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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 16½ pages (47728 caractères)
Pays ou culture du conte : Canada.

Recueil : Le rire précolombien. Dans le Québec d’aujourd’hui

Le mythe de Kamikwakushit

Rémi Savard (1934-20..)

Je raconte.

C'était un vieux Blanc. Il était très vieux. Il marchait avec une canne. Sa femme aussi était très vieille ; sa vue n'était pas très bonne. Le vieux avait un fils qui était vieux lui aussi. Le fils était un garçon sérieux comme un adulte. Il lui arrivait rarement de manquer de sérieux. Le vieux avait un très vieux chien. C'est ici que tout commence. Il avait un très vieux chien ainsi qu'un très vieux cheval. Voilà.

Alors ton grand-père rentre chez lui. Il n'a absolument rien à manger, à ce que l'on raconte. Le vieux va parfois à la pêche mais il ne rapporte pour ainsi dire pas de poissons, seulement un ou deux, et des petits. Il n'en a pas suffisamment pour sa femme et lui-même.

Alors le vieux se couche et fait un rêve : « Tôt le matin tu iras à la pêche, rêve-t-il, tu iras pêcher de bonne heure le matin, tu te lèveras tôt. » C'est ce que lui dit son rêve. « Tu iras pêcher et tu prendras aussitôt un gros poisson ». Il s'agit d'une truite rouge ; la truite rouge est un très gros poisson. « Une fois que tu l'auras pris, tu en auras amplement. Après avoir pris ton poisson, tu te hâteras d'aller chez toi, dans la forêt. » Sa table est faite comme ceci ; il dépose son poisson sur le dessus. « C'est là que tu le déposeras pour le dépecer », rêve-t-il. C'est son rêve qui lui parle, c'est comme une voix d'homme. C'est peut-être son ami ou c'est peut-être son grand-père, je ne sais pas moi. « Tu dépèceras ton poisson et tu mettras les tripes de côté puis tu le couperas en morceaux », rêve-t-il. Il donnera un morceau à sa femme, un à son fils, un à son chien et un à son cheval. C'est ce qu'il rêve. Quant à lui, il mange la tête du poisson. « Vous mangerez exactement en même temps. Tu donneras des morceaux à ta vieille, à ton fils, à ton chien et à ton cheval. Après que vous aurez tout mangé, tu noueras les tripes du poisson », rêve-t-il. Tu connais les choses que l'on fait pousser, n'est-ce pas ? Tu as dû voir ces petites choses que l'on recouvre de terre quand on veut faire pousser quelque chose. Cet homme possède des semences et un grand potager et pourtant rien n'y pousse. « Quand vous l'aurez entièrement mangé, tu prendras les tripes de ton poisson et après les avoir nouées, tu les emporteras à l'extérieur, rêve-t-il. C'est le matin et le vieux a fini de manger le poisson. « Tu les traîneras à l'intérieur de ton potager. » Il traîne sa semence, il la traîne ici et là, à l'intérieur du potager et un peu plus loin par là, sur le pourtour et aussi tout près, puis il s'interrompt.

Alors il va à la pêche et prend deux autres poissons qui sont très gros. Après trois nuits, il pénètre en vitesse dans son potager ; déjà les choses ont commencé à pousser, toutes sortes de choses sont en train de pousser : des pommes de terre, des oignons, toutes les sortes de choses qu'on fait pousser, des navets aussi et des blés, tout ce qui est nourriture pousse. Après trois autres nuits, sa vieille est enceinte, sa chienne et sa jument sont pleines. Après trois autres nuits, il  jette un coup d'œil à son potager : les choses y ont beaucoup poussé. Ça pousse bien dans son potager. Lorsqu'il y retourne après trois autres nuits, les choses ont vraiment beaucoup poussé, elles sont hautes comme ça. Entre temps sa femme est déjà devenue grosse, sa chienne et sa jument sont aussi très grosses. Après trois autres nuits, lorsqu'il va jeter un coup d'oeil à son potager, toutes les choses sont poussées, les blés, toutes les choses, les pommes de terre, les navets, le café, les oignons, les blés, tout, tout. Et, pendant la nuit, il a des fils adoptifs, son chien a deux chiots et son cheval a deux poulains. Après trois autres nuits, ses fils adoptifs peuvent déjà s'asseoir, les chiots et les poulains marchent déjà. Cet homme est marié pour la deuxième fois ; il n'a que des fils, il en a deux. Après trois autres nuits, les enfants et les poulains peuvent déjà marcher, les poulains et les chiots sont déjà très gros. Après trois autres nuits, (c'est toujours après trois nuits) les enfants sont déjà grands. Après trois autres nuits, les enfants sont devenus très grands et très robustes, les chiots et les poulains ont acquis leur taille adulte.

Quant à son potager, sa nourriture, il est rempli de pommes de terre, de toutes sortes de choses et de blés aussi. Alors il en prend soin : il met les blés dans des sacs, il met tout dans des sacs, y compris la poudre à pâte. Tout pousse, même la poudre à pâte. Là-bas, un peu à l'écart du potager, là où il avait traîné la tripe de poisson, ça pousse aussi. Même les porcs poussent eux aussi. Et cette autre chose qui est dure, longue et cylindrique et qui se trouve dans le sol, n'est-ce pas, elle a une forme allongée, je ne sais pas comment elle peut bien s'appeler, elle est longue comme ceci et de forme allongée, elle est jaune, rouge, oui rouge, ça aussi c'est déjà poussé. Il met tout, absolument tout, toute sa nourriture dans des sacs. Et les choses poussent au fur et à mesure. Il a suffisamment de nourriture y compris de farine.

Et ses fils sont déjà grands ; il en a deux et il a aussi deux chevaux. Comme il a deux fils, chacun d'eux possède un cheval, À son fils qui est vieux, on donne le vieux cheval et les jeunes possèdent chacun un cheval nouveau-né et un jeune chien. Les chiots sont assez forts pour tirer une charge. Les jeunes garçons portent tous deux des vêtements identiques, de la tête aux pieds.

