans ce cas, continua le Juge, il faut attendre en prison que l’affaire s’instruise ; et la séance fut levée.

* * *

Ainsi donc, sans s’être rendu coupable d’aucun autre crime que celui d’avoir voulu reprendre par la force ce qu’un audacieux coquin lui avait enlevé avec violence et en plein soleil, Pierre s’était entendu condamner, – faute de déposer un cautionnement qui répondît de sa présence en Cour, au prochain terme, – à être enfermé, pendant longtemps peut-être, dans une prison, avec les plus vils criminels ; tandis que le misérable qui l’avait dépouillé pourrait continuer à exercer son industrie en plein jour, grâce à l’intercession officieuse de deux malfaiteurs de son espèce qui répondaient de lui. C’était donc pour que la justice eût son cours et que la loi fût accomplie, que Pierre se trouvait emprisonné ; lui honnête et candide étranger, débarqué de la veille, lui pauvre et innocente dupe d’une folle imagination, à qui la liberté devait être d’autant plus nécessaire, plus précieuse qu’il ne possédait guère plus rien autre chose au monde ! Qu’il était loin de se douter, ce pauvre Pierre, que de pareilles monstruosités se commettent tous les jours chez ce peuple si libre, si éclairé, si humain, qui étourdit le monde de ses clameurs sympathiques pour tous les opprimés et fait crever à la peine ou mourir sous le fouet des millions de créatures humaines !

Plusieurs semaines s’étaient déjà écoulées depuis l’incarcération du pauvre Pierre, et le malheureux jeune homme, en proie à un sombre désespoir, dépérissait lentement, lorsqu’un des gardiens de la prison vint lui ordonner, un matin, de le suivre chez le Directeur.

– Vous êtes libre, M. Souci, lui dit ce fonctionnaire ; la personne que vous accusiez de vous avoir dérobé un portefeuille a été tuée, il y a quelques jours dans une bagarre nocturne. Je regrette, dans votre intérêt et surtout en votre qualité d’étranger nouvellement arrivé en cette ville, que vous perdiez ainsi toute chance de recouvrer ces valeurs ; mais je me permettrai de vous donner un conseil, c’est d’être plus prudent à l’avenir, car il y a malheureusement par ici plus de fripons que d’honnêtes gens. Voici votre montre, votre bague, un couteau, et une somme de deux dollars et six cents qui avaient été déposés à votre entrée, dans l’établissement. Auriez-vous quelqu’autre chose à réclamer ?

Pierre, pour toute réponse, se confondit en salutations et sortit du bureau à reculons. 

* * * 

Une fois hors de prison, Pierre se trouva dans la rue, sans but certain, sans amis, presque sans le sou. Il se mit à marcher au hasard, ne sachant où il allait, guidé par le caprice des rues et de sa bonne étoile. Il y avait déjà plus d’une heure qu’il errait ainsi à l’aventure, respirant l’air pur à pleins poumons, lorsqu’en longeant les quais, il aperçut, de l’autre côté de la rue, une enseigne qui le fit arrêter et concentra toute son attention : on lisait au-dessus de la porte d’une maison en bois de modeste apparence et que Pierre regardait, du haut en bas et de bas en haut, avec autant d’attention que si c’eût été un chef d’œuvre d’architecture : 

Au rendez-vous des Canadiens,
John Durand, Boarding House,
Repas à toute heure.

– Eh bien, dit-il, nous dînerons ici, et traversant la rue, il entra.

Il vit alors une pièce assez vaste, plus longue que large, garnie de tables inoccupées pour la plupart, qu’un nègre, d’une stature athlétique, et du plus beau noir, était occupé à couvrir de nappes d’une propreté équivoque.

Le plafond, bas et enfumé, était supporté par des étançons de bois en forme de colonnettes, et allait en se rétrécissant vers le comptoir où un bec de gaz, à moitié ouvert, dans le double but d’éclairer la « bar » et d’allumer les pipes, jetait une lueur blafarde sur les figures d’une demi-douzaine d’individus en train de boire et causant bruyamment.

