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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 5½ pages (13593 caractères)
Pays ou culture du conte : Canada.

Recueil : Contes et récits du Canada

Les tours de Pois-Vert

Charles Quinel (1886-1946)

Narcisse Peucher, après avoir ingurgité un bon verre de whisky et s’être assuré que la bouteille restait à sa portée, nous raconta :

— Une fois, c’était un riche seigneur qui s’appelait Bienassis et qui avait un serviteur nommé Pois-Vert. Ce serviteur avait joué tant de tours à son maître que celui-ci avait fini par le renvoyer. Pois-Vert s’était amassé ben de l’argent durant qu’il était engagé, de sorte qu’il avait pu acheter une maison tout à côté du château du seigneur, le long d’un chemin que ce dernier suivait quand il s’en allait à la chasse.

Donc, un matin qu’il savait que Bienassis devait sortir pour tirer le lièvre, le drôle le guetta sur le pas de sa porte. Lorsqu’il le vit approcher, il rentra, prit sa marmite où cuisait sa soupe; il la posa sur une table près de la fenêtre et, juste comme le seigneur passait, il jeta dans la marmite plusieurs gros morceaux de fer préalablement rougis au feu. La soupe se mit à fumer et à cracher. Lui, Pois-Vert, avait saisi un fouet et fouettait le récipient en disant à chaque coup :

— Bous, ma soupe!

Bienassis s’arrêta stupéfait de voir bouillir cette marmite loin du feu tandis que Pois-Vert la fustigeait.

— Mon ami, demanda le seigneur, comment se fait-il que ta soupe fume et crache si loin du feu?
— Mon maître, répliqua l’autre en saluant ben comm’i’faut, le secret est dans mon fouet. C’est lui qui fait bouillir la marmite.

Bienassis fut fort émerveillé.

— Voilà, s’écria-t-il, qu’est ben utile et m’épargnerait des servantes qui mangent tout mon avoir et qui ne font pas grand’chose. Veux-tu me céder ce fouet?

Le goglu1 parut réfléchir. Ce fouet, il l’avait confectionné le matin même et il ne lui avait rien coûté que sa peine. Il répliqua cependant :

— Pour vous rendre service, je veux ben vous le vendre et, sur mon âme, je ne gagne rien dessus. Le sorcier de qui je le tiens en a exigé cent piastres2.

Le seigneur qui était avaricieux compta rapidement ce qu’il économiserait de feu et de gages. Il se décida :

— Je te l’achète.

Bienassis donna en soupirant l’argent que son ancien domestique réclamait. Il prit le fouet sous son bras et rentra directement chez lui, tant il avait hâte d’expérimenter son acquisition.

Ce n’était pas l’heure de son repas; il se contenta de commander à une servante de lui apporter sa théière remplie d’eau froide. Dès que le récipient fut devant lui, il le fouetta comme il avait vu faire à Pois-Vert.

— Bous, théière! ordonna-t-il.

La théière ne bouillait pas et l’eau demeurait résolument froide. Dix fois, vingt fois, il renouvela l’expérience. Toujours sans résultat. En l’entendant jurer et tempêter tout seul ses servantes étaient accourues. Elles crurent que leur maître était devenu fou. L’une d’elles s’enhardit :

— Que voulez-vous donc faire à ct’heure, not’ maître, avec cette théière et ce fouet?

Tout en sueur, las de fouetter le récipient, Bienassis se tourna vers la domestique et lui répondit :

— Cette eau doit bouillir si je fouette la théière avec ce fouet.
— Et où donc l’avez-vous acheté, ce fouet?
— Je l’ai acheté à Pois-Vert, même qu’il m’a coûté cent piastres.

A ces mots, la servante éclata de rire et toutes les autres firent de même. Bienassis évita de demander une explication, ayant compris que l’on se moquait de sa naïveté. « J’irai demain voir Pois-Vert et il se repentira du tour qu’il m’a joué. »

L’ancien domestique apprit la colère du seigneur et sa résolution de venir le châtier. Il l’attendit tout comme s’il avait eu la conscience en repos. Cette fois il se trouvait dans sa cuisine avec sa femme lorsque Bienassis parut en haut du chemin.

— La Catherine, dit-il à son épouse, tu te souviens ben de ce qui a été convenu?
— Certainement, mon mari, répliqua Catherine.

Il faut dite qu’un peu avant, Pois-Vert avait attaché au cou de sa femme, en dessous de sa guimpe, une vessie contenant du sang de mouton. On va voir pourquoi.

Furieux et le bâton levé, le seigneur fit son entrée dans la maison de Pois-Vert.

— Misérable, hurla-t-il, les yeux brillants de colère, tu t’es moqué de moi avec ton « bous, ma soupe », et ton fouet. Je vais te caresser les côtes de belle façon à coups de bâton. Je ne sais si tu bouilliras mais tu auras chaud.

Pois-Vert se mit sur-le-champ à pleurnicher.