Les jeunes Indiens disent : Allons faire la cour aux filles là-bas. » Il y a là une ville où la population est nombreuse. C'est là qu'ils vont. Ils y vont avec leurs chevaux. « Je vous accompagne mes frères... » Il s'agit du fils aîné, Kamikwakushit, c'est le Kamikwakashit. « Mes frères, je vous accompagne. » - « Non, tu vas nous embêter, lui dit-on, tu es mal élevé. », - Je me tiendrai non loin, dit-il à ses frères cadets, je vous attendrai. » - « D'accord. » Naturellement les jeunes enfourchent leurs chevaux, car ceux-ci sont jeunes. C'est Kamikwakushit qui prend le vieux cheval. Il suit derrière, son cheval peut marcher, il est malgré tout assez rapide parce qu'il le fait avancer. Sans doute font-ils la cour aux filles là-bas pendant que lui reste debout, non loin, à surveiller ses jeunes frères. Puis ils rentrent chez eux. Les jeunes et leur frère aîné dorment chez eux.

Pendant ce temps, le vieux s'occupe de son potager qui est rempli de choses. Tout ce qui pousse, tout ce qui se mange s'y trouve en abondance. Soudain, il y a tellement de nourriture que ça devient comme un magasin. Tout cela se produit après qu'il y a rêvé. C'est celui qui lui a parlé dans son rêve qui fait en sorte que tout pousse. Le fait que tout pousse très bien, que sa femme ait des petits et sa chienne aussi - il y a une chienne et une jument - ce n'est pas lui qui le fait. Ce n'est pas lui qui a fait ses fils et qui fait que soudain les fils de la vieille se mettent à grandir. C'est celui du rêve qui fait que toutes les choses, les chiens et les chevaux, poussent subitement.

C'est le matin encore une fois. Dans l'après-midi, ses jeunes frères s’habillent. Son chapeau à lui a l'air de ceci : ici c'est rouge, là c'est noir, rouge, noir, rouge, noir. C'est vraiment là la couleur de son chapeau et il est particulièrement haut. Il s'agit de Kamikwakushit,  c'est lui, « celui qui est rouge ». Mikwaw veut dire rouge ; alors on l'appelle Kamikwakashit.

Après s’être habillés, ils partent à nouveau. Ils montent leurs chevaux. Le cheval de Kamikwakashit est vieux mais il avance malgré tout. - « Mes frères, je vais avec vous. » - « Ne viens pas avec nous, tu manges beaucoup trop », lui dit-on. On raconte qu'il mange beaucoup. « Quand tu te mets à manger, tu manges trop longtemps », lui dit-on. - Vous me toucherez du pied au moment où vous aurez terminé », leur dit-il. Au moment où ses frères finiraient de manger, ils le toucheraient du pied, lui signifiant par là qu'ils avaient terminé.

Alors le repas a lieu. Les deux garçons sont assis à côté de leurs amies respectives mais lui, pas : il s'installe là-bas, de l'autre côté. Voici comment les gens sont disposés : le père des filles est installé là, la vieille s'asseoit en face ; quant aux filles, l'une s'asseoit avec l'un des garçons et l'autre avec le deuxième. Kamikwakushit, lui, s'installe là-bas. Alors le repas commence, voici que l'on va manger. Naturellement elle leur sert du bœuf : c'est dimanche et il y a de la très bonne nourriture. Voilà qu'on mange. Le repas est à peine commencé qu'un chat sort de la chambre des garçons. Il arrive de là, continue tout droit et s'en va directement sous la table. Alors il touche sans doute les jambes de Kamikwakushit. Après que le chat lui a touché les jambes, Kamikwakushitse lève. « Tu as terminé bien trop tôt », lui dit le vieux. - « Ah, j'ai déjà suffisamment mangé », lui dit-il. - « Allons, mange, mange ! »lui disent le vieux et la vieille. - « Je suis tout à fait rassasié », leur dit-il. - « Menteur ! » lui dit-on. Il croit entendre « allons dormir ». C'est la raison pour laquelle il ne se remet pas à table malgré l'insistance du vieux et de la vieille.

Les garçons emmènent sans doute chacun leur amie dans une chambre. Quant à lui, il se dit : Je vais commettre un vol. »Voilà ce à quoi il pense. Mine de rien, il observe à quel endroit l'on range la vaisselle et la nourriture. Il note tout sans en avoir l'air. Il s'agit de Kamikwakushit. À onze heures exactement, le vieux leur demande d'aller se coucher : « C'est l'heure d'aller dormir ; vous vous levez tôt demain », dit-il. Le vieux a un fils. Les amoureux feront chambre à part ; les garçons quittent leurs amies, car ils ne dorment pas avec elles. Celles-ci dorment toutes deux dans une chambre et lui dort avec ses frères dans une autre chambre. Les filles dorment là-bas.

Pendant que tout le monde dort, Kamikwakushit se lève et sort de la chambre. À la porte de chacune des chambres, il prête l'oreille pour écouter les ronflements des dormeurs. Il écoute attentivement : ici ça ronfle et dans l'autre chambre, ça ronfle aussi. Il écoute à la porte de la chambre du vieux : il l'entend ronfler. Il entend également ronfler ses frères. Ses jeunes frères n'ont eu connaissance de rien car il s'est levé en douce. Et c'est alors qu'il commet un vol et il s'agit de confiture.

Le pot est placé comme ceci, il doit être rempli à moitié de confiture. Il voit la confiture. Le pot est rempli jusqu'ici et lui se tient debout comme ceci (regarde-moi, c'est comme cela qu'il se tient debout). Le pot de confiture est rempli à moitié. De temps à autre, il y jette un regard. On n'a pas éteint : la lampe brûle faiblement, on a dû laisser dépasser un petit bout de mèche. Il tient la lampe comme ceci, il voit la confiture et a grande envie d'en manger. Il y a des cuillères là, à côté, mais il n'en utilise pas ; il se sert plutôt de sa main. Sa main est trop grosse pour entrer dans le pot, il mange avec ses doigts. Alors Kamikwakushit mange. Il mange : il regarde de nouveau sa main puis de nouveau la lèche. « Je vais la lécher encore une fois », se dit-il. En mangeant la confiture qui se trouve sur sa main, il se dit : « Cette fois-ci, je vais me lécher toute la main. » C'est ce à quoi il pense. Alors, il plonge complètement la main dans la confiture et lorsqu'il veut l'en retirer, elle reste emprisonnée dans le bocal. Mais non, il réussit à l'en sortir puis il la lèche.