L’odeur méphitique du gaz, l’air parfumé s’exhalant de la cuisine et des pipes, les éclats de voix des consommateurs dont l’accent nasillard et traînant accusait l’ivresse, firent presque regretter à Pierre de s’être aventuré dans cette taverne. Il n’en alla pas moins cependant prendre place à la table la plus éloignée, et demanda à dîner.

Pierre eut bientôt terminé son repas, car il n’avait voulu accepter qu’un modeste plat de mouton bouilli, coté un chelin sur la carte, quoique le nègre lui eût indiqué avec une volubilité étonnante, une dizaine de mets plus ou moins étranges ; et il se disposait à payer son écot et à sortir au plus vite quand la bonne et franche figure de l’hôtelier fit irruption dans la salle.

La vue de cet homme lui fit du bien. Un pressentiment secret dont il ne pouvait se rendre compte lui disait : « Tu trouveras dans ce compatriote un ami et un guide sûr, va à lui et interroge son expérience. »

Pierre alla donc à l’hôtelier et lui demanda s’il y avait loin pour aller aux mines.

Ce dernier reconnaissant tout de suite qu’il avait affaire à un Canadien fraîchement débarqué, au lieu de répondre, se mit au contraire à questionner. Peu à peu la conversation devint plus générale, et Pierre l’ayant enfin ramenée à son point de départ :

– Des mines, il y en a partout, mon cher monsieur Souci, mais les bonnes mines commencent à se faire rares.

Pierre, s’apercevant qu’il avait devant lui un honnête homme, et cédant à ce besoin d’expansion qu’éprouvent tous les malheureux, se mit alors à raconter à son hôte, sans omettre le moindre détail, toutes ses mésaventures depuis son arrivée en Californie.

– Ah ! les canailles, exclama le père Durand. Tenez, monsieur Souci, je vous le dis en toute vérité, car je les connais bien, depuis six ans que je suis sur ce bord-ci, les trois quarts des yankees ne valent pas les quatre fers d’un chien. Mais à propos, qu’allez-vous faire maintenant ? Vous n’irez pas loin avec deux piastres, et d’ailleurs, il ne faut pas songer aux mines pour le moment. Voilà la saison des pluies qui approche, et les travaux vont être suspendu. Vous m’avez l’air bon enfant ; vous resterez ici avec nous, si vous le voulez, jusqu’à ce que les travaux reprennent. D’ici à ce temps-là, vous apprendrez à connaître votre monde. Il vient ici toutes sortes de gens. Vous m’aiderez comme vous pourrez, et je vous apprendrai la cuisine, ce qui ne vous sera pas inutile plus tard, car dans ce pays-ci, voyez-vous, il est bon de savoir un peu tout faire et faire de tout.

Pierre accepta avec reconnaissance l’offre de M. John Durand, et le soir même, il écrivit à ses parents qu’il était arrivé, sain et sauf, à San Francisco, après une traversée de cinq mois et demi, qu’il se portait très bien, et que des circonstances indépendantes de sa volonté, l’avaient empêché de donner plus tôt de ses nouvelles. Il leur faisait part en même temps de ses espérances de fortune, disant qu’il allait bientôt partir pour les mines, et avait omis soigneusement tout ce qui aurait pu laisser percer les moindres craintes pour l’avenir. Pourquoi, se disait-il, en tâchant d’excuser cet innocent mensonge, affliger mes bons parents, et les rendre malheureux par des pressentiments sinistres ? Si le bon Dieu permet que je réussisse, les espérances que je laisse entrevoir d’avance se seront réalisées ; mais si j’allais leur raconter ma pénible position, les bonnes nouvelles que j’aurais à leur envoyer plus tard, arriveraient beaucoup trop lentement pour sécher les pleurs qu’auraient fait couler leurs inquiétudes sur mon sort. 

* * * 

Après un séjour de trois mois chez le père Durand, Pierre partit pour les mines. Une fois sur les lieux, notre ami qui n’avait aucune expérience du métier, crut faire une excellente spéculation en se mettant à piocher aux risques et périls de deux Américains qui l’engagèrent pour toute la saison à raison de quatre piastres par journée de travail.

