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Avec une incroyable rapidité, la Nouvelle-France, après une série de revers, renaissait, grâce à la ténacité, au courage et à l’activité de ses colons. Une amitié sincère liait aux Français les Hurons et les Algonquins dont beaucoup s’étaient convertis à la religion catholique. Québec, la ville de Champlain, s’enorgueillissait, à juste titre, de ses écoles. Cette cité était un centre d’où les missionnaires partaient pour catéchiser les indigènes et, en même temps, leur insuffler l’amour de la France. En 1659, un évêque vint s’installer ; c’était François de Montmorency-Laval, dont le souvenir est inscrit aux fastes du Canada. Sept ans plus tôt, le village de Hochelaga avait, vu arriver M. de Maisonneuve, qui y avait fondé Ville-Marie, devenue Mont-Royal, puis Montréal. Cette cité, actuellement la deuxième ville de langue française du monde, commençait à prospérer. Sa prospérité éveilla des convoitises et des jalousies. La nombreuse tribu des Iroquois, dont les wigwams étaient plantés vers l’ouest, voyait avec colère, ses frères de race, Hurons et Algonquins, profiter du bien-être qu’apportaient les Français. Peut-être les Iroquois ne se seraient-ils pas aventurés à attaquer ouvertement des gens aussi courageux et aussi résolus que les colons canadiens s’ils n’avaient été appuyés et soutenus par les habitants de la Nouvelle-Angleterre, dont le centre principal était Manhatte, aujourd’hui New-York. Les colons britanniques ne cessaient de les exciter à la guerre ; ils leur fournissaient des armes à feu plus efficaces que leurs flèches, leurs haches ou leurs tomahawks. A plusieurs reprises, des missionnaires qui s’étaient enfoncés dans le pays avaient été surpris et massacrés, des Jésuites très vénérés à Montréal, les pères Gabriel Lalemant et de Brébeuf, saisis dans une bourgade, dont les Iroquois s’étaient emparés, furent attachés au poteau de torture; on leur arracha les ongles ; on leur versa de l’eau bouillante sur la tête ; on leur creva les yeux et on enfonça des charbons ardents dans leurs orbites sanglantes. Pendant vingt-quatre heures. les malheureux avaient agonisé dans les souffrances, tandis que les sauvages dansaient leurs danses de guerre. Chaque jour voyait croître l’audace, et la malfaisance des Iroquois. Confiants dans leur nombre, ils se rendaient compte que les colons, disséminés sur l’immense territoire, pouvaient difficilement les réduire. L’impunité dont ils jouissaient les enhardissait au point que, même autour des villes, on ne, trouvait plus aucune sécurité. Leurs incursions et leurs brigandages se multipliaient ; des colons ou des sauvages soumis étaient enlevés et mis à la torture. Le travail des laboureurs était interrompu ; à tout instant, il leur fallait se réfugier dans les fortins établis en diverses régions. Là, même, ils n’étaient pas à l’abri car beaucoup de ces petites redoutes avaient été forcées. Derrière chaque arbre, dans chaque ravin, au milieu des taillis, des sauvages guettaient le moment d’inattention qui leur permettrait de se saisir d’un blanc. Des bandes d’Iroquois s’étaient avancées jusqu’aux portes de Montréal. Les faibles moyens de défense de la ville justifiaient toutes les appréhensions pour peu que l’attaque des sauvages se fît en masse. Il y avait dans la cité un jeune officier nommé Dollard. A vingt-cinq ans, il avait déjà servi dans les armées de la métropole et venait d’arriver à Montréal. Dollard, comme les autres, voyait le danger ; il ne se contenta pas, lui, de l’attendre stoïquement. Il fit appel à des jeunes gens de toutes les professions : des soldats, des artisans, des laboureurs. — Mes amis, leur dit-il lorsqu’ils furent groupés, si les choses continuent comme elles vont, dans quelques mois, la Nouvelle-France, notre patrie d’adoption, sera détruite ; nous-mêmes et ceux que nous aimons, nous serons égorgés comme du bétail et nous périrons sans gloire et sans utilité. Nous