Alors, il regarde ce qu'il reste de confiture. Il l'a presque toute mangée, il n'en reste qu'un tout petit peu. Puis il pense : « Peut-être mes jeunes frères n'ont-ils pas assez mangé. » Alors il emporte la confiture et pénètre exactement à l'endroit où dorment les filles, les amies de ses frères. C'est là qu'entre Kamikwakuskit. Il ne voit pas ses frères, il est entré dans une autre chambre. Alors, il découvre le postérieur de la fille : il n'est pas noir du tout. Après l'avoir découvert, il l'installe comme ceci pour le faire manger. C'est ce que l'on raconte. « Es-tu rassasié, êtes-vous rassasiés de confiture ? Je veux t'en donner, je veux vous en donner à manger », dit-il à ses frères cadets. Il leur parle mais en réalité, il s'adresse au postérieur qui est placé comme ceci. « Un peu. » Elle fait un pet : « Un peu, un peu. » - On me dit oui », pense-t-il. « Veux-tu en manger ? » Elle pète de nouveau. Il croit entendre « oui » ; alors il lui donne à manger. Parfois elle lâche un petit vent ; alors il lui dit : « Ne souffle pas, ce n'est pas chaud. » Il vide complètement son pot de confiture et en nettoie l'intérieur de la main. Soudain sa main reste emprisonnée dans le pot.

Alors, il sort et entre à l'endroit où dorment ses frères. « Mes frères, je suis pris dans le bocal », leur dit-il. Ses frères dorment dans le même lit. « Ça y est, regarde ce qu'il a encore fait, il a dû commettre un vol », disent ses frères. - « Je n'avais pas suffisamment mangé au repas », leur dit-il. Entre-temps, la fille se rend compte de ce qui s'est passé. « J'ai déféqué au  lit », pense-t-elle. Sa sœur aînée dort dans l'autre lit qui se trouve dans la chambre ; c'est ce qui explique qu'il n'a donné à manger qu'à l'une d'elles. Elle dit à sa sœur aînée : « J'ai déféqué au lit. » - « Va dehors là où se trouvent les cuves et prends un bain », lui conseille sa sœur. Alors la fille sort en vitesse pour prendre un bain.

Les frères cadets de Kamikwakushit sont en train de lui parler : « Va, nous allons nous habiller et rentrer chez nous, tu as commis un vol, tu es effronté. » - « Mais que vais-je faire de ma main ? », demande-t-il à ses frères. - « Va dehors et frappe-la sur quelque chose de dur, à l'endroit où se trouvent les cuves ». Il sort en vitesse. La fille est en train de prendre son bain dans une cuve. C'est précisément sur cette cuve qu'il va se frapper la main ; alors la fille se baisse complètement dans la cave. Il ne réussit pas à briser le bocal mais voyant une autre cuve à côté, il va s'y frapper la main, si bien que le bocal se brise. Au moment où ses frères sortent de ce côté, la fille passe à toute vitesse et va se cacher parmi les nombreuses cuves.

C'est là qu'on la trouva le matin ; elle y avait passé une partie de la nuit. La fille qui était restée au lit avait mis du temps à parler de l'absence de sa sœur. Finalement on va la chercher. Pendant ce temps les garçons sont rentrés chez eux et restent à la maison. Ils ne racontent rien de ce qui s'est passé.

Un jour, un Blanc arrive accompagné de plusieurs personnes. Voilà qu'arrive un Blanc qui se met à raconter ceci : « Le gérant de la Compagnie de la Baie d'Hudson veut marier sa fille. » Le Blanc arrive de la ville qui se trouve non loin de là. « Le gérant de la Compagnie veut marier sa fille. Il dit que celui qui saura lui répliquer trois fois l'épousera », raconte l'homme aux personnes présentes. « Nous irons, disent les jeunes gens, nous irons. » Tous sont invités : les gérants, les vendeurs, tous, y compris les commis. Ils sont très nombreux. Le gérant de la Compagnie de la Baie d'Hudson a dit : « Celui qui pourra lui donner la réplique trois fois épousera ma fille. »Évidemment les deux garçons disent : « Nous irons. » Alors ils y vont, mais seulement tard dans la journée, au cours de l'après-midi. Le messager s'en retourne : « Demain après-midi », a dit le patron de la Compagnie.

Dans l'après-midi, après avoir dîné, les garçons s'habillent. Ils mettent de très beaux habits et de jolies cravates. Quant à Kamikwakushit, il porte son vilain manteau, sa chemise déchirée ainsi que son chapeau rouge et noir, toujours le même. (Q. Le gérant tient-il magasin ? R. Non, le gérant ne vend pas lui-même, il est patron, il ne fait que diriger, c'est un gérant très haut placé, à ce que l'on dit.) Ils sont trois : sa fille unique, sa femme et lui-même, plus un serviteur. Le patron a un serviteur ou plutôt il en a deux, ce qui fait cinq, plus un cuisinier, ce qui fait six au total. Lui-même ne fait pas la cuisine, non plus que sa femme ni sa fille. Ce sont les deux cuisiniers qui font ce travail, on les dit cuisiniers mais ils font également le service à table. Il s'agit d'un gérant très haut placé.

Ils s'habillent. « C'est maintenant que nous partons », disent les garçons à leur père. - « Allez, partez et si vous ne gagnez pas, revenez vite, dit-il à ses fils. Si l'un de vous deux gagne, l'autre reviendra aussitôt à la maison. Celui qui gagnera après avoir répliqué à la fille de gérant restera là-bas. » La rencontre doit avoir lieu dans l'après-midi : « À compter d'une heure, vous vous réunirez tous tant que vous êtes. » Il y a affluence. Alors les garçons partent en vitesse et, bien sûr, Kamikwakashit les suit. « Mes frères, je vais avec vous, je vous accompagne. » - « Ah non ! Ce n'est pas possible ! - Tu es trop sale ! », - « Je vous attendrai, dit-il, j'attendrai à l'écart. Lorsque vous irez à sa rencontre, je ne vous suivrez pas, mais je vous regarderai y aller. » - « D'accord ! Viens avec nous ! Mais tu nous attendras ! »

Alors, ils y vont. On ne sait où les placer tellement les gens sont nombreux. Ils restent debout à l'endroit où l'on garde les chevaux. Il y a trois chevaux : ceux des deux garçons et celui de Kamikwakushit, une vieille bête ! Ils attachent leurs montures. « Pas maintenant, pas maintenant ! Regardons d'abord ! » Naturellement, ce sont les gérants qu'on demande les premiers. Après les gérants, on demande les vendeurs, jusqu'au dernier. A un certain endroit, il y a des cordes de bois entourées d'une clôture : c'est là que se promène Kamikwakashit en attendant. « Vous chercherez à la rencontrer », avait dit le gérant de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Après le tour des vendeurs vient celui des commis. Ils sont nombreux. Ensuite, on appelle les autres Blancs, mais uniquement ceux qui parlent bien, naturellement. Tous ces Blancs sont célibataires. Aucun de ceux-ci ne peut réussir l'épreuve ; ils l'échouent tous.