Voyez-vous, d’ici, chers lecteurs, notre pauvre Pierre, grattant, creusant, minant, suant à grosses gouttes, tantôt dans l’eau, tantôt dans la boue jusqu’aux genoux, avec un soleil de feu au-dessus de la tête ; et pour compagnons quelques misérables nègres et quelques irlandais suant et gémissant comme lui, tandis que nos deux Yankees, nonchalamment étendus sur des peaux de buffle et fumant comme des tuyaux de cheminée à l’ombre de leur tente, surveillaient ces forçats en gourmandant leur paresse ?

Au bout de huit semaines, Pierre, qui en avait assez de ce chien de travail, et surtout fatigué des mauvais traitements de ses deux tyrans, leur réclama son dû ; ceux-ci, après quelques difficultés, le payèrent en billets de banque crasseux.

Pierre se dirigea alors plus loin. Après deux journées de marche, il arriva à un certain endroit où une dizaine de mineurs lui parurent travailler gaiement et avec ardeur. S’imaginant qu’il n’avait qu’à se présenter pour être reçu à bras ouverts, Pierre alla résolument aux travailleurs ; mais quelle ne fut pas sa stupéfaction lorsqu’aux premières paroles qu’il prononça, en hasardant un joyeux bonjour, il reçut pour toute réponse, d’un individu qui paraissait le chef de la bande, cette apostrophe brutale qu’il ne se fit pas répéter :

– Au large, chien d’Allemand, et vite... ou nous te secouerons la carcasse de telle manière que tu t’en souviendras encore au jour de tes noces.

Allons, pensa tristement Pierre, les Yankees ne sont guère plus hospitaliers que polis. Le père Durand a mille fois raison et je commence à croire que ses sentiments, à leur égard, ne sont pas exagérés.

Vers le soir, notre chercheur d’or, accablé de fatigue et les pieds meurtris, aperçut à une assez grande distance, les fumées d’un campement nombreux. Il aurait, en ce moment, donné de grand cœur la moitié de sa petite fortune, pour se voir transporté tout-à-coup à côté d’un de ces feux lointains, où devaient se trouver sans doute quelques compatriotes, car l’expérience lui avait déjà appris que les distances sont trompeuses au désert, et dans l’état de prostration où il se voyait, il calculait, avec un effroi voisin du désespoir, la longueur de chemin qui le séparait encore de cette autre terre promise.

Heureusement pour Pierre, il côtoyait alors un ruisseau qui devait être rivière dans la saison des pluies.

Il s’assit péniblement sur le bord, et après avoir ôté ses chaussures poudreuses et retroussé ses pantalons jusqu’au-dessus du genou, il trempa ses pieds endoloris dans l’eau fraîche. Ce bain ranima quelque peu ses forces, et Pierre se remit en route, l’œil fixé sur ces fumées bleuâtres, s’élevant comme autant de panaches vers le ciel étoilé. Quelquefois un hurlement sinistre, forcené, réveillant les échos, venait frapper l’oreille tendre du voyageur, et lui faisait presser le pas, malgré sa lassitude.

Enfin, il arriva en face du camp. Les aboiements de plusieurs chiens signalèrent sa venue. Pierre n’en continua pas moins sa marche, mais bientôt une traînée de feu partant du haut d’une charrette renversée, illumina la figure d’un mineur faisant le guet, et un effroyable coup de fusil retentit au loin. Pierre entendit deux ou trois balles passer en sifflant autour de ses oreilles, et soit excès de frayeur, soit excès de fatigue, tomba par terre ne bougeant pas plus qu’un mort.

Cependant on était venu à lui. Pierre se laissa emporter comme une masse inerte, les jambes et les bras pendants, et se sentit déposer doucement près d’un bon feu. Lorsqu’il se réveilla le matin, il se vit entouré de plusieurs individus, au visage bruni par le soleil, se livrant aux suppositions les plus contradictoires sur son compte, dans un langage aimé qui caressa ses oreilles mieux que la plus douce musique.

