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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 5¼ pages (14556 caractères)
Pays ou culture du conte : États-Unis.

Recueil : Contes du Far West

La rançon de Mack

O. Henry (1862-1910)

Moi et le vieux Mack Lonsbury, on avait raflé chacun 40.000 dollars dans une petite affaire de mine d'or à la cache-cache. Je dis le « vieux » Mack, mais en fait il n'était pas vieux ; quarante et un ans, au jugé. N'empêche qu'il a toujours eu l'air vieux. 

— Andy, qu'il me dit, j'en ai marre de turbiner. Y a trois ans qu'on travaille dur, toi et moi. Si on laissait tomber le boulot pendant quelque temps, à seule fin de claquer un peu ce fric somnolent qu'on a pris au piège ? 
— Ta proposition me tape dans le mille, que j'dis. Voyons un peu l'effet qu'ça fait d'être des nababs. Qu'est-ce qu'on choisit, les Chutes du Niagara ou un poker ? 
— Y a des années, fait Mack, que je m'dis : Mack, si jamais t'arrives à posséder un tas d'argent extravagant, tu loueras une baraque à deux pièces quelque part, t'engageras un cuisinier chinois, tu quitteras tes souliers et tu t'étendras dans une chaise longue en lisant l'Histoire de la Civilisation de Buckle. 
— Ça m'a l'air suffisamment édifiant et enchanteur, dis-je, tout en se gardant d'une vulgaire ostentation. J'vois pas comment on pourrait mieux employer son argent. Donne-moi une pendule à coucou et la « Manière d'apprendre le Banjo tout seul » de Sep Winner, et j'te tiens compagnie. 

Huit jours plus tard, Mack et moi on atterrit dans la petite ville de Pîna, à environ 30 milles de Denver, et on dégoté une élégante petite maison de deux pièces qui fait tout à fait notre affaire. Nous déposons une demi-becquée de dollars dans la banque de Pîna, et nous serrons la main à chacun des 340 habitants de la métropole. Nous avions apporté de Denver le Chinois, le coucou, Buckle et le Traité de Banjo, et avec ça on s'est tout de suite senti chez soi dans la baraque. 

Celui qui vous dira que la richesse ne fait pas V bonheur, vous pourrez le traiter d'menteur. Si vous aviez vu le vieux Mack vautré dans son rocking-chair avec ses pieds dans des chaussettes bleues posés sur la fenêtre, en train d'absorber ce truc de Buckle à travers ses lunettes, c'était un spectacle de béatitude à rendre jaloux un Rockfeller. Quant à moi, je commençais à esquisser « Old Zip Coon » sur le banjo, et le coucou faisait son entrée en mesure, et Ah Sing emmitonnait l'atmosphère d'un de ces parfums d'oeufs au jambon qui tapait le chèvrefeuille de cent longueurs. Quand il ne faisait plus assez clair pour ingurgiter le fatras de Buckle et les notes du Traité de Banjo, moi et Mack on allumait nos pipes, et on parlait de science, et des pêcheurs de perles, et de la sciatique, et de l'Egypte, et de l'orthographe, et de poissons et des alizés, et de cuir, et de gratitude, et d'aigles, et d'un tas d'autres sujets sur. lesquels on n'avait encore jamais eu le temps d'exprimer nos sentiments. 

Un soir Mack prend la parole et me demande si j'suis suffisamment versé dans les us et coutumes de l'espèce féminine. 