— Eh! mon bon seigneur, geignit-il, il n’y a pas de ma faute, c’est ma méchante femme qui m’a dit de faire comme j’ai fait; je vous le jure.

Puis, séchant subitement ses larmes, le drôle se retourna vers Catherine.

— Maudite, vociféra-t-il, tu vois comme tu as irrité ce bon seigneur qui va tourner sa colère contre moi et me battre. Je suis rendu au boutte3 par tes mauvais conseils. Tu es le malheur de ma vie.

Avant que Bienassis ait pu intervenir, Pois-Vert avait saisi un couteau et l’avait plongé dans la poitrine de sa femme. Le sang coulait, inondant les vêtements de la malheureuse qui s’était écroulée par terre.

La colère du seigneur était tombée devant ce drame rapide.

— Ah! Pois-Vert, s’écria-t-il, pourquoi as-tu fait cela? Voilà que tu vas t’attirer ben du désagrément et que tu es en passe d’être pendu à ct’heure.
— Vous croyez que je serai pendu?
— Sûr et certain.
— C’est que je ne veux pas être pendu! Je m’arrangerai ben pour cela.
— Que feras-tu, Pois-Vert?
— Vous allez voir.

Le gaillard prit dans sa poche un sifflet, se pencha sur la femme étendue, siffla trois fois et dit :

— Turlututu, reviendras-tu?

La femme remua légèrement les doigts. Par trois fois Pois-Vert siffla encore et prononça :

— Turlututu, reviendras-tu?

Catherine remua bras et jambes.

— Regardez ben, mon bon seigneur, au troisième coup elle sera guérie.

Il recommença son manège répétant :

— Turlututu, reviendras-tu?

La femme ouvrit les yeux, se dressa sur son séant, se mit debout et retourna aux soins de son ménage. On aurait juré qu’il ne s’était rien passé s’il n’y avait eu ces traces de sang sur sa guimpe et sur le sol.

Bienassis était profondément émerveillé.

— Pois-Vert, demanda-t-il, où as-tu pris ce sifflet?
— Une vieille magicienne me l’a vendu. Il a pour vertu de ressusciter les morts quelle que soit la cause de leur trépas.
— C’est ben commode, remarqua le seigneur. Ne voudrais-tu pas me le vendre?
— Pour vous rendre service, je veux ben.
— Combien en exiges-tu?
— Ce qu’il m’a coûté, pas davantage : deux cents piastres.

Bienassis versa l’argent, prit le sifflet et s’en alla.

Il était ben aise de son achat. Un sifflet qui ressuscite les morts, ça peut toujours, être utile.

A quelques jours de là se présenta chez Bienassis un de ses créanciers, homme grossier et mal poli. Le créancier réclamait de l’argent; le seigneur contestait le chiffre. Il y eut une dispute. Aveuglé par la colère, Bienassis tira son épée et en transperça le créancier de part en part.

Lorsque le seigneur vit ce cadavre par terre, il en eut ben du remords, d’autant plus qu’il craignait que la justice ne lui demandât des comptes. Il se souvint à propos du sifflet qu’il avait acheté à Pois-Vert. Ce sifflet était encore dans sa poche. Il le tira, siffla trois fois et prononça :

— Turlututu, reviendras-tu?

Le mort ne fit pas mine de bouger.

A trois reprises Bienassis renouvela la conjuration; le mort était toujours mort. Alors il se mit à siffler à tort et à travers, à hurler des « turlututu » sans fin, tellement que des serviteurs accoururent et virent le tableau.

Quand ils surent que le sifflet à ressusciter les morts avait été fourni par Pois-Vert, tous s’esclaffèrent malgré la gravité des circonstances.

— C’en est assez, gronda Bienassis. Je vais en finir avec ce sapré gredin.

Le lendemain, sur l’ordre du seigneur, deux serviteurs se présentèrent à la maison de Pois-Vert.

Mon pauvre ami, dirent-ils à leur ancien compagnon, tu en as par trop fait. Nous avons le commandement de te fourrer dans ce grand sac et de te mener noyer dans la rivière.

En même temps, ils déployaient un sac à sel.

Pois-Vert se débattit comme un beau diable :

— Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller! hurlait-il.

Les hommes étaient forts, Pois-Vert chétif : ils eurent vite raison de lui et le fourrèrent dans le sac.

Puis, à eux deux, ils l’emportèrent dans la direction de la rivière.

La rivière était loin. Pois-Vert dans le sac gigotait sans cesser de crier :

— Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller!

Un sac, dans lequel se trouve un homme qui se débat, est un fardeau mal commode même pour deux gaillards solides. Il faisait très chaud et les serviteurs du seigneur avaient grand’soif. Par, bonheur, les choses sont ainsi, que le remède est souvent à côté du mal : sur le bord du chemin se dressait une auberge engageante.

Les hommes déposèrent leur fardeau à la porte de l’auberge et entrèrent prendre un coup4.

Pois-Vert, le malheureux, continuait à gémir dans son sac à sel :

— Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller!