Il se trouvait enfin au milieu de ses compatriotes : aussi oublia-t-il bien vite ses fatigues et ses déboires, et dès le lendemain il recommença à miner avec une énergie d’autant plus grande qu’il travaillait pour son propre compte. Chaque jour lui rapportait quelque chose, et il voyait avec un orgueil légitime, s’enfler, petit à petit, le sac de peau contenant sa poudre d’or.

Une fois même que les souvenirs classiques assaillaient sa mémoire avec plus d’opiniâtreté que de coutume, il avait poussé la témérité jusqu’à s’appliquer, tout en le récitant avec emphase, ce vers de Virgile : 

Audaces fortuna juvat, timidosque repellit.

Mais, hélas ! le pauvre Pierre comptait sans la maladie et surtout sans les médecins de Californie et la friponnerie de ses premiers maîtres.

Un beau matin, ou plutôt un triste matin, il ne put aller aux mines. La fièvre le retenait au camp, cloué sur une misérable robe de buffle appartenant à un de ses compagnons. Une soif ardente le dévorait, et, quoiqu’il pût faire pour l’étancher, le feu qui circulait dans ses veines, desséchait sa gorge enflammée. Pour comble de malheur, le pauvre malade tomba entre les mains d’un Sangrado Yankee dont tout le bagage médical se composait d’une trousse et de quelques onces de calomel et de quinine.

Grâce à l’excellente constitution de son sujet, le disciple d’Hippocrate le remit bien sur pied, à la vérité, après un traitement d’une quinzaine de jours ; mais il ne lui laissa pas un grain de sa poudre d’or, et poussa même la barbarie jusqu’à lui ôter toute envie d’en chercher de sitôt.

– Si vous retournez aux mines, avait-il dit en recevant le contenu du petit sac de Pierre, vous courez dix chances contre une que la fièvre vous reprendra, et les rechutes sont presque toujours mortelles.

Que faire ?... Pierre était jeune et tenait à la vie ; et puis il lui restait encore les cent quatre-vingt-douze piastres en billets de banque qu’il avait reçus en paiement de ses premiers maîtres ; profitant donc du passage d’une caravane qui s’en retournait à San Francisco à petites journées, il quitta les mines, jurant, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. 

* * * 

De retour à la ville, Pierre, voulant avoir de l’or, présenta ses billets de banque à un courtier. Celui-ci, après les avoir examinés, déclara à notre ami consterné qu’il y avait un escompte de 95 par cent sur chacun d’eux, et lui demanda de qui il les tenait.

– De deux misérables Yankees, répondit sourdement Pierre, qui m’avaient engagé aux mines moyennant quatre piastres par jour.
– Comment, imbécile, grommela le courtier dont l’oreille avait été désagréablement chatouillée par ce qualificatif de misérable, comment ; vous allez gratter du bon or pour vos maîtres, et vous acceptez en paiement du méchant papier qui, avant quinze jours, ne sera plus même bon à allumer votre pipe ? Voyons, voulez-vous que je vous le change ? vous avez ici cent quatre-vingt-douze piastres ; déduction faite de l’escompte, il vous reviendra neuf dollars et soixante cents. Eh bien ?...
– Donnez, dit Pierre, et il sortit tristement en prenant la direction du Rendez-vous des Canadiens. 

* * *

– Comment c’est vous, monsieur Souci ? déjà de retour ! s’écria le père Durand, du pas de sa porte, en voyant Pierre venir à lui. Il faut que vous rapportiez beaucoup, ou rien du tout, pour avoir quitté les mines si tôt ! Allons, entrez me conter ça, et montrez-moi votre magot. Avec moi il n’y a pas danger d’être pillé, vous le savez bien.

Pierre avait achevé de raconter les résultats de sa campagne et paraissait profondément abattu.