Alors les garçons s'avancent. Lui est assis là-bas et regarde ses frères. « Je vous attendrai là, mes frères. » Plus loin, là-bas, il y a de nombreuses poules. Il se met à les poursuivre, il en attrape une et lui serre le cou : elle pond un œuf. Il le met immédiatement dans son chapeau. Il veut le mettre dans son chapeau mais, hélas, il le laisse tomber à côté. Le premier de ses frères qui est allé a presque réussi, paraît-il. Il revient vers Kamikwakushit qui lui dit : Je veux aller à la selle, il faut que j'aille à la selle, dit-il très fort ; où vais-je aller ? » Où pourrait-il aller en effet ? Le terrain est très beau à cet endroit. « Bon, je vais aller à la selle ici », dit-il - « , Non, dans ton chapeau ! »lui dit-on. Alors il défèque dans son chapeau. Il le tient comme ceci et il s'essuie le derrière avec un copeau de bois qu'il met dans son chapeau. Il met le copeau de bois dans son chapeau. Il reste debout : « Je vous attends ici mes frères », leur dit-il. Il tient son chapeau fermé, comme ceci. Dedans il y a de la merde et un copeau de bois, lequel est passablement long. Lorsque la fille rencontre son frère, il observe. À ce moment passe une poule ; il va la rejoindre et s'empare à nouveau d'un œuf qu'il met dans son chapeau. (Cela fait trois, voyez : la merde, le copeau et l'œuf.) En attendant, il regarde son frère ; la fille est en train de lui parler. Lorsque son autre frère y est allé, il a réussi à la rencontrer. À présent, il ne reste personne, puisque chacun a eu son tour.

« Mes frères, est-ce que je pourrais aller par là ? »  - « D'accord, vas-y, lui dit-on, d'accord, va ! » Il ne pourra éviter de la croiser. « Je veux justement aller de ce côté-là. » - « Puisqu'elle vient précisément de ce côté-ci, tu la rencontreras inévitablement. » La fille s'en vient et, de fait, il la croise ; mais au moment où elle se retourne, il hâte le pas. Alors il la regarde, il l'examine : « Mon doux, que ta es belle femme ! » Il lui dit : « Tu es belle » Il s'agit de Kamikwakashit. « Eh, que tu es belle ! », - « Comment poarrais-je ne pas être belle, lui dit-elle, j'ai le sexe en feu ! » - « Fais donc cuire mon œuf tout de suite ! » - « Quel œuf », lui demande-t-elle. Alors, il lui donne son œuf ; il est rond, il ne peut faire autrement que de lui donner son œuf. « Mais, avec quel bois ? », lui demande-t-elle. Il lui donne son torchon. Pais elle dit : « Et la merde ? » Alors il lui donne sa merde. Cela fait trois fois. C'est lui le vainqueur, donc c'est lui qui l'épouse. Il a gagné. donc il épousera la fille puisqu'il a répliqué trois fois.

Alors, elle dit à Kamikwakashit : « Viens ! » Il s'amène avec son chien. La fille dit à son père : Je suis déjà mariée. » - « Bien, lui dit-il, mais qui est-ce ? Fais-le entrer. » Il est mal habillé, son chien est laid, il est absolument sans le sou. Il est le dernier auquel on aurait pu penser. Le grand patron de la Compagnie de la Baie d'Hudson n'aime pas son gendre. « Tu avais dit trois fois », lui dit sa fille. Il s'agit de la fille du grand patron. « Tu avais dit : celui qui saura lui répliquer trois fois épousera ma fille ». Il ne peut revenir sur sa parole : « C'est exact », dit-il. Kamikwakushit lui a effectivement répliqué trois fois : il lui a donné son œuf, ensuite il lui a donné son torchon - c'est du bois n'est-ce pas ? - « Avec quel bois ? », lui avait-elle demandé. Alors il lui avait donné son torchon. Elle avait encore demandé : « Et la merde ? » Alors il lui avait donné sa propre merde. Il lui avait effectivement donné trois choses, il lui avait cloué le bec à trois reprises. Il est le vainqueur ; c'est donc à lui qu'elle appartient.

Alors, tous s'en retournent, y compris les garçons. Au moment où ils rentrent chez eux, tous les autres hommes, les vendeurs, tous, rentrent également. Kamikwakushit a déjà épousé la fille. Lorsque les garçons arrivent à la maison - naturellement son cheval à lui est resté là-bas - leur père leur demande : « Qu'avez-vous fait de votre frère aîné ?« - Il a épousé la fille du grand patron de la Compagnie, puisqu'il a réussi à lui répliquer trois fois. »

Le grand gérant de la Compagnie n'aime pas avoir Kamikwakushit pour gendre ; il ne l'aime pas. Il dit à ses employés : « Vous allez réparer pour eux un vieux bateau qui ne sert plus. » Il s'agit d'un grand bateau. « Et vous les emmènerez au large. » On abandonnera Kamikwakashit au large. Alors on rafistole le vieux bateau ; et on le repeint même ; mais il n'a pas de mât ; ce n'est pour ainsi dire qu'une coque de bateau.