— Oui-da ! que j'fais, d'un certain ton de voix. J'la connais depuis Adèle jusqu'à Zéphyrin. La nature et le déguisement des femmes me sont aussi familiers que la topographie de Sing-Sing1 à un banquier américain natif de Chkipoumof (Bulgarie). Je suis à la page de toutes leurs petites contredanses et ponctuelles contradictions. 
— J'vais t'dire, Andy, fait Mack avec une sorte de soupir, j'ai jamais eu le moindre ingrédient d'interpolation avec leurs prédispositions. Peut-être que j'aurais un certain penchant naturel à naviguer dans leurs parages, mais j'n'en ai jamais eu le temps. J'ai commencé à gagner ma vie à quatorze ans ; et il me semble que j'n'ai jamais eu l'occasion d'équiper mes ratiocinations avec les sentiments généralement exhibés à l'égard du beau sexe. 
— Y a une argumentation opposée, que j'dis, inadéquate aux points de vue. Bien que les femmes varient en rationalis, j'les ai très souvent trouvées visiblement divergentes les unes des autres en matière de contrastes similaires. 
— J'ai idée, poursuit Mack, qu'un homme devrait toujours s'les incorporer et cuirasser ses inspirations quant aux sexes, lorsqu'il est jeune, et en conséquence prédéterminé. J'ai laissé passer l'occasion ; et maintenant j'estime que j'suis trop vieux pour sauter à travers le curriculum. 
— Oh ! j'en sais rien, que j'dis. Peut-être qu'elles ne valent pas un panier de fric, ni les réjouissances confortables qu'on éprouve à s'émanciper de leurs inclinaisons emberlificotrices. Pourtant, je ne regrette pas ma connaissance des femmes. Un homme qui comprend leurs symptômes et apartés sait qu'il doit se tenir sur ses gardes en ce monde. 

Le séjour à Pîna nous plut et se prolongea. Y a des gens qui ne peuvent pas jouir de leur fortune sans fracas, délire et locomotion ; mais Mack et moi on en avait assez des agitations et des lits d'hôtel. La population était cordiale. Ah Sing avait repéré l'espèce de cuisine que réclamait notre idéal gastronomique ; Mack et son Buckle étaient copains comme cochons ; et quant à moi, je commençais à extirper du banjo un ersatz très satisfaisant de « Buffalo Gais, Can't you corne out To-night », ting... ting tiguidi ding... vous savez ? 

Un jour je reçus un télégramme de Speight, le directeur d'une mine de New-Mexico dans laquelle j'avais des intérêts. Il me fallut partir ; et je restai deux mois absent. J'avais hâte de revenir à Pîna pour y goûter de nouveau les jouissances de la vie. 

Lorsque j'arrivai à la baraque, je faillis m'évanouir. Mack se tenait sur le seuil ; et si jamais les dieux peuvent sangloter, c'était le moment ou jamais. 

Cet homme était un vrai tableau pour la National Gallery de Pictonag-les-Foins. Non, il était pire : c'était l'authentique chef-d'oeuvre pictural acheté par le Département des Beaux-Arts de Washington sur l'intervention d'un sénateur influent. 

Il était affligé d'une redingote, de souliers vernis, d'un gilet blanc et d'un chapeau haut de forme, et sa boutonnière arborait un géranium de la taille de la rosette du Mérite Chevaleresque et Révolutionnaire décernée aux généraux et patriotes Boliviens. Et il se pavanait et se tortillait le museau comme un gosse qui a la colique ou un infernal vendeur de grand magasin. 

— Hello, Andy ! fait Mack au milieu de ses grimaces. Content de te revoir. Il s'est passé des choses depuis ton départ. 
— J'm'en doute, dis-je, rien qu'au spectacle sacrilège qui offense ma rétine. Dieu ne t'a jamais fait comme ça, Mack Lonsbury. Pourquoi déshonores-tu Ses oeuvres avec cette espèce de pitrerie présomptueuse? 
— Mais, Andy, qu'il fait, ils m'ont nommé Juge de paix en ton absence. 

Je dévisage Mack attentivement. Il a l'air agité et inspiré.. Un juge de paix doit normalement offrir un aspect mélancolique et tempéré. 

Juste à ce moment-là passe une jeune femme sur le trottoir ; et je vois Mack qui change de couleur, et s'met la bouche en c... de poule, et qui lève son gibus en souriant et qui s'plie en deux ; et l'autre sourit à son tour, s'incline, et s'en va. 

— Ton cas, dis-je, est désespéré, si tu as attrapé la féminité à ton âge. Et moi qui te croyais vacciné ! Et des souliers vernis ! Tout ça en deux mois de temps !  
— Je vais agglutiner ce soir, dit Mack avec une sorte de minauderie, cette jeune fille dans les sacrés liens, du mariage. 
— J'ai oublié quelque chose à la poste, dis-je en m'éloignant rapidement. 