– Allons, allons, du courage, mon cher ami, lui dit le père Durand, en le frappant familièrement sur l’épaule, je vous le disais bien, les trois quarts des Yankees ne valent pas les quatre fers d’un chien, et vous êtes trop honnête garçon pour vivre parmi eux. Si j’avais un conseil à vous donner, je vous engagerais à profiter d’une excellente occasion que j’ai de vous placer cette semaine. Le capitaine d’un vaisseau, en partance pour la Nouvelle-Orléans, m’a chargé de recruter son équipage, et si vous voulez utiliser vos talents culinaires, je puis vous embarquer comme maître d’hôtel et vous gagnerez vingt piastres par mois. Mettons que la traversée dure trois mois, cela vous fera soixante piastres, avec lesquelles vous pouvez attendre quelque bonne place, ou bien continuer votre route en Canada. Je vous conseillerais cependant de courir votre chance à la Nouvelle-Orléans. Vous êtes bien instruit, et vous avez bonne mine. Qui sait si vous ne trouveriez pas là-bas dans le commerce, ce que vous avez vainement cherché par ici ?

Il va sans dire que Pierre accepta l’offre de l’excellent père Durand, et, le soir même, il prenait la haute direction des batteries de cuisine du Flying fish, trois-mâts américain, ayant sous ses ordres un nègre du plus beau noir, et un représentant du Céleste-Empire du plus beau jaune-cuivre. 

* * * 

À son arrivée dans la capitale de la Louisiane, Pierre se mit aussitôt à la recherche d’un logement et n’eut pas de peine à trouver une pension modeste dans un des quartiers les plus populeux de la ville. Puis il se mit à parcourir la quatrième page des journaux et écrivit différentes lettres relatives aux annonces qu’il y trouva. « Il faudra décidément que j’aie bien du malheur, se disait-il en cachetant ses lettres, si, parmi tous ces annonceurs je ne puis me faire agréer d’un seul. Les emplois, il est vrai, ne sont pas clairement spécifiés, mais il me semble que je pourrai toujours, d’une manière ou de l’autre, me rendre utile, et remplir ainsi, à la lettre, cette formule banale qui termine presque toutes les annonces que j’ai recueillies. »

Cependant les jours se passaient, et toutes ses lettres demeuraient sans réponse. Pierre qui n’avait aucune occupation pour tromper ses ennuis tomba peu à peu dans un morne découragement. Il ne sortait plus, et passait des journées entières, se promenant de long en large dans la misérable solitude de sa chambre, à récapituler ses revers et à interroger tristement l’avenir.

Un matin qu’il avait passé une nuit plus agitée que les autres, Pierre s’habilla à la hâte et sortit en prenant la direction de la levée, bien résolu à ne pas rentrer sans avoir trouvé une occupation quelconque.

« Il est impossible, disait-il en se livrant à un monologue animé, que dans une grande ville comme celle-ci, un homme qui veut travailler ne trouve point d’ouvrage. J’irai charger ou décharger des bâtiments, s’il le faut, aider les maçons, gâcher du mortier, n’importe, pourvu que je puisse secouer cette oisiveté qui me tue. Mais triple bête que je suis ! si au lieu d’avoir écrit aux personnes, j’étais allé les trouver, je serais peut-être placé depuis longtemps : Mahomet n’était pas un sot quand il disait à ses soldats : « Mes amis, la montagne ne veut pas venir à nous, eh bien ! allons-nous-en à la montagne. » Allons c’est dit, je veux faire comme Mahomet. »

Et Pierre se précipita dans un café où il parcourut d’un œil avide le premier journal qui lui tomba sous la main.

Victoire ! Euréka !... enfin... murmura bientôt cet autre Paturot à la recherche d’une position sociale, et il se mit à transcrire au crayon l’adresse ci-dessous, d’une main tremblante, – car la joie fait trembler quelquefois : – Le Docteur Killmany a besoin immédiatement d’un jeune homme capable d’avoir soin de son bureau, et de tenir au courant son livre de visites.

Pierre relut avec soin, en comparant l’adresse avec le texte par crainte d’erreur, sortit du café après avoir salué profondément le garçon qui le regardait d’un air ébahi, et regagna sa chambre en courant. Après s’être habillé de son mieux, Pierre descendit les escaliers quatre à quatre, et se dirigea en toute hâte, vers la résidence du Dr. Killmany. 