Alors Kamikwakashit embarque, seul avec sa femme. Ils s'installent dans le bateau et on les envoie au large ; le vent soufflait justement vers le large. Ils n'ont absolument rien. Seule la femme a un peu de nourriture ; sans doute le père a-t-il donné un peu de nourriture à sa fille. Elle mange un peu. Ne voyant plus la terre, elle se dit : « Il est certain que nous allons mourir. » Quant à lui, il se dit : « Si seulement je pouvais manger de la sauce que ma mère me donnait ... » Peu de temps après qu'il eut pensé cela, sa sauce est déjà là. Sa mère lui en donnait sans doute parfois. Alors il mange. Son assiette est très grande et elle est remplie ; il en a de reste. Soudain, il se met à battre sa sauce avec sa cuillère. Il a une cuillère, une cuillère de bois. « C'est-ma-mè-re-qui-m'a-do-nné-la-sau-ce-que-je-man-ge », chante-t-il. Il chante cela sans répit et soudain sa femme l'entend chanter. Elle lui crie de l'autre extrémité du bateau. Elle ne fait que sortir la tête de l'endroit où elle se trouve. C'est un bateau muni d'une cale. Il n'a pas une très bonne oreille, aussi lui crie-t-elle très fort : « John ! », Il s'appelle John, Johnny, sa femme l'appelle John. Elle lui crie : John, John, John ! » Il l'entend et lui répond : « Quoi ? », Elle lui dit : « Qu'est-ce que tu es en train de manger ? » - « Je mange de la sauce que ma mère m'a donnée. » - « Ah bon », dit-elle, et elle retourne dans la cale. La terre est très loin ; on ne la voit plus. La fille entend Kamikwakushit manger. Il mange sa sauce sans répit, il en vient constamment.

Tout à coup, elle l'appelle de nouveau : « John, viens ici un instant ! » Il y va et regarde sa femme du haut de l'échelle qui mène à la cale - les banquettes se trouvent dans la cale -. « Quoi, dit-il à sa femme, pourquoi m'as-tu appelé ? » - « Je veux te dire quelque chose. Tu ne serais pas capable de rénover notre bateau et de lui faire des mâts, de nous faire un bateau comme celui de mon père mais qui soit encore plus beau que le sien. Tu serais incapable de faire une chose pareille même si tu le voulais. » « Bien sûr que je serais capable. » - « Non tu ne le pourrais pas. » Alors il sort. Il prend sa femme en pitié : « Je vais essayer, lui dit-il, tu vas t'installer là-bas et tu éviteras de regarder. Ne viens pas par ici et ne regarde pas. »

Il s'installe à l'endroit où se trouve sa sauce et se met à chanter. Il chante en souhaitant que son bateau soit beau. À travers son chant c'est sa sauce qui l'aide à embellir son bateau. Il a une bonne assiette, alors tout ce qu'il fait est très beau. Son bateau n'a pas de mât ; il lui fait donc des mâts et il y a aussi les autres choses. Et il y a des cordages, des cordages qu'on pend aux mâts. Il tient un cordage dans ses mains. De l'autre côté, il y a même une échelle de corde et sur le pont, il y a trois cordages. Il pense : « Que les cordages soient passés dans les poulies ! » Alors les cordages s'accrochent aux trois mâts. Il y a de tout, même une hélice. Comme il a pensé à une hélice, il y a donc une hélice. Il appelle sa femme - elle porte le nom de Minnie - il l'appelle en se levant : « Minnie, viens voir notre bateau ! » La fille sort de la cale : « Qu'y a-t-il ? » Le bateau est très beau, elle voit les mâts et les cordages, elle regarde partout. « Oui, c'était bien vrai que tu étais capable de le faire. » - « Va voir l'intérieur ! », lui dit-il.

Il avait dit à sa femme : « Voilà les mâts. » Alors il chante en battant sa sauce de façon rythmée avec sa cuillère. Sa cuillère est en bois et elle est longue. Il pense et voilà que les mâts deviennent très hauts. Et les voiles sont entièrement faites de toile neuve, comme la toile de tente d'autrefois. Elles sont aussi épaisses que celles du bateau de Jo Blais, qui naviguait autrefois. Toutes les voiles sont de très bonne toile, parfaitement neuve. Et il hisse un drapeau, un drapeau bleu, blanc, rouge et noir, puis il en hisse un autre et il hisse ensuite sa voile. Alors il se tient à côté de la voile et il rappelle sa femme après avoir fait tout cela. À ce moment-là, l'intérieur du bateau aussi est beau, mais sa femme ne le sait pas encore. Il rappelle sa femme : « Minnie, Minnie ! » Elle sort et voit tout cela ; elle voit les voiles qui voient au vent et elle voit Kamikwakashit près de la voile et elle se rend auprès de lui. Il y a même une boussole. Alors il dit à sa femme, en parlant de la roue du bateau : « Tiens ceci, tiens-la et maintiens-la comme ceci. Je vais aller à l'avant du bateau. » Il rénove l'intérieur en chantant là encore. Il chante ceci : « Je-suis-vrai-ment-bon-en-dé-pit-de-ce-que-je-suis. » Après son chant, il y a des lits, une table et de la vaisselle pour deux personnes.

Après avoir terminé son travail, il sort et va rejoindre sa femme. « Naviguons ! », lui dit-elle. - « Où irons-nous ? » - « Du côté où vit mon père. Tu ancreras ton bateau dans le hâvre de mon père, lui dit-elle. Tu seras habillé comme un monsieur et tu porteras même une cravate. » Mais il a toujours le même chapeau. « Tu le porteras comme ceci », lui dit-elle. - « Minnie, va donc dans la cabine », lui dit-il. En peu de temps, il est de mieux en mieux vêtu : ses vêtements sont noirs et faits de tissu neuf. Ce n'est plus comme auparavant, alors qu'il était vêtu de vieux tissu. Et il porte une cravate. Après avoir fini de s'habiller, il appelle sa femme. Il se tient debout, il a l'air d'un vrai monsieur. Elle l'aime beaucoup et elle s'élance pour l'embrasser. « Où allons-nous ? », lui demande-t-il. - « Là-bas, chez mon père. » - « D'accord ! »

Comme son bateau a des voiles, il file à vive allure. Ils naviguent pendant un jour et une nuit. Le soleil est déjà haut lorsqu'ils arrivent à destination. À leur arrivée chez le père de la fille, le grand patron les voit venir au loin ; il regarde le bateau avec ses jumelles et envoie ses serviteurs. Ils disent : « C'est un très beau bateau ! » Kamikwakushit ancre son bateau tout près de celui du grand patron. Le sien est magnifique, il a des drapeaux et de petits pavillons. Après avoir jeté ses deux ancres à l'eau, il rejoint sa femme à l'intérieur. Ils prennent d'abord leur repas. Le grand patron, de son côté, prend lui aussi son repas. Lorsqu'il a terminé son repas, Kamikwakushit passe dans la pièce d'à côté, prend du papier et écrit une lettre au patron. Sa femme se tient dans l'autre pièce tandis qu'il écrit.

