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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 5¼ pages (14033 caractères)
Pays ou culture du conte : France.

Recueil : Huit Contes à Mariani

Le Secret de Polichinelle

Paul Arène (1843-1896)

A mon ami Mariani

Que n’eussé-je pas donné, tout petit, et que ne donnerai-je pas, aujourd’hui comme tant d’autres, pour en savoir le fin mot ?

C’est évidemment grâce à ce secret, dont tout le monde parle, demeuré pourtant mystérieux, que Polichinelle, au cours d’une turbulente carrière, a pu, anarchiste ivre de son moi, se mettre au-dessus des lois et des sentiments, renouveler chaque jour, sans jamais payer, son flambant justaucorps, ses chausses mi-parties, son chapeau, ses sabots sonores ; c’est grâce à ce secret qu’il a pu berner ses créanciers, rosser sa femme, assommer le commissaire, et, d’un geste plus méritoire encore, pendre son bourreau qui le voulait pendre ; puis, vaincu par le diable ou paraissant l’être, rouler dans l’enfer tout ouvert, mais pour enlever Proserpine et laisser au départ Lucifer doublement cornu.

Car, dans la légende intégrale, Polichinelle survit, toujours bruyant et indompté, à sa grande bataille contre l’esprit de science et de malice.

Descendu aux ténébreuses demeures comme Héraklès, Orphéus et saint Brandan, ses aventures s’y continuent, puis recommencent sur la terre.

Admirable matière à mettre en beaux vers et qui, le jour où la France aura trouvé son Goethe, pourrait après un polichinelle définitif où s’éterniserait, transformé par le génie, le drame primitif et rudimentaire des théâtres en plein vent, inspirer un « second Polichinelle » qui serait notre « second Faust ».

De cette dernière partie de son existence, nous ne connaissons qu’un épisode miraculeusement déchiffré sur des lambeaux de parchemin devenus la sacrilège reliure d’un vieux registre de comptabilités monacales, et dont notre insuffisance essaiera, sans espérer pourtant en conserver la saveur, de traduire le latin barbare.

Donc, après quelques mois de séjour aux enfers, où, naturellement, il avait fait le diable à quatre, Polichinelle, traînant sur ses pas Proserpine amoureuse et terrorisée, venait, par un long couloir souterrain, ancien soupirail de volcan qui illuminait l’éclat des gemmes, de retrouver, non sans plaisir, la douce lumière du jour.

Au sortir de l’interminable conduit, ils avaient, sa compagnie et lui, débouché brusquement tout en haut d’une montagne abrupte au bas de laquelle de vastes plaines s’étendaient.

Éblouis d’abord, essoufflés un peu, ils s’assirent dans l’herbe et regardèrent.

Ils virent des champs couverts de moissons et de fleurs, des clos d’arbres fruitiers, des prairies où brillaient des sources ; et au milieu, une ville blanche aux toits bleus, entourée de murailles basses que ceignaient des fossés de roses et dont les créneaux étaient dorés.

Autour, palpitait la mer immense, sans un bateau, sans une voile ; et tout de suite Polichinelle comprit qu’il se trouvait dans une île ignorée des navigateurs, dernier débris émergeant encore de cette fabuleuse Atlantis disparue, voici combien de siècles, sous les flots, ainsi qu’en témoigne Platon. Cependant, Proserpine s’étant mise à pleurer :

- Qu’avez-vous, mignonne ?
- Rien, mon doux ami.
- Le pays vous déplairait-il ?
- Non, mais je voudrais y être Reine. »

Ce disant, elle avait jeté sur le gazon sa couronne aux sept pointes de fer incrustée de sept énormes escarboucles.

- « Reine ? Pourquoi pas ! grommelait Polichinelle. Proserpine reine et moi roi ! L’idée me va ; on peut essayer de la chose.
- Et comment, mon doux ami, vous y prendrez-vous ?

- Ça, mignonne, c’est mon secret. »

Alors, Proserpine consolée remit sa couronne sur ses cheveux tordus en flamme ; Polichinelle empoigna sa trique neuve toute récemment taillée dans le grenadier infernal dont les fruits aux grains de rubis, quelque mille ans auparavant, avaient su tenter Eurydice, et tous deux, bras dessus, bras dessous, prirent le chemin de la ville.

Des députations les attendaient accompagnées de fanfares et de musiques, un petit pâtre qui, caché derrière une roche, venait de surprendre leur conversation, ayant couru devant et répandu partout le bruit que Polichinelle arrivait avec son secret, pour être roi et pour faire le bonheur des Altantes.

Les Atlantes étaient naïvement et immémoriablement heureux. Ils n’avaient aucun besoin d’essayer du secret de Polichinelle. Mais tous les peuples se ressemblent : la curiosité l’emporta.