* * * 

C’était un étonnant et singulier personnage que monsieur le Docteur Killmany, chez qui notre ami Pierre se trouva installé le jour même qu’il lui présenta ses services. Au physique, on n’aurait pu rien trouver de plus laid ; figurez-vous, un homme taillé en poteau de télégraphe, possesseur d’un nez abominable dont les ailes longues et étroitement collées ne lui permettaient l’usage de la parole qu’en nasillant comme un canard ; supposons maintenant à cet homme déjà si heureusement doté par la nature, la poitrine aiguë, étroite, taillée en lame de rasoir, d’un coq-d’inde qui a passé un mauvais hiver, et pour achever ce portrait peu flatteur, ajoutons encore une paire de bras et une paire de jambes d’une longueur invraisemblable, terminés par des mains de squelette et une paire de pieds en forme de battoirs. Tel était monsieur le docteur Killmany, médecin-dentiste, domicilié et pratiquant à la Nouvelle-Orléans depuis près de dix mois, lorsque Pierre entra à son service. Hâtons-nous d’ajouter que le docteur rachetait un peu les disgrâces de sa personne par l’élégance sévère de sa tenue, et la gravité de son geste.

Cet homme, avant de se faufiler dans le docte corps qui a droit de saigner, de purger, voire même de tuer au nom de la science et de l’humanité, avait déjà fait trente-six métiers. Nul mieux qui lui ne comprenait cet art, toujours difficile, de poser en public et de le tromper. En un mot, c’était un véritable Yankee, passé maître en fait de hâbleries, qui en aurait remontré à Robert Macaire. Tour à tour maquignon, vendeur d’esclaves, entrepreneur de cirques, banquier, artiste en daguerréotypes, marchand de bibles, monsieur Killmany aujourd’hui, et demain monsieur Sharpfellow, tantôt dans une place, tantôt dans une autre, cet honorable personnage roulait gros train, et levait toujours le pied au moment où la Justice se disposait à jetez un œil indiscret sur ses faits et gestes.

Il occupait, pour le moment, un logement splendide, dans le quartier le plus fashionable de la Nouvelle-Orléans. Son office richement meublé était garni de fauteuils rembourrés en caoutchouc, dans lesquels les visiteurs s’enfonçaient malgré eux.

Sur une vaste table d’acajou se trouvaient rangés avec symétrie une foule de paquets et de fioles élégantes à étiquettes dorées, revêtues de la griffe du docteur. On y voyait aussi, mais en plus petit nombre, des boîtes de pilules d’Holloway, excellentes pour le rhume, les affections de cœur et des pieds ; le Kathairon de Lyons, capable de faire pousser une chevelure abondante sur la tête d’un rocher, et ce fameux onguent mexicain qui possède la rare vertu de guérir les chevaux et les enfants en bas âge.

Pierre avait, pour toutes fonctions, à se tenir dans l’antichambre meublée avec autant de luxe que l’office de son patron, afin d’inscrire les noms et résidences des visiteurs et de leur tenir compagnie en attendant qu’il les introduisît dans le sanctum, si son maître était occupé.

Il va sans dire qu’il entrait aussi dans ses attributions de faire les commissions. Grâce à ses réclames pompeuses, à ses innombrables affiches et surtout au luxe de son établissement, il pleuvait des malades chez M. le docteur Killmany, et, chose étrange et incompréhensible, dans les premiers temps, pour notre ami Pierre, il les voyait traités tous de la même manière.

Un jour, il avait introduit un petit vieillard d’un embonpoint exorbitant, qui s’était nommé en entrant, monsieur Greenhorn. Dès que le petit homme se fut enfoncé dans un des fauteuils, le docteur prenant son air le plus grave, lui demanda de quoi il se plaignait en lui tâtant le pouls.

– D’une hydropisie, cher docteur, qui me fait souffrir depuis plusieurs mois.
– Le cas est gave ! bien grave !
– Hélas ! oui, bon monsieur, j’ai été abandonné des autres docteurs.
– Ils ne vous auraient plus laissé quinze jours en vie, continua maître Killmany, en accentuant chaque syllabe.
– Hoh ! aie ! aie ! que dites-vous-là, cher docteur ! pouvez-vous faire encore quelque chose pour moi ? beuglait le patient d’une voix à faire pleurer un tigre.
– Montrez votre langue, répondait impassiblement le docteur. Bon, vous avez bien fait, cher monsieur Greenhorn, d’être venu me trouver aujourd’hui, car dans huit jours je n’aurais plus répondu de vous. Vous allez suivre de point en point le régime que je vais vous prescrire.