Pendant ce temps, le grand patron dit à ses serviteurs : « Allez au bateau et amenez-moi celui qui veut me surpasser ! » Le bateau du grand patron est certainement très beau, mais celui de Kamikwakushit est encore plus beau. « Allez me chercher l'homme qui veut me surpasser ! » Alors les serviteurs y vont. De leur barque, ils s'adressent à Kamikwakushit et à sa femme. Kamikwakashit leur parle. La fille, pendant ce temps, regarde vers la maison de son père qui, lui, regarde vers le bateau. Ils parlent tous deux aux serviteurs qui retournent à terre. Ils vont tout droit chez le grand patron. « Alors, qui est cet homme ? » - « Mais, c'est votre gendre ! », répondent-ils. - « Invitez-le à venir à terre. » Naturellement, lorsqu'on apprend à Kamikwakushit que son beau-père l'invite à venir à terre, lui et sa femme s'y rendent. « Nous allons à terre », dit-il à sa femme.  - « Oui, nous allons à terre », dit-elle. Ils disent aux serviteurs : « Nous allons à terre. » Ceux-ci disent : « Ils vont venir à terre. » Ils vont à terre.

Alors ils entrent chez le beau-père de Kamikwakashit qui lui tend la main. La fille serre également la main de son père. Il dit à sa fille : « D'où venez-vous, où avez-vous pris votre bateau ? » - « Nous ne l'avons pris nulle part ; l'homme que j'ai épousé a toutes sortes de talents ! » Leur bateau est magnifique. « L'homme que j'ai épousé est très habile, c'est lui seul qui a rénové notre bateau », dit-elle à son père. - « Bon, dit-il à sa fille, vous allez aller vendre toutes sortes de choses : des pommes de terre, des navets, de la farine, de la graisse, du beurre, du porc, toutes sortes de choses. C'est moi qui vous les fournirai. » Alors, on embarque toutes ces denrées à bord du bateau. Il y a de tout en quantité. Le bateau est complètement rempli ; il leur a fallu une journée pour le charger. Le lendemain matin, ils partent. Kamikwakashit est seul avec sa femme.

Après son départ, il ne va pas très loin. Il voit soudain une ville, une grande ville, où il accoste. Il y a beaucoup de monde. Il va à terre, seul, sa femme ne débarque pas. Il débarque au quai, naturellement. Comme il y a un attroupement sur le quai, il demande à un Blanc : « Que se passe-t-il ici ? »   « Il ne se passe rien, nous regardons quelqu'un. » Au milieu de la foule, il y a un homme. Il est tellement endetté qu'il est couvert d'épingles. Il en a partout sur le corps tellement ses dettes sont nombreuses. Il n'a pas payé ses dettes, c'est la raison pour laquelle il est couvert d'épingles. Ceux qui contractent des dettes et ne les règlent pas ont des épingles. Quelqu'un se met des épingles en disant : « Je t'emprunte et je te rembourserai. » S'il ne rembourse pas sa dette, il garde les épingles.

« Moi, je rembourserai les dettes », déclare Kamikwakushit. Alors on apporte à terre tout ce qu'il y a sur son bateau. « Ceux qui ont des dettes enlèveront leurs épingles », dit Kamikwakushit au Blanc. « Celui qui doit $10. s'enlèvera dix (10) épingles, celui qui doit $20. s'enlèvera vingt (20) épingles, celui qui doit $100. s'en enlèvera cent (100). Chacun s'enlèvera toutes les épingles qu'il a. » Après a voir enlevé leurs épingles, ceux qui ont des dettes se placent en retrait en tenant leurs épingles dans le creux de la main. Kamikwakashit fait les comptes : pour chaque personne qui a des dettes, il calcule combien elle doit. Il y a là quelqu'un qui doit beaucoup, peut-être S200, $300 ou peut-être $1 000. Cet homme se fait enlever toutes ses épingles et après que toutes ses dettes sont réglées, il meurt. Cependant il revient ensuite à la vie mais non sous la forme d'un homme comme auparavant ; il prend d'abord la forme d'une ombre, puis celle d'un renard roux. Il devient un renard roux avec cette différence qu'il est grand de taille. Il est comme un vrai renard, un renard roux - il y a toutes sortes de renards : le renard croisé, le renard argenté, mais lui, c'est un renard roux.

Alors on débarque la marchandise et l'argent de Kamikwakushit. Il dit à l'un des Blancs qui se trouve là : « Chacun dira combien d'épingles il enlève et chacun les tiendra à la main. Celui qui en enlèvera 10, 20 ou 30 le dira et celui qui en enlève 50 le dira aussi. » Kamikwakashit dit à tous : « Tenez-les dans vos mains. » Alors il paie les dettes de l'un et de l'autre en argent comptant. Ils sont très nombreux et il paie les dettes de tous. Il distribue toute sa cargaison. Après avoir donné toute la nourriture qu'il avait embarquée, il s'en retourne. Il n'est resté qu'une semaine.

Il retourne chez son beau-père et le revoit. Son bateau est vide, il ne reste plus rien. Alors il embarque d'autres choses que lui donne le grand patron. Il embarque de la nourriture, de l'argent, toutes sortes de choses. Kamikwakushit et le grand patron embarquent beaucoup de choses. Après l'embarquement, ils repartent.