ne sommes pas assez nombreux pour résister à la poussée des Iroquois soutenus par les gens de la Nouvelle-Angleterre. Ne donnons pas à nos ennemis l’occasion de s’apercevoir de notre faiblesse, prenons les devants, allons les attaquer chez eux. Nul n’ignorait quel danger présentait une telle expédition. Tout le monde savait que c’était marcher à la mort, et à une mort horrible. Il se trouva pourtant seize jeunes gens, dont Montréal conserve pieusement les noms dans ses archives, qui se présentèrent pour suivre Dollard partout où il irait. Après avoir fait leur testament, ils jurèrent dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu qu’ils se défendraient jusqu’à la dernière extrémité et que, quoi qu’il arrivât, ils ne se rendraient jamais. C’est dans les derniers jours d’avril qu’ils quittèrent Montréal, au milieu de toute la population accourue pour leur faire ses adieux. La campagne était belle ainsi qu’elle sait l’être au Canada quand la neige ayant quitté la terre, la nature s’empresse de fleurir comme si elle s’excusait auprès des hommes dos épreuves qu’elle leur a fait subir pendant l’hiver. Parmi les grands bois entrecoupés de vertes prairies égayées de fleurs sauvages, les dix-sept héros marchèrent vers l’ouest. Ils n’avaient ni convoi, ni bagages. Quelques provisions nouées dans une toile, des munitions dans leur sacoche, leur fusil en bandoulière, étaient toute leur charge. Ils marchèrent longtemps. Ils rencontraient les vestiges lamentables des établissements de leurs compatriotes ; des champs où la charrue avait été arrêtée par une attaque de sauvages ; des tas de poutres calcinées marquant la place de riantes et laborieuses demeures. Enfin, ils atteignirent, sur la rivière des Outaouais, un petit fort iroquois, simple ruine défendue par une palissade de troncs d’arbres grossièrement équarris et fichés en terre. Ils s’y installèrent. A peine avaient-ils pris possession de ce misérable abri qu’ils virent arriver quarante Hurons et sept Algonquins sous la conduite du chef Annahotaha, dont la bravoure était bien connue. Il demanda à Dollard l’autorisation de partager les périls et la gloire des Français. Cette autorisation lui fut volontiers accordée. Le premier soin de la petite troupe fut d’améliorer ses retranchements. On alla abattre des chênes pour renforcer les palissades. Chacun se fit, tour à tour, bûcheron et charpentier. Le travail n’était pas achevé que les Iroquois se montrèrent. Des deux côtés une fusillade éclata, car nombreux étaient les indigènes qui possédaient des armes à feu. Constamment, les sauvages répétèrent leur assaut; chaque fois, ils étaient repoussés avec des pertes sérieuses. Un de leurs chefs tomba. Les Français bondirent hors du retranchement et, indifférents aux balles et aux flèches, coupèrent la tête du guerrier qu’ils vinrent piquer sur un des pieux de leur redoute. Fous de rage, les Iroquois s’acharnaient; ils connaissaient le petit nombre de ces ennemis qui osaient les braver. Ils avaient envoyé chercher du renfort. Pendant cinq jours et cinq nuits dura le siège. Dollard et ses compagnons souffraient de la faim, de la soif et du froid. Ils étaient infiniment las. Impossible de dormir, car il fallait constamment veiller aux créneaux, les attaques ennemies se déclenchant avec une rapidité foudroyante. Les Iroquois s’approchaient en rampant et ne se montraient qu’à quelques pas du fort. La situation des assiégés empirait d’heure en heure. Sentant cela, les Iroquois envoyèrent des crieurs pour inviter leurs congénères qui étaient parmi les Français à se rendre à eux, leur promettant de les traiter avec tous les égards. A bout de force, les Hurons se laissèrent prendre à ces paroles fallacieuses. Ils franchirent la palissade et ils disparurent dans la forêt. Les sept Algonquins et Annahotaha, le chef, assistaient impuissants à la désertion de leurs frères. Lorsque le vieux Huron vit son propre neveu, La Mouche, prêt à se joindre