Maître Killmany prenant alors sur la table une fiole et un de ses paquets, les remettait au patient qui les recevait avec les marques du plus profond respect.

– Vous prendrez tous les jours six bouillons de dinde, mon cher monsieur Greenhorn, de deux en deux heures, en commençant à six heures du matin, et vous mettrez dans chaque une cuillérée de la poudre minérale contenue dans ce paquet. Cette poudre a une vertu merveilleuse. Elle provient de carottes qui ne poussent qu’au Brésil où j’étais allé, il y a cinq ans, pour guérir Sa Majesté Don Pédro, d’un coup de soleil, lorsque je fis la découverte de cette précieuse racine, j’avais été piqué par un serpent à sonnettes et je lui dois la vie. Vous n’oublierez pas non plus de vous graisser, soir et matin, le gras des jambes et des bras ainsi que les oreilles avec l’huile contenue dans cette fiole. Cela est de la dernière importance. En suivant rigoureusement ce traitement pendant six semaines, vous allez devenir aussi léger qu’à l’âge de quinze ans.
– C’est vingt-cinq piastres, monsieur Greenhorn.

Aussitôt que le patient s’était exécuté, le docteur Killmany lui souhaitait le bonjour, et l’accompagnait jusqu’à la porte, en lui disant pour adieu : « N’oubliez pas de venir me revoir demain, mon cher monsieur, et tout ira bien, je réponds de vous. »

Il y avait déjà un peu plus de deux ans que l’illustre et docte personnage pratiquait de la sorte, lorsqu’un beau jour il décampa sans tambour ni trompette, laissant pour gage de son retour le restant de ses fioles, deux paires de bottes qui tiraient la langue, quinze mille piastres de dettes et beaucoup de dupes.

Pierre se consola d’autant plus facilement du départ un peu brusque de M. le docteur Killmany, qu’il avait réalisé la somme assez ronde de quatre cents piastres, et qu’il se sentait suffisamment édifié sur les mérites de la grande République et de ses intéressants citoyens pour imiter l’exemple de son honorable patron, mais cette fois dans la direction de son clocher natal. 

* * *

Un mois, jour pour jour, après son départ de la Nouvelle-Orléans, le pauvre exilé volontaire, rentrant dans sa patrie, revit les bords du grand fleuve. À cette vue aimée, des pleurs de joie gonflèrent ses paupières et coulèrent lentement sur ses joues amaigries et brûlées du soleil.

Lorsqu’il rentra, dans le village natal, la nuit était tout à fait venue, et les fenêtres des maisons, éparpillées le long de la côte, s’illuminaient une à une.

Il faisait un temps magnifique.

Des milliers d’étoiles scintillant sur le fond bleu du ciel, comme autant de diamants, reflétaient leur molle clarté sur la surface du grand fleuve polie comme une glace.

À l’extrémité de l’horizon, la lune encore à moitié cachée par de légers nuages, montrait peu à peu son disque d’une grandeur démesurée et rouge comme de la fonte bouillante.

Aucun bruit ne troublait le silence majestueux de la nuit. Quelquefois seulement on entendait la respiration puissante et cadencée d’un bateau à vapeur fendant les flots avec ses roues bruyantes, et l’aboiement monotone d’un chien de garde, que répétaient d’autres chiens, de loin en loin.

La grand-route était déserte, et celui qui avait vu, il y a cinq ans, partir le pauvre Pierre, d’un air si triomphant, si dégagé, si sûr de lui-même, ne l’aurait certes pas reconnu, tant la démarche mal assurée du voyageur annonçait la fatigue et de cruelles déceptions.

Il avançait d’un pas lent, inquiet, furtif, évitant avec le plus grand soin de passer le long des fenêtres éclairées.

À mesure qu’il approchait de la maison paternelle, il reconnaissait les lieux de son enfance.