L'un des commis - il ne s'agit pas d'un assistant-gérant mais d'un sous-commis - dort dans la cale du bateau ; il ne dort pas vraiment, il  feint seulement de dormir. Alors il sort et dit à Kamikwakashit : « Je vais naviguer moi, j'ai déjà dormi. » - « Navigue ! » - « D'accord ! » Alors Kamikwakashit descend dans la cale. Il boit peut-être du thé qu'il sucre sans doute. Après avoir bu son thé, il veut rejoindre l'autre, mais il change d'idée. Alors, le commis l'appelle de là-bas « John ! » C'est celui qui navigue qui crie « John ». Il sort en vitesse : « Quy a-t-il. », demande-t-il au jeune Blanc. - « Il y a quelque chose qui mord notre hélice, ça mord très fort », dit-il à Kamikwakushit. Il lui ment parce qu'il veut le tuer. Kamikawakushit se penche pour voir : « Je ne vois rien ! » - « C'est là-bas, derrière ! » Au moment où il se penche davantage, l'autre le prend par les jambes et le jette par-dessus bord. Il émerge là-bas mais le bateau est déjà loin. Le courage lui manque, son bateau est très loin et lui se trouve au grand large. On ne voit pas du tout la terre. Alors il se met désespérément à nager. Il est fatigué et il coule à plusieurs reprises. De temps à autre, il se repose puis réussit à nager. Soudain, on l'appelle ; c'est son renard roux qui lui parle : « John, qu'est-ce qui t'arrive ? » - « Il m'a jeté par-dessus bord ! » - « Oui, c'est vrai, il t'a jeté par-dessus bord ! »

Quant à celui qui l'a jeté à l'eau, il dit à la fille : « Il est tombé à l'eau en se penchant par-dessus bord pour regarder. Il est tombé à la mer. » La jeune fille pleure à chaudes larmes et veut se jeter à l'eau, mais le commis l'en empêche. Cet homme veut épouser la femme de Kamikwakashit. Il réussit à la ramener à l'intérieur et lui dit : « Assieds-toi là ! Où irons-nous ? » - « Allons à terre, chez mon père. » Alors ils mettent le cap sur la terre, c'est l'homme qui navigue. Soudain, on appelle Kamikwakashit : « John, que t'arrive-t-il ? » - « Mais, qui es-tu ? » - « C'est moi le renard, le renard roux ! » - « Oui oui ! D'où viens-tu ? » - « C'est moi dont tu as réglé les dettes, c'est moi qui étais cousu de dettes ; j'étais couvert d'épingles. Tu as payé mes dettes, en retour je vais te ramener à terre ! » Il n'y a pas de terre en vue. « Je te ramène à terre », dit le renard. - « Où vais-je m'installer ? » - « Laisse-toi remorquer. » Kamikwakashit saisit la queue du renard. « Tu fermeras les yeux, lui dit le renard, ne regarde pas et je te ramènerai. » Il est très vite rendu à l'endroit où demeure son beau-père. Le renard roux l'emmène jusqu'à une baie sablonneuse.

Le renard roux lui dit : « Ta femme a un prétendant ; on la courtise déjà ; après demain, on la mariera. À présent, tu essaieras de trouver du travail chez le grand patron. Si on t'embauche et que le grand patron te demande ce que tu sais faire, tu lui diras que tu sais faire la cuisine », lui dit le renard. - « Je sais faire la cuisine », répète Kamikwakashit. - « Et s'il te demande quelle sorte de cuisine tu sais faire, - c'est toujours le renard qui lui parle - tu diras que tu sais faire rôtir de la viande au bout d'une ficelle. » - « Je sais faire rôtir de la viande au bout d'une ficelle. » - « Demain il fera très chaud, toutes les fenêtres chez le grand-patron seront ouvertes et chez sa fille aussi, les fenêtres seront ouvertes. Toi, de la cuisine tu chanteras : « Qu'as-tu-fait-qu'as-tu-fait ? ». Tu chanteras cela longtemps et il fera de plus en plus chaud. La fille du grand patron écoutera et elle entendra l'air que tu chantes et elle te reconnaîtra à ta voix.

Elle pensera : N'est-ce pas mon mari qui chante ? » C'est le renard qui est en train de parler. « Il y a ton alliance aussi, tu la porteras. » Il a toujours son alliance en sa possession. Il y est inscrit d'abord le nom de la fille du grand patron MINNIE et ensuite JOHNNY. Il s'appelle Johnny. « Tu te mettras le bras en écharpe et tu te placeras la main comme ceci. Alors elle dira : « Dites au cuisinier d'apporter lui-même mon repas ». Toi, tu diras : « Comment est-ce possible ? Je suis sale et je suis couvert de poux ». Tu mettras du sel dans tes poches et tu feras du bruit avec le sel. Tu diras que ce sont tes poux. » Après lui avoir parlé, celui dont il avait payé les dettes s'en alla.

Quant à lui, Kamikwakushit rencontre des serviteurs qui lui demandent : « Où vas-tu ? » - « Là-bas, je cherche du travail. Dites-le au grand patron ! » - « Oui, nous le lui dirons ! » Ils sont justement à son service. « Il y a là un homme qui demande du travail », dit le serviteur au grand patron. - « Que sait-il faire ? » - « Le patron te demande ce que tu sais faire », dit le serviteur à Kamikwakashit. Celui-ci est adossé à la maison. « Je sais faire rôtir de la viande au bout d'une ficelle. » Le serviteur va dire au patron : « Il dit savoir faire rôtir de la viande au bout d'une ficelle. » - « Bon, d'accord, c'est ce qu'il fera : il fera rôtir de cette façon du jambon, du porc, de la viande de boeuf, toutes sortes de choses, de la fesse de caribou, tout », dit le grand patron.

Il fait très chaud. D'ailleurs on lui avait dit qu'il ferait très chaud. Tard dans la journée, toutes les fenêtres sont ouvertes, y compris celles de la fille da grand patron. Il fait très chaud. Kamikwakushit utilise le tissu de sa chemise pour s'envelopper la main. Sa chemise est très sale. La fenêtre de la fille est ouverte, elle l'entend : il siffle un air. « Mon mari chante comme cela », pense-t-elle. Alors elle l'envoie demander par un serviteur : « Dites au cuisinier d'apporter lui-même mon repas ce soir. » Ce serviteur dit au cuisinier - qui est le mari - : « La demoiselle te demande de lui apporter toi-même son repas. » -« Comment le pourrais-je, je suis sale. » Le serviteur se fait répéter la même chose à trois reprises : « Il faut que ce soit le cuisinier qui me l'apporte. Allez ! Vous lui direz qu'il me l'apporte lui-même ! » Le serviteur qui avait apporté le repas se fait de nouveau renvoyer par la fille : « Allez, vous lui direz qu'il me l'apporte personnellement. »  Alors le mari dit : « Bon, je lui apporterai, mais j'ai mal aux mains. » Il va chercher du sel. « Comment pourrais-je le lui apporter, j'ai beaucoup de poux. » Il est appuyé au mur. « Comme j'ai des poux... puisque j'ai des poux », dit-il. Il tient du sel à la main. « Elle va te faire demander, pense son renard, elle te fera demander et tu te mettras le bras en écharpe. Ta femme te fera demander. » Sa main est très douloureuse. Après tout cela, il accepte : « D'accord, je lui apporterai. »