Cent mètres plus loin je rattrape la jeune créature. Je lève mon chapeau et me présente. Dix-neuf ans, qu'elle paraît, et jeune pour son âge. Elle rougit, et me jette un regard glacial, comme si j'étais la neige dans la scène tragique des Deux Orphelines. 

— Paraît qu'vous allez vous marier ce soir ? que j'dis. 
— Exact, qu'elle fait. Vous avez des objections à formuler ? 
— Ecoutez, beauté... que j'commence. 
— Mon nom est Miss Rebosa Redd, dit-elle d'un air outragé. 
— Je le savais, que j'dis. Eh bien, Rebosa, je suis assez vieux pour avoir dû de l'argent à votre père. Et ce vieux ptomaïniaque spécieux, redingote, nauséeux et gibusé qui se pavane goulûment comme un irrémédiable dindon en souliers vernis, est mon meilleur ami. Pourquoi diable êtes-vous allé l'emmancher dans cette histoire de mariage ? 
—- Mais, répond Miss Rebosa, c'est la seule chance que j'avais... 
— Sans blague ! dis-je en jetant un regard d'admiration apitoyée sur son teint et le style de sa physionomie. Avec cette beauté-là, vous pourriez dégoter n'importe quel mâle. Ecoutez, Rebosa. Le vieux Mack n'est pas l'homme qu'il vous faut. Il avait vingt-deux ans quand vous êtes venue au monde. C'te espèce de floraison qu'il exhibe ne va pas durer. Il est tout éventé de vieillesse, de ruine et de crépitude. C'est un cas de démon de midi. Le vieux Mack a laissé passer son numéro quand il était jeune ; et maintenant il fait un procès à la Nature pour réclamer l'intérêt de la lettre de crédit qu'il a reçue de Cupidon au lieu de se faire payer comptant. Rebosa, tenez-vous absolument à la perpétration de ce mariage ? 
— Mais bien sûr ! dit Rebosa, en accompagnant ces mots d'une oscillation énergique des renoncules de son chapeau. Et il y en a un autre qui y tient aussi, j'vous promets. 
— A quelle heure doit se passer le forfait ? demandé-je. 
— A six heures, qu'elle dit. 

Alors, je me décide à opérer sur-le-champ. Je sauverai le vieux Mack si je peux. Voir un brave homme impropre et boucané, comme ça, se muer en coquelet pour les yeux d'une fillette.qui suce encore son crayon et se boutonne encore dans le dos, c'était plus que je ne pouvais supporter sans réagir. 

— Rebosa, dis-je sérieusement, mettant à contribution mes instincts et connaissances des intuitions logiques de la femme, est-ce qu'il n'y a pas un jeune homme à Pîna qui... un beau jeune homme duquel vous fassiez grand cas ? 
— Si ! fait Rebosa secouant ses renoncules. Bien sûr qu'y en a un ! Qu'est-ce que vous croyez ? Seigneur !... 
— Est-ce que vous lui plaisez ? demandé-je. Qu'est-ce qu'il est dans le coup ? 
— Dingo ! dit Rebosa. Maman n'arrête pas d'arroser les marches de la porte d'entrée pour l'empêcher de s'y asseoir. Mais j'pense que tout ça sera fini ce soir, ajoute-t-elle avec un soupir. 
— Rebosa, dis-je, vous ne ressentez pas pour le vieux Mack le moindre effluve de cette agitation qu'on appelle l'amour, n'est-ce pas ? 
— Ah ! Seigneur, non ! s'écrie-t-elle en secouant la tête. Je le trouve aussi sec qu'un coup d'trique. Quelle drôle d'idée ! 
— Quel est ce jeune homme que vous affectionnez, Rebosa ? demandé-je. 
— C'est Eddie Bayles, qu'elle répond. Il est commis chez Crosby, l'épicier. Mais il ne gagne que trente-cinq dollars par mois. Ella Noakes était folle de lui, y a pas encore longtemps. 
— Le vieux Mack me dit, continué-je, qu'il va vous passer ce soir à six heures les sacrées menottes de l'hyménée. 
— C'est bien l'heure, qu'elle dit. Ça doit avoir lieu chez nous. 
— Rebosa, dis-je, écoutez-moi. Si Eddie Bayles possédait mille dollars, mille dollars comptant, vous entendez bien, qui lui permettraient de s'acheter un fonds de commerce, si, dis-je, Eddie et vous pouviez présenter la dite somme en guise de prétexte matrimonial, est-ce que vous consentiriez à l'épouser ce soir à cinq heures ? 