aux fuyards, il lui brisa la tête d’un coup de tomahawk. Et la résistance reprit. Les cris farouches apprirent bientôt à Dollard que les renforts attendus par les Iroquois étaient arrivés. La rivière s’était couverte d’embarcations d’écorce. Les nouveaux venus ne perdirent pas de temps pour se lancer à l’assaut. Les vingt-cinq, Français et indigènes mêlés, parvinrent à les repousser. Trois jours passèrent, interminables. La garnison du fort souffrait abominablement, mais reconnaissait que sa résistance acharnée portait ses fruits. On devinait, en effet, des traces de lassitude et de découragement chez les ennemis ; leurs assauts étaient moins fréquents et menés avec plus de mollesse ; leur arrogance moins grande. Il suffisait de tenir encore et on les verrait abandonner le siège, s’en retourner chez eux, car la ténacité n’était pas la qualité dominante de cette tribu brave et sanguinaire. Un des chefs iroquois parvint à obtenir de ses frères qu’ils livrassent un dernier assaut avant de lâcher la partie. Dollard et les siens virent de tous côtés surgir de la forêt les sauvages hurlants. Ceux-ci avaient soigneusement préparé cette attaque ; entendez par là qu’ils avaient refait leur peinture de guerre, barbouillé de rouge et de jaune leur corps à peu près nu. Ils étaient terribles à voir, avec leurs plumes fichées dans leurs cheveux noirs ramenés, comme une queue de cheval, sur le dessus de leur tête, brandissant de grands boucliers de bois ; ils étaient effrayants et innombrables. Les assiégés, avaient beau tirer sans relâche, au point que leur fusil leur brûlait les doigts, ils avaient beau creuser dans les rangs des assaillants des brèches sanglantes, ils ne parvenaient pas à les arrêter. Les Iroquois atteignirent le pied des palissades et se mirent à les attaquer à la hache. Dollard prit une grosse poire à poudre, y ajusta une mèche qu’il enflamma. Puis il lança cet engin du côté des sauvages, pensant que l’effet moral et matériel qu’il produirait les effraieraient. Hélas ! ses forces le trahirent, le projectile heurta les pieux de la palissade et retomba dans la redoute où il éclata, tuant plusieurs de ses vaillants défenseurs et blessant à mort le chef huron. Celui-ci, stoïque dans la souffrance, s’était traîné jusqu’au centre du fortin où était dressée une croix à laquelle il s’adossa. Il fit signe qu’il voulait parler. Un Français s’approcha de lui. Je vais mourir, murmura Annahotaha, et bientôt vous partagerez mon sort. Je vous demande une dernière faveur. Je voudrais que vous brûliez ma tête, afin que ma chevelure ne tombe pas entre les mains des ennemis ; ils seraient trop heureux de montrer le scalp d’Annahotaha qui, pas plus mort que vivant, ne saurait être prisonnier. Le Français rassura le noble indigène et, quand ce dernier eut rendu le dernier soupir, sa volonté fur exécutée et sa tête brûlée sur un amas de copeaux. Le trépas du chef huron marqua le commencement de l’agonie du fort. Les Iroquois étaient parvenus à faire une brèche dans la palissade ; ils s’y engouffrèrent. Pied à pied, les assiégés se défendaient. Ils tombaient l’un après l’autre. Dollard succomba au pied de la croix. Un formidable hurlement retentit dans la plaine et alla se répercuter par les forêts jusqu’aux montagnes. Les Iroquois étaient maîtres du fortin. Le dernier de ses défenseurs était mort. Le sacrifice de seize jeunes Français et de leur chef Dollard ne fut pas inutile. Les Iroquois, après leur premier triomphe, furent terrifiés par cette victoire qui avait coûté la vie à plusieurs centaines des meilleurs de leurs guerriers. Si dix-sept Français, dans une méchante redoute, avaient pu opposer une telle résistance à plus de mille ennemis, ceux-ci pourraient-ils jamais s’emparer de cités défendues par une garnison et entourées de murailles de pierre. Que d’existences furent épargnées par la bravoure de Dollard et de ses compagnons! |
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