Il lui apporte son repas. Il peut le lui donner par la fenêtre qui est ouverte. « Apporte-le ici où je suis », dit-elle. Il y a une table à l'endroit où elle se trouve. Elle ne peut s'empêcher d'aller vers lui :  « Pose cela sur la table. » La table était longue. « Pose-le là », lui dit sa femme. « Qu'as-tu à la main pour l'avoir pansée ainsi ? » - « Je me sais brûlé en faisant rôtir quelque chose au bout d'une ficelle, répond-il, je suis brûlé grièvement. » - « Je vais te mettre un onguent, le meilleur qui soit », lui dit sa femme. - « Tu vas me faire mal, et puis ce n'est pas beau à voir, tu ne pourras pas regarder. Je ne peux accepter parce que ma blessure est trop sale et toi tu es si belle. » - « De toute façon, je ne la mangerai pas.  » - « Ne touche pas, tes mains sont tellement belles, dit-il, je ne veux pas. » - « Tu devras accepter, lui dit sa femme, tu seras malade si je ne te soigne pas ». Alors elle lui accroche l'écharpe. « Aie, aie, aie, ma main ! » crie-t-il. Il ne se défend pas et elle prépare l'onguent qu'elle lui appliquera. Pendant ce temps, il remet son écharpe en place. Le remède est prêt. « Alors où est ta brûlure ? » - « C'est ici, partout, c'est presque brûlé à vif. Mais c'est très sale, je vais me soigner moi-même ; je vais emporter le remède à la cuisine. » - « Non, c'est moi qui te ferai un pansement. » Alors il se bat avec elle, mais elle réussit à lui enlever son écharpe. « Aie, aie, aie, aie ! », crie-t-il. Alors elle regarde : il y a quelque chose d'écrit sur l'alliance : elle lit. Son nom y est gravé ; d'abord c'est écrit MINNIE et puis JOHN. Elle crie à son père : « Père, c'est mon mari qui est ici ! » - « Cesse de plaisanter, lui dit-il, il doit être très loin en mer » - « Non, c'est lui mon mari ! » Alors le grand patron vient. « N'est-ce pas mon alliance ? », lui dit-elle. Sur l'alliance sont inscrits les noms de la fille du grand patron et de Kamikwakushit. « C'est bien vrai ! » Le grand patron dit à ses serviteurs : « Enlevez lui tous ses vêtements et cachez-les.  »

« Si ta femme te demande comment tu as pu être sauvé, lui avait dit son renard, tu lui diras que c'est grâce à celui dont tu as payé les dettes. » C'est ce qu'il lui dit : « C'est grâce à l'homme dont j'ai payé les dettes - celui qui était couvert d'épingles. En échange, il m'a ramené à terre. » - « Bien » dit-elle. Alors on lui donne des vêtements et il va rejoindre sa femme. Il lui raconte de nouveau ce qui est arrivé et ce que lui a dit son renard.

Le grand patron s'adresse à sa fille : « Demain, j'offre un banquet ; tout le monde sera présent, y compris celui qui l'a jeté à l'eau. » Kamikwakushit raconte à son beau-père : « Il m'a jeté à l'eau, il m'a pris par les jambes et m'a jeté par-dessus bord. Mais je suis remonté à la surface sans qu'il me voit car il était déjà loin. » C'est pour démasquer celui qui a jeté Kamikwakushit à l'eau qu'il y aura un banquet. Il s'agit d'un grand banquet où tout le monde est convié. On y invite les vendeurs, les gérants, tous les commis et aussi les sous-commis.

Le patron offre un banquet. Les gérants y sont très nombreux. On mange. Le grand patron est assis près de la porte mais sa fille et son mari, Kamikwakushit, se trouvent dans une autre pièce. Bien entendu, tout le monde est en fête. Après le repas, les invités s'amusent et le grand patron suggère : « Chacun de vous va raconter une de ses aventures en mer. » Alors chacun y va de son récit. Puis vient le tour de celui qui a jeté Kamikwakushit à l'eau : c'est le dernier. « Alors, raconte ! » - « Cette aventure s'est déroulée à Blanc-Sablon. Nous sommes partis vers le large lui et moi.

Soudain, j'ai entendu quelque chose venir à la surface de l'eau ; alors j'ai regardé : c'était énorme, c'était une baleine qui était en train de mordre l'hélice. Je me suis penché pour la regarder. Puis je l'ai appelé, dit-il en parlant de Kamikwakushit, et il est venu. Alors il s'est penché pour regarder mais il s'est trop penché et il est tombé par-dessus bord. Je ne pouvais pas... il devait être gris, peut-être qu'il avait bu, peut-être aussi qu'il n'avait pas bu... il devait être gris, c'est pour cela qu'il est passé par-dessus bord. Il avait peut-être bu... peut-être aussi qu'il n'avait pas bu. Alors il est remonté à la surface ... » À ce moment précis du récit, le grand patron touche la porte du pied. Du pied, il referme un peu la porte qui reste entrebâillée.

Déjà, Kamikwakushit est debout ; il est prêt. Il se tient prêt, avec sa femme. On lui a sans doute dit : « Quand vous entrerez, il restera assis. » Alors il s'avance avec sa femme. Lorsqu'on va les chercher, il y a beaucoup de monde. Ils s'en viennent tous les deux ; sa femme lui donne le bras. Alors, on reconnaît Kamikwakushit. Celui qui l'avait jeté à l'eau ne souffle pas mot. C'est à ce moment qu'on l'attrape. « Kamikwakushit dit que c'est toi qui l'as jeté à l'eau ! - « Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi ! dit-il en se sauvant, ce n'est pas moi ! » L'homme était sorti mais on s'en saisit. Il est capturé et pendu. Au moment où on le pend, son corps se fend. C'est le grand patron qui a ordonné qu'on pende celui qui avait jeté Kamikwakashit à l'eau.


Conté en octobre 1970 par Pien (Pierre) Peters 1902-19..), âgé alors de 68 ans.

* © Ce conte est soumis à des droits d'auteurs exclusifs au créateur ou au titulaire attitré et ne peut pas être reproduit d'aucune manière sans une autorisation formelle autorisée. Veuillez contacter l'auteur pour plus d'information.

- FIN -

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