La jeune beauté me regarde sans répondre pendant Une minute ; et c'est tout, juste si je ne lis pas sur sa figure ces cogitations imperceptibles qu'elle  est en train de brasser en son for intérieur, à la manière des femmes. 

— Mille dollars ? qu'elle dit enfin. Bien sûr que j'consentirais. 
— Suivez-moi, dis-je. Nous allons voir Eddie. 

On se rend tous les deux chez Crosby, et on fait sortir Eddie de la boutique. Il a des taches de son et un air passable ; et, aussitôt après avoir écouté ma proposition, il est pris de tremblements nerveux. 

— A cinq heures ? qu'il dit. Pour mille dollars ?... Saint Pain-d'épice, ne me réveillez pas ! C'est vous le riche tonton qu'a fait fortune aux Indes, pour sûr ! J'achèterai le fonds au vieux Crosby et je prendrai sa suite. Oh, chic !

Là-dessus nous entrons tous, et nous expliquons le coup au père Crosby. Puis je trace mille dollars sur un chèque, et le lui tends. Si Eddie et Rebosa se mariaient à cinq heures, le chèque était pour eux. 

Et alors, je leur donne ma bénédiction et je vais me balader dans les bois pendant quelque temps. Je m'asseois sur un tronc, et j'enfante des méditations sur la vie, la vieillesse, le zodiaque, les moeurs des femmes et tout le tohu-bohu qui emberlificote une existence humaine. Et je me congratule d'avoir probablement sauvé mon vieil ami Mack d'une attaque de mididémonite. Je sais qu'il m'en saura gré lorsqu'il se sentira guéri, et qu'il aura répudié son infatuation et ses souliers vernis. Mille dollars, me dis-je, pour rescaper le vieux Mack d'un coup de virus aussi grave, c'est bien payé, mais ce n'est pas heureux d'avoir ainsi poursuivi mes études sur les femmes, et prouvé mon aptitude à déjouer les fourberies de leurs évolutions stratégiques. 

Il devait être environ cinq heures et demie quand je rentrai à la maison. En ouvrant la porte, j'aperçois le vieux Mack, allongé dans ses vieux habits, avec ses chaussettes bleues sur la fenêtre et l'Histoire de la Civilisation sur ses genoux. 

— On n'a guère l'air ici de se préparer pour une cérémonie nuptiale, dis-je en feignant l'innocence. 
— Oh ! dit Mack, en allongeant la main vers le pot à tabac, elle a été remise à cinq heures. Ils m'ont envoyé un mot pour me dire que l'heure avait été changée. C'est fini maintenant. Pourquoi es-tu resté si longtemps dehors, Andy ? 
— On t'a parlé du mariage ? demandé-je. 
— C'est moi qui l'ai opéré, dit-il. Je t'ai déjà dit que j'étais Juge de paix. Le pasteur est parti dans l'Est chez ses parents, et je suis la seule personne en ville qui puisse accomplir les dispensations nuptiales. Il y a un mois que j'ai promis à Eddie et Rebosa de les marier. C'est un garçon actif ; il aura une boutique à lui un de ces jours. 
— Il l'aura, dis-je. 
— Y avait des tas de femmes à la noce, dit Mack, d'un air détaché. Mais aucune ne semble m'avoir suggéré des inspirations. J'aimerais être au courant de la configuration de leurs talents, comme tu prétendais l'être... 
— C'était y a deux mois, dis-je, en attrapant le banjo. 


1. Célèbre prison américaine. N. D. T. 

* Ce conte est dans le domaine public au Canada, mais il se peut qu'il soit encore soumis aux droits d'auteurs dans certains pays ; l'utilisation que vous en faites est sous votre responsabilité. Dans le doute ? Consultez la fiche des auteurs pour connaître les dates de (naissance-décès).

- FIN -

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