Vint à passer un chenapan nommé Finaud, qui était toujours à l’affût de quelque tour avantageux. Il vit le sac abandonne et son premier mouvement fut pour s’en emparer et l’emporter. Il recula épouvanté lorsqu’il vit le sac s’agiter et qu’il entendit la voix qui en sortait :

— Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller!

Revenu de son émotion, Finaud s’approcha du sac et le toucha.

— Où ne veux-tu pas aller, mon compère? demanda-t-il.
— Eh! riposta Pois-Vert, on m’emmène chez la princesse et on veut que je la marie5. Moi je ne veux pas.
— Elle est riche, ta princesse?
— C’est la plus riche du pays.
— Veux-tu me donner ta place?
— Avec plaisir. Tu n’as qu’à détacher le sac.

Finaud s’exécuta. Il aida Pois-Vert à sortir. Avec l’assistance de ce dernier, il se glissa à sa place. Le sac reficelé avec soin, Pois-Vert tout joyeux décampa.

Les serviteurs du seigneur, avant fini de boire, quittèrent l’auberge. Ils reprirent leur fardeau et remarquèrent que leur pratique ne protestait plus.

— Tiens, dit l’un d’eux, il se tient ben tranquille!
— Probable, répliqua l’autre, qu’il a compris à ct’heure qu’il ne sert de rien de se plaindre.

Ils arrivèrent ainsi à la rivière, à l’endroit où celle-ci fait un coude et où la berge est abrupte. Ils prirent le sac chacun par un bout, le balancèrent en comptant un, deux, trois, et le lâchèrent.

Le sac s’en alla tomber dans l’eau en faisant un grand ploum!

Bienassis récompensa ses serviteurs de l’avoir si bien débarrassé du maudit drôle qui lui avait joué tant de vilains tours.

— Me voilà tranquille maintenant, il ne reviendra pas...
— Pour sûr, répliquèrent les serviteurs. On ne revient pas ben souvent de là ou il est à ct’heure.

Après dîner, le seigneur était en train de prendre le frais sur la galerie lorsqu’il vit de loin s’avancer un troupeau de vaches. Le troupeau était si beau que Bienassis ne se lassait pas de le contempler.

Un homme couduisait les bêtes et le seigneur eut l’impression que c’était Pois-Vert. Il appela un de ses serviteurs.

— Regarde donc, toi qui as de bons yeux; ai-je la berlue ou l’homme qui conduit le troupeau serait-il Pois-Vert?
— Ça ne se peut, répondit le serviteur, puisque je l’ai jeté à l’eau de ma main.
— Regarde comm’i’faut.
— C’est pas Pois-Vert. Ça ne peut pas être Pois-Vert.

Le troupeau approchait toujours. Il allait passer au pied du château. L’homme qui le menait criait :

— Ourche! Mourche!
— C’est la voix de Pois-Vert, murmura Bienassis.

Ce n’était pas que la voix de Pois-Vert, c’était Pois-Vert lui-même et, lorsqu’il arriva tout près du château, il leva sa tuque6 et salua poliment.

— Bonsoir, mon bon seigneur, cria-t-il.
— Comment, Pois-Vert, riposta Bienassis, c’est ben toi?
— Eh! oui, c’est ben moi.
— D’où viens-tu donc avec ce beau troupeau?
— Ah! mon bon seigneur, ne m’en parlez pas! Vos serviteurs m’ont jeté dans la rivière en face de la saulaie et j’n’ai trouvé que ces bêtes à cornes que je ramène avec moi. Si seulement, ils m’avaient jeté à cinquante pieds en amont vers les peup’iers, c’était autant de beaux chevaux noirs que je pouvais ramasser. Des chevaux comme il n’y en a pas dans la contrée.

Bienassis était tout éberlué.

— Tu es sûr de ce que tu dis, Pois-Vert?
— Je vous en donne ma parole, mon bon seigneur.
— Si j’y allais moi-même, crois-tu que j’aurais les chevaux?
— Ça, je vous le garantis.
— Puisque tu as été par là, voudrais-tu guider mes serviteurs?
— J’en serais ben aise.

Sur son ordre exprès, ses deux serviteurs vinrent prendre le seigneur, le mirent dans un sac à sel et l’emportèrent vers la rivière. Pois-Vert conduisait la marche.

Le cortège dépassa la saulaie, arriva aux peup’iers.

— Voici l’endroit, dit Pois-Vert.

Les serviteurs prirent le sac chacun par un bout, le balancèrent en comptant un, deux, trois, et le lâchèrent.

Le sac alla tomber dans l’eau en faisant un grand ploum!

Le seigneur resta au fond de l’eau, Pois-Vert devint un riche commerçant et c’est tout.


1. Mauvais plaisant.
2. Dollars.
3. J’en ai assez.
4. Boire un coup.
5. L’épouse.
6. Bonnet que portaient les anciens Canadiens.

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- FIN -

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