- « Eh quoi ! leur dit le nouveau roi, car on le sacra dare dare, avant même qu’il en eût exprimé le désir, vous ne rougissez pas de vivre comme vous vivez ? C’est honteux, saperlipopette !

« Etre égaux, libres et unis ; vous nourrir des fruits de la terre fraternellement partagés ; n’avoir pas même d’ennemis, si bien que les remparts de votre capitale dont un clown, leste tant soit peu, franchirait aisément les inoffensifs créneaux, n’ont pour destination, avec leur enceinte de roses, que d’empêcher le gibier qui pullule aux champs de se promener par les rues ; aimer les femmes qui vous aiment et en changer à l’amiable quand le torchon commence à brûler ? En vérité, la belle malice ! Des bestiaux en feraient autant. Mais la Providence veillait et m’a dépêché devers vous, ainsi que ma gracieuse épouse, pour mettre ordre à l’état de choses. »

Des cris : « Vive Polichinelle et son secret !... Vive la Reine Proserpine ! » accueillirent ce beau discours.

Vous devinez que l’île d’Atlantis, en rien de temps, fut dotée par Polichinelle de toutes les institutions qui font l’orgueil des nations civilisées.

Polichinelle partagea les champs, indivis jusque-là, pour en distribuer la meilleure part à ceux de ses sujets dont le nez avait su lui plaire, parce qu’il ressemblait au sien ; et les Atlantes purent désormais se réjouir de posséder enfin une aristocratie.

Polichinelle fit cueillir et monnayer, non sans se réserver le monopole, les cailloux d’or vierge et d’argent brut mêlés au gravier des ruisseaux.

Désormais, les Atlantes connurent la richesse et sa pâle soeur, la misère.

Polichinelle supprima l’amour libre et institua le mariage, afin d’avoir le royal plaisir de pouvoir faire des cocus ; et, ses favoris l’imitant, tout le monde imitant ses favoris, l’adultère devint à la mode, de sorte que l’on dut créer spécialement des tribunaux pour juger les maris meurtriers.

Au bout de quelque temps, des bandes affamées, lasses d’errer par les campagnes où les fruits n’étaient plus à tous, ayant fait mine de se révolter, Polichinelle fortifia sa capitale, arma de mousquets ses séides. Une bataille fut livrée ; de part et d’autre on s’égorgea.

Des veuves, des mères pleurèrent ! Mais les Atlantes, enivrés de l’odeur de la poudre et du bruit des tambours, surent dès lors ce que c’est que la gloire.

Puis, quelques maussades rêveurs s’étant permis d’insinuer que, peut-être, les affamés n’avaient pas tort, Polichinelle dressa la potence ; et les Atlantes, avec un frisson, s’inclinèrent devant la majesté du Pouvoir.

Béni des dieux, redouté des hommes, toujours grâce au fameux secret, l’ex-anarchiste, devenu tyran, put bien mieux qu’Antoine avec Cléopâtre, durant des années et des années, mener avec Proserpine cette « vie inimitable » plus généralement connue sous le nom de Polichinelle.

Bon prince, d’ailleurs, il ne dédaignait pas, à l’exemple de Louis XIV et de Néron, dans les occasions solennelles, de se donner en spectacle au peuple sur une estrade exprès dressée devant la porte de son palais ; et là, au milieu des nombreux enfants que Proserpine lui avait pondus, tous comme lui bossus et vêtus de paillons, tous comme lui à chaque pas éveillant un bruit de clochettes, noblement, hiératiquement, il exécutait la sabotière.

Le peuple prit le deuil quand il mourut. Son agonie fut sereine et plutôt narquoise.

Comme il semblait près de rendre l’âme, l’aîné de ses fils appelé à lui succéder s’approcha pour demander, l’heure étant suprême, la révélation du fameux secret.

Polichinelle rouvrit un oeil. « Saperlipopette, le secret !... Et moi qui allais oublier de te transmettre avant de partir cet instrument de ma puissance, qui doit devenir, pour toi et tes successeurs, le Palladium de la dynastie. »

Puis, écartant les assistants d’un geste : « Fillot, murmura-t-il, écoute-moi d’un peu plus près, c’est toute une histoire.

« Mais auparavant, comme l’histoire est assez longue et que les forces pourraient me manquer, fouille là, sous mon oreiller. Tu vas y trouver un étui décoré de figures à la Morisque, étui renfermant un flacon de cristal dans l’épaisseur duquel s’incrustent, en or, des étoiles…

As-tu trouvé ? C’est bien cela… Pourvu qu’il reste quelques gouttes de la mirifique liqueur ?... A ma santé !... Merci, ça va mieux… Et maintenant, comme dit cet autre, tâche de me prêter une oreille attentive.

« Tu sauras donc, fillot, que vers quinze cent soixante-dix, soixante et douze, Charles IX régnant en France, et les Vice-légats gouvernant Avignon, un de nos aïeux, bon gentilhomme, s’en fut, à la suite de démêlés avec quelques gens de justice, s’établir en terre papale.

