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Il faut savoir qu’il y a un vieux récit français qui raconte l'histoire du Seigneur Gallery de Poitou, condamné à chasser dans le ciel pour l'éternité parce que le dimanche, il allait à la chasse plutôt qu'à l'église. De la France au Québec, le récit est devenu légende. Cette histoire a commencé dans une cabane en bois ronds la veille du Jour de l’An, au fond d’une forêt enneigée bien loin au nord de Bytown, qu’on connaît aujourd’hui sous le nom… d’Ottawa. Ils étaient là une bonne quinzaine de bûcheux ; les pipes étaient bourrées de bon tabac canadien et le rhum était délicieux, ça fait que vers les onze heures, après une couple d’histoires salées, les hommes s’étaient retrouvés avancés en boisson, le sentiment affaibli par les pensées de leur famille restées en ville. Sans prévenir, Baptiste Durand a lancé : — Pourquoi qu’on passerait la nuit du Jour de l’An dans c’te sacré camp alors que chez le père Laframboise, on doit déjà être en train de danser le cotillon sur le violon de Philippe Lajeunesse ? Y a qu’à prendre le canot caché sous la neige tout juste à côté du grand sapin centenaire puis partir en chasse-galerie ! Quelques coups de pelle et le canot était dégagé. Un moment après, huit hommes prenaient place : Joe le cook à l’avant, en éclaireur, Baptiste, à l’arrière, à la gouverne, et trois rameurs se plaçaient de chaque côté, l’aviron à la main. — Acabris ! Acabras ! Acabram ! Canot d’écorce, fais-nous voyager par-dessus les montagnes. Le canot s’est élevé d’un coup dans le ciel éclairé par la pleine lune et s’est élancée comme une flèche avec ses huit voyageurs à bord, bien ceinturés dans leur capot de chat sauvage, le casque sur les yeux, les glaçons dans les moustaches. Après avoir ramé une grosse heure, il ont fini par apercevoir les lumières du Grand Moréal et Baptiste, d’un coup d’aviron, a fait descendre le canot juste un peu au-dessus des maisons. La grand’ ville passée, les villages se sont mis à défiler les uns après les autres et sont arrivés à leur village natal, Sainte-Église-du-Cocher. Le temps de cacher le canot derrière une corde de bois, les voyageurs ont couru vers la maison, sont rentrés et ont été reçus là à bras ouverts par les habitants qu’ils connaissaient presque tous par cœur, à part ça. Et la musique a repris de plus belle ; Philippe Lajeunesse violonait à s’en dérincher l’épaule! Tant que les flammèches en sortaient de l’archet! Pendant un bon deux heures, une danse n’attendait pas l’autre : gigue, voleuse, valse, reel… ; et la cruche de whisky blanc qui coulait généreusement – et la demoiselle (je parle de la cruche) se faisait prendre la taille plus souvent qu’une religieuse -, et les danseurs qui devenaient de plus en plus joyeux : les semelles en faisaient du feu, les jupes en frisaient. Ça paraissait que Monsieur le curé n’était pas là… Mais le temps passait… Joe le cook a jeté un coup d’œil à l’horloge : plus que deux heures avant l’aube, et le chantier qui était à trois cents mille de distance. Il a fait signe aux autres de s’acheminer vers la porte. Ils sont montés dans le canot et ont repris leur envol. De toutes les évidences, Baptiste n’avait plus la main aussi sûre au retour parce que le canot faisait des virages pour le moins inquiétants. C’était à prévoir, il était tellement saoul que lorsqu’ils ont rencontré un vol d’outardes..., Baptiste pas capable des les éviter, rentre dans le tas ; ça a créé, c’est le cas de le dire, pas mal de turbulences, mais ils ont gardé le contrôte. Ils ont repassé le lac des Deux-Montagnes pour aller remonter la rivière Outaouais et piquer vers le chantier. C’est à ce moment que le norouâ, le terrible vent du Nord-Ouest, s’est levé, que la grosse tempête de neige a suivi : plus ils avançaient, plus c’était dur. C’était comme s’ils canotaient à contre-courant sur une rivière qui aurait été ensorcelée. C’était si difficile qu’ils devaient quasiment plier les avirons en deux pour progresser. Fallait s’y attendre, avec tant de brasse camarade, les gars en ont perdu leur aviron, Baptiste Durand a perdu le contrôle, et le canot a fini par faire une embardée et est allée cogner contre la tête du gros sapin centenaire haut de cinq étages, précipitant les voyageurs dans le vide qui criaient comme des damnés. C’est les autres bûcheux, ceux qui étaient pas partis, après avoir entendu ce vacarme infernal, et les avoir cherchés pendant une grosse heure, les avaient trouvés sans connaissance, à moitié gelés, ,enfoncés jusqu’au cou dans’ neige, un petit flasque à la main plutôt qu’un aviron, et le canot cassé en deux. Ils les ont rentrés en dedans pour les réchauffer un bon coup. Quand les voyageurs ont dégelé trois jours plus tard, pas besoin de vous dire qu’ils ont été pas mal choqués d’entendre les autres rire et dire qu’ils avaient essayé de grimper le canot en haut du sapin centenaire, après avoir bu comme un troupeau d’éponges, pour ensuite chavirer avec dans le vide et s’écraser en bas, comme on sait… On connaît les bûcheux : ça discute, ça dispute, ça réfute :. — On l’a courue ! Les gros mots qui suivent, les poings qui se lèvent, la chicane qui est sur le bord de poigner et là la question qu’on se pose : l’ont-ils courue ou l’ont-ils rêvée, la chasse-galerie ? Moi je pense qu’ils l’ont couru, comment huit grands hommes comme ça pourraient imaginer la même histoire en même temps, d’autant plus que les hallucinations collectives n’existaient pas au XIXe siècle au Québec. En fait, si on ne court plus la chasse-galerie aujourd’hui, c’est peut-être qu’on essaye plus, et si on essaye plus, c’est peut-être parce qu’on en parle plus. C’est pour ça que moi, conteur, j’ai décidé de raconter nos vieilles légendes, et qui sait qu’à force d’en parler, un bon jour, les canots vont peut-être se remettre à voler ! |
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