Les bords du grand fleuve étaient toujours les mêmes ; seulement de temps à autre, il remarquait que la grève s’était rétrécie, et que là, où il avait couru, enfant, pieds nus et un fusil sur l’épaule en quête de pluviers ou de canards, il y avait aujourd’hui de l’eau et des joncs.

Parfois aussi une maisonnette qu’il avait vue jadis sur le bord de la côte était venue se placer de l’autre côté du chemin, et des arbres qui lui prêtaient autrefois un ombrage si gai – doux abri des oiseaux – les uns étaient couchés tristement dans la rivière, montrant, çà et là, leurs branches dépouillées ; les autres abattus par la cognée avaient servi probablement à chauffer la famille pendant les longues et froides nuits d’hiver.

En longeant la clôture du cimetière sur lequel se projetait l’ombre de la flèche argentée de l’église, comme si elle eût voulu protéger ceux qui dormaient leur dernier sommeil, Pierre vit quelques tombes de plus. Quelques-unes avaient déjà commencé à se couvrir d’un gazon clairsemé dont le vert tendre contrastait avec la teinte sombre des hautes herbes ondulant autour d’elles. Deux ou trois étaient toutes fraîches, et leur surface bombée, où se dessinaient encore les pelletées d’une terre noire et glaiseuse, faisait tache dans le champ du repos.

Un pressentiment sinistre lui traversa alors l’esprit, et cédant à une impulsion plus forte que lui, il franchit d’un bond la clôture, et se dirigea, l’œil ardent, le cœur battant à rompre dans sa poitrine, vers l’endroit du cimetière où il avait remarqué ces tombes nouvelles.

Pierre en eut rapidement passé l’inspection ; arrivé à la dernière, il poussa un cri déchirant, et tomba à terre, à genoux, sur cette tombe, en face de cette croix de bois, en murmurant à travers des sanglots étouffés : « Mon père ! mon père ! mon père ! »

Quand Pierre se releva, il ne pleurait plus : mais on lisait sur sa figure mâle et résignée une résolution énergique. Il avait juré de se livrer tout entier à la culture de l’héritage de ses ancêtres. Cette dignité d’homme qu’il avait perdue aux États, il venait de la retrouver sur la tombe de son père.

Aussi se dirigea-t-il d’un pas plus assuré vers la maison paternelle, où l’attendait depuis longtemps sa pauvre mère, en deuil devant son foyer solitaire, inconsolée mais non inconsolable, parce qu’elle avait foi en Dieu et qu’elle attendait son fils. 

* * * 

Aujourd’hui, Pierre est marié, et déjà père de deux enfants, que la mère Souci embrasse et dorlote du matin au soir. Il habite la maison paternelle, et dirige lui-même les travaux. Levé le premier, couché le dernier, il ne croit pas être trop savant pour manier un fléau ou modérer l’ardeur d’un cheval traînant la charrue. L’an dernier, il a été nommé, à l’unanimité, président des commissaires d’école. Cette année, il s’est assis au banc des marguilliers ; l’an prochain il deviendra probablement préfet du comté.

Pierre aimé tendrement par sa femme, fêté, choyé par tout le monde, se fait un plaisir et un devoir de raconter, dans les veillées, sa longue et folle odyssée, sans omettre le moindre détail. Ses aventures dans la cuisine du père Durand et dans la cambuse du Flying fish égayent autant ses auditeurs attentifs que les faits et gestes de l’intéressant docteur Killmany ; mais Pierre, tout en amusant ceux qui l’écoutent, ne perd aucune occasion de les instruire et de les attacher à leur pays, et il ne termine jamais ses agréables récits sans répéter ces mots que tout vrai Canadien comprendra : heureux celui qui laboure la terre paternelle et récolte en paix ses produits ! Si ceux-là que la tentation de l’or a séduits, écoutaient davantage leurs Pasteurs et les gens d’expérience, ils maudiraient les États, et comprendraient aussi bien que moi, que la sphère de leur bonheur et de leurs devoirs se trouve à la place où le bon Dieu ne les a pas fait naître sans dessein.

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- FIN -

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