« Derrière ses remparts aux créneaux sarrasins, dans l’ombre de son palais géant qu’écussonnent les clefs et la tiare, Avignon était alors vrai séjour de bénédiction ; et certes ! aucune ville n’aurait pu rivaliser avec elle, tant par la magnificence des palais et des villas cardinalices, l’étendue des couvents, le nombre des églises, la richesse des boutiques d’orfèvres et de fourbisseurs, la commodités des tripots, le luxe des tavernes, que pour l’incroyable abondance, attirée là par ces merveilles, d’usuriers et de filous, de poètes, de joueurs de luth, de capitaines d’aventure, bretteurs, buveurs et brelandiers, d’écoliers et de belles filles.

« Comment notre noble et illustre aïeul fit-il dans Avignon la connaissance du propre fils de Nostradamus ? je l’ignore.

« Je me souviens pourtant avoir entendu dire que s’étant battus en duel après une querelle de jeu et s’étant blessés mutuellement, ils jurèrent amitié et vécurent désormais en frères.

« Ce deuxième Michel de Nostre-Dame, gai compagnon, homme d’épée, s’occupait lui aussi à ses moments perdus de magie et d’astrologie.

« Or, comme il avait cru lire au livre des constellations que sa fin était proche et qu’il mourrait dans l’embrasement d’un village – la chose en effet se réalisa si exactement, à l’heure et à l’endroit prédits, que de certains jaloux l’accusèrent d’avoir incendié lui-même, par amour-propre et point d’honneur, la maison sous les débris de laquelle son cadavre fut retrouvé – le prophète ne voulut d’autre héritier que notre illustre aïeul en question.

« Il lui légua ses livres, ses armes, et, présent plus précieux encore, ce flacon plein d’une liqueur dont Nostradamus l’ancien avait acheté le secret de deux Indiens américains venus en foire de Beaucaire, à travers les mers Océane et Méditerranée, sur une barque faite d’écorce.

« Cette liqueur que les Indiens appelaient COCA en leur langue, est extraite par distillation et manière de quintessence, des feuilles fraîches cueillies d’un arbuste qui ne pousse qu’au fond de certaines périlleuses vallées, dans le pays où mûrit l’or.

« J’ai déposé, fillot, sur la plus haute planchette de ma royale librairie, un vieux livret, un parchemin dont la reliure s’illustre des mêmes cabalistiques figures que l’étui, des mêmes étoiles que le flacon.

« Ce livret t’enseignera comme quoi, prévoyant l’heure où le flacon s’épuiserait, notre illustre aïeul entreprit le voyage des Grandes-Indes et en rapporta la provision qui depuis a fait la fortune et la gloire de notre race.

« Car, traité suivant les formules que Nostradamus perfectionna et transformé dans l’athanor et l’alambic en un tout-puissant cordial, couleur de sang, couleur de pourpre, ce feuillage, dont l’Indien misérable ne sait guère qu’apaiser sa faim, devient pour le buveur initié, jeune désormais jusqu’au dernier jour, une intarissable source de belle humeur et d’énergie.

« La belle humeur et l’énergie, privilèges vraiment divins, par qui l’homme domine l’homme, se fait aimer de la femme, et brave le diable lui-même.

« Tu connais maintenant, fillot, le secret de ma vie et de mes triomphes. Garde-le précieusement pour le transmettre le plus tard possible à tes héritiers comme je te le transmets aujourd’hui !

« Ne t’offusque pas cependant si j’achève le fond du flacon. Tu ne chômeras pas de la mirifique liqueur, il en reste en cave des cuvées. Atlantis fit jadis partie de l’Amérique, et le coca fleurit sur ses monts.

« Seulement, garde bien le secret, fillot ! N’indique la plante à personne et la recette encore moins. »

Soudain, comme sous l’influence d’une vague et lointaine vision, le sarcastique agonisant sembla pris de mélancolie.

« Hélas ! fillot, ajouta-t-il, tout secret enfin s’évapore. J’ai le triste pressentiment qu’un jour ou l’autre quelque bienfaiteur de l’humanité – Belzébut l’emporte ! – révélera au populaire les extraordinaires vertus de la plante mystérieuse.

« Grâce à elle, un peu partout, sous des noms divers, depuis des siècles et des siècles, Polichinelle est roi, Polichinelle danse ; mais que deviendra notre héréditaire prestige quand le secret de Polichinelle sera le secret de chacun ?... »

Puis il fit « couic ! » et, tournant son nez au mur, expira.

En quoi le madré compère agit sagement, comme toujours, puisque une centaine d’années plus tard, mon cher Mariani, avec ton vin, ton élixir, tu devais appeler le monde entier, humbles ou puissants, riches ou pauvres, à bénéficier du secret de Polichinelle.

